Troquant ses tuniques afro pour des combinaisons spatiales, le quatuor de l’état de New York signe un second album aussi impressionnant d’emphase que farfelu. Un fluide à ne pas mettre entre toutes les mains.
Jadis dans la religion inca, Inti Raymi était la fête du soleil. Cette cérémonie, la plus attendue de l’année, célébrait le retour de l’astre roi dans la joie et le sang. L’histoire aura surtout retenu les fêtes fastueuses et ses innombrables sacrifices humains. Odd Blood pourrait également prétendre à ce titre. En 2008, Yeasayer incarna en quelque sorte notre grande cérémonie païenne. Au beau milieu d’une nouvelle vague psychédélique sur New York (Vampire Weekend, Animal Collective, voire MGMT et leur look indigène) nous est apparu ce quatuor incandescent épris de transes afro-rock et de synthés solaires via leur premier album Hall Hour Cymbals. Les danses ensorcelées “2080” et “Wait For The summer” ne tardèrent pas à être sollicitées dans d’autres grandes fêtes populaires, particulièrement en première partie de MGMT.
Conforté par l’accueil réservé à Hall Hour Cymbals, la petite tribu d’Anand Walker (chant, claviers) et d’Ira Wolf Tuton (guitare, chant) est bien déterminée à persévérer dans l’élaboration de leur extravagante mixture. S’il est toujours imprégné de musiques du monde, le groupe semble avoir aujourd’hui pleinement cédé aux sirènes technologiques. Entièrement auto-produit, se façonne sur Odd Blood un bariolage sonore atypique, à la fois complexe et ambitieux, entrouvert de lueurs mélodiques grandioses. Là où les parties échantillonnées du premier album recyclaient des instruments folk traditionnels, certains samples sont maintenant tellement retravaillés qu’ils en deviennent méconnaissables. En injetant ces textures très pigmentés dans leur chaudron, il s’en échappe pourtant des coagulations bouillantes, bel et bien des émanations de vie. La pochette de l’album, une oeuvre de l’artiste contemporain Benjamin Phelan, symbolise cette transformation : un buste censé représenter la fusion de la technologie et de la nature. Ce magma cosmique tel que le conçoit Yeasayer collerait aussi parfaitement avec les BD écolo-futuristes dessinées par Moebius dans les années 70. Les cases se ressemblent : des couleurs et des formes folles décriant une végétation dominante, défiant l’apesanteur et la technologie. Au-delà de l’esthétique, ces deux esprits créatifs peuvent se rejoindre dans une fable environnementale des temps modernes.
Si la musique de Yeasayer vient d’une autre galaxie, son langage est universel. Oublions “The Children” qui ne s’avère pas la meilleure porte d’entrée pour aborder la bête : une introduction gélatineuse un peu maladroite, tartinée de claviers et de chant au vocodeur monstrueux (dans le sens ignoble du terme). Il serait dommage de s’arrêter là, car les quatre météorites pop suivants sont nettement plus avenants, notamment l’élévateur “Ambling Alp” — premier single tout désigné avec son clip barré, hommage au désert naturiste de Zabriskie Point et les westerns mystiques de Alexandro Jodorowsky. Sous ses apparats psyché-synthétiques, l’évidence mélodique de Yeasayer demeure redoutable : que ce soit “Madder Red” et ses hamonies vocales ensorcelantes, ou encore le groove cannibale de “O.N.E. ”, le squelette pop est inoxydable. Plus curieux, le traitement réservé à “I Remember” où Anand Walker vocalise à outrance une mélancolie hallucinatoire, sorte de ballade martienne.
Dans sa seconde partie, l’album s’enfonce dans une jungle plus sombre et expérimentale, guidé principalement par des pulsions rythmiques (“Love Me Girl”, “Rome”). Dans cette forêt foisonnante, le danger est de ne pas céder au balais kitsch rococo (“Strange Reunion”, petite intrusion dans un temple hindouiste). Yeasayer y parvient plus ou moins, quitte à assumer courageusement son mauvais goût. Certes, on peut alors très facilement être rebuté par l’oeuvre mutante. Mais il reste que la volonté de voyager, d’emmener ailleurs l’auditeur est louable. Car Odd Blood doit s’entendre comme un touchant hommage à l’art mineur, aux films de genre, à la science-fiction et à une certaine dimension métaphysique. Rien de bien prétentieux en vérité. Il y a derrière tout ça un vent léger, presque enfantin (écoutez les choeurs du finale de “Grizelda”), qui n’est pas dénué de charme.
– Lire également notre entretien (2008)
– A voir :
“Ambling Alp” :
« Madder Red » :