Pour son second album solo, le guitariste émérite Bill Orcutt ouvre une brèche temporelle qui le conduit à dialoguer avec ses fantômes tout en revenant à la source transgressive de son art. Sur A New Way To Pay Old Debts, le co-fondateur — avec la batteuse et chanteuse Adris Hoyos — du groupe de punk hardcore Harry Pussy délaisse en effet les stridences noisy sous amphétamines pour une musique primitive du meilleur aloi. Un blues originel, urbain et frénétique, joué sur une guitare acoustique Kay à quatre cordes, au son métallique atypique, qui emprunte autant aux réflexes séminaux d’un Lightnin Hopkins qu’à la rudesse improvisée d’un Derek Bailey. D’emblée, l’oreille est saisie par ces sonorités rêches et abrasives, voire quasi percussives (“My Reckless Parts” ou “Lip Rich” qui convoquent les martèlements pianistiques et incantatoires de Cecil Taylor), venues dont ne sait où — d’un crâne en proie aux tempêtes de l’esprit sans doute, des tripes sûrement –, par ce flot de notes inquiètes, cette véhémence de tous les instants seulement tempérée par quelques ralentissements opportuns de cadence. Enregistrée dans la cuisine du musicien à Oakland, Californie, enrichie d’une rumeur de fond lo-fi (bruits divers et variés d’une rue environnante, sonnerie de téléphone, sirène de véhicule, craquements de chaise, grognements emportés de l’intéressé), les huit morceaux entendus ici revêtent une dimension archaïque proprement inouïe, évoluent sur une crête sonore qui ouvre des crevasses, provoque des séismes, conjugue le désir paroxystique à l’urgence. Soit une matière à vif arrachée à l’instrument, tels des sursauts de vie discontinus, qui porte en elle la trace d’un danger latent, d’une extase aussi. Remous d’un temps qui fuit sous les doigts à mesure que le guitariste en célèbre la sauvage présence, le passage. A New Way To Pay Old Debts tient de l’aube et du crépuscule à la fois. Il rejoue l’origine et l’ultime saisie du chaos (en soi) via un sidérant geste de mise au monde.
Réédition CD chez Mego, avec 4 morceaux inédits.
– Le site de Palilalia
– En écoute : « My Reckless Parts »