Il ne se cache plus. Désormais sous son propre nom depuis le précédent Woke On A Whaleheart (2007), Bill Callahan, 43 ans, aspire à une sorte de paix intérieure. Lui qui a longtemps exorcisé ses névroses sur des disques ascétiques et rêches sous le patronyme Smog (puis (Smog)), le bariton écorché de la country alternative a appris à s’en accommoder. Bien sûr, le mal-être qui affecte les songwriters de cette trempe n’est jamais tout à fait guéri, mais Bill Callahan a appris à vivre avec, et à en tirer une certaine sagesse…
« With the death of the shadow came a lightness of verse, But the darkest of nights, in truth, still dazzles,
And I woke myself until I’m frazzled » (« Jim Caine »)
Cette trêve intérieure a engendré une simplicité dans l’écriture, une épure qui sied au quarantenaire, non sans une élégance intemporelle. Tout comme lui, ses mélodies se soignent. Ses couplets à rallonge qui ont fait sa marque de fabrique, autrefois giflés par des fausses notes de guitare, aspirent sur ce septième album à une coquette tranquillité. Servies sur un plateau d’argent orchestré, Sometimes I Wish We Were An Eagle du haut de ses neuf ballades magnifiques, s’escorte d’un piano, une nuée de violons émouvants et quelques instruments à vent virevoltants. L’album, magistralement produit par l’alpiniste John Congleton (Black Mountain, Mountain Goats, Explosions in the sky) pourrait d’abord s’apparenter à un vieux disque seventies de country west coast qui serait sevré de toute guimauve. Au-delà, il se trame au sein des arrangements aristocratiques des montées inquiétantes venues troubler ce semblant de plénitude : de brèves attaques de notes saturées (“All Thoughts Are Prey To Some Beast”) ou de violons orageux (“My Friend”) sourdent comme si ces instants sereins demeuraient fragiles, comme si tout pouvait basculer en un instant. Mais rarement Bill Callahan choisira de sombrer dans ces abîmes (la tranquillité inquiétante de “The Wind And The Dove”, avec ses relents arabisants de Dongs of Sevotion, amènent vers un refrain consolateur). Il n’empêche, ces tensions éphémères n’en demeurent que plus marquantes.
« I Started out in Search of ordinary things… », phrase pénétrante qui ouvre l’album sur “Jim Cain” fait passer le message quant aux aspirations de simplicité et d’authenticité du songwriter. Est-il vrai que la douleur est plus supportable avec le temps ? Lui-même ne contrôle rien, mais il cherche un nouveau départ. Et, d’emblée, on est happé par ses mots, sous l’emprise de cette voix. Bill Callahan écrit ses paroles avec économie, mais chacun de ses mots pèse une tonne. Sa voix grave et monocorde est à la fois son armure et ses blessures, un réservoir émotionnel incroyablement puissant, aussi vulnérable que désarmant (désarmé) de sobriété. Le songwriter a pris de la bouteille, il n’en boit plus, ne se pose en aucun cas en donneur de leçons et continue de se questionner sur ses démons. “Show me the way to shake all memory” assène-t-il sur “Eid Ma Clack Shaw” à la limite du refrain entêtant. Sur “Faith/Void”, finale bouleversant où il évoque la perte de la foi, il chante ne plus croire aux miracles, presque soulagé. Dessus, la voix grimpe avec grâce, escortée par les violons, et lui d’affirmer : «It’ Time to put god away (…) This is the end of faith, no more must I strive To find my peace, to find my peace in a lie » .
Quelque part entre Leonard Cohen et Johnny Cash, Bill Callahan se pose là, en passeur de la grande dynastie des beautiful losers. On a aussi pu le constater récemment sur scène, habillé d’une chemise noire comme ses modèles. Son visage a conservé les traits de sa jeunesse, mais il semble greffé sur un corps qui trahit son âge. Ses yeux ne fixent jamais l’audience, il regarde un point fixe, un peu absent…. Bill Callahan est ailleurs et pourtant si proche de nous. Son oeuvre quant à elle suit merveilleusement le courant de sa vie, un modèle de longévité assumée dans la dignité.
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– A voir et écouter, « Faith/Void » :
Bill Callahan: Faith/Void from Scott Johnson on Vimeo.
« Jim Cain » :