Au coeur de la vague Girls Band qui est en train de déferler sur nous, les Dum Dum Girls vont faire de sacrés ravages. I Will Be rénove une certaine innocence du garage-band avec l’esthétique post-punk.
La parité chez les groupes de rock ? Dossier des plus sensibles. Rayon quantitatif, force est d’admettre que l’électricité demeure chasse gardée de la gente masculine, contrairement à la country folk par exemple, où les deux camps sont sur le même pied d’égalité. Rayon qualitatif, les Runaways, Slits, ESG, Go-Go’s, Raincoats voire les panachés Throwing Muses et Breeders ont incontestablement donné leur lettre de noblesse aux Girls Group et au-delà, le rock au sens large. Mais rares sont les amazones parvenues à tirer leur épingle punk du jeu dans un monde dominé par la sueur et la pilosité. Las, ce fut même l’hécatombe des Girls Bands dans les années 2000, exception faite des délicieuses psychédéliques Slumber Party, les rigolotes Pipettes, et loin devant, la furie superbe des Sleater-Kinney.
Aussi, depuis que Sleater-Kinney a tiré sa révérence, il y a déjà cinq ans, la relève digne de ce nom se faisait attendre. Dans un registre moins échevelé mais aussi bien brossé, une mystérieuse grande brune dénommée Dee Dee, meneuse des Dum Dum Girls, entend reprendre symboliquement le flambeau. Précisément sur le label Sub Pop, là où le trio d’Olympia livra son ultime album, le grandiose et dissonant The Woods. Mais les Dum Dum Girls de LA ne sont pas seules. Une nouvelle génération de jeunes femmes en armure cuirs perfecto, Rayban et guitares Jazzmaster en bandoulière, vont remettre les pendules à l’heure des rrrriot Girls. Un vent de révolte garage va souffler en 2010, avec en première ligne les Vivian Girls, Best Coast et les Warpaint à suivre de très près. Même la papesse Kim Gordon rejoignait l’année dernière le canal féministe avec son duo Free Kitten.
Mais revenons aux Dum Dum Girls. Certains devineront sous ce patronyme la réponse féminine au “Dum Dum Boys” de l’Iguane. D’un point de vue sonique, en revanche, on se rapproche davantage du “Dum Dum” des Vaselines ; pour la magie de cette jeunesse qu’on ne rattrape pas ; et puis bien sûr l’esthétique minimaliste mais qui serait produite par feu Martin Hannett, génial architecte sonore de Factory. Ce sera le vétéran Richard Gottehrer, ex Strangeloves et producteur de Blondie et The Raveonettes (un faux girls band pour le coup), de graduer ces guitares grinçantes, symbiose réussie de pop garage et rigidité post-punk. Si I Will Be et ses onze missives au format très serré (pliées en 2 minutes) peut sembler itératif, c’est sans compter sur la quantité de refrains indéboulonnables qui font sérieusement pencher la balance. Les courses nocturnes dans un tunnel que sont “It Only Takes One Night”, “Bhang Bhang, I’m a Burnout” et “Jail La La” grillent tous les barrages avec panache. Et puis, petit à petit, se dessinent quelques fines variations : “Rest Of Our Lives”, perle noire qu’on jurerait échappée du Darkland des Jesus & Mary Chains, ou le très sixties “Blank Girl” en duo avec Brandon Welchez des Crocodiles. Ces gentes damoiselles sont charmantes, même lorsqu’elles chantent en langue goth sur « Oh Mein M ». Dangereuses, elles peuvent l’être aussi comme sur “I Will Be”, un tempo psychobilly échappé des Cramps que sait particulièrement mettre en relief Franckie Rose (ex Vivian Girls et Crystal Stilts), une sadique de la caisse claire.
Sous ces lunettes noires, Dee Dee chante ce cadeau empoisonné qu’est l’amour. Elle raconte des histoires de Virgin Suicides qui se seraient finalement enfuies de la maison familiale. Alors même si on se heurte au conflit de générations, ce n’est pas nous qui lui ferons la leçon, car sa voix détient cette assurance qu’on n’avait plus entendu depuis Kim Deal et les deux premiers albums des Breeders. Survolant le bruit gris caverneux des guitares à l’immobilisme sombre, elle incarne derrière son micro, presque paradoxalement, la source de jouvence rock éternelle. Quel est son mystérieux secret ? Dis-moi Dee Dee, oh Dee Dee, dis-moi.
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