Même en temps de crise, le britannique Ed Harcourt, en grand seigneur de la pop noble, ne compte pas à la dépense pour bâtir de parfaites pop songs. Alors, forcément, ses orfèvreries n’ont pas de prix.


On les appelle parfois les « songwriters maudits », ces surdoués qui ne peuvent s(a)igner une chanson sans cordes virevoltantes et cortèges de cuivres, accords de piano velouté et cascades de choeurs au service de mélodies premières. Hors du temps. De cette caste, peu sont parvenus, comme Rufus Wainwright ou Neil Hannon, à apprivoiser un certain succès (si tant est qu’il puisse l’être), tout en élevant la pop à un degré supérieur d’ambition et d’esthétique. Mais combien restent toujours très largement négligés, de Harry Nilsson à The Left Banke, en passant par Scott Walker et David Ackless, ou même, aujourd’hui B.C Camplight, Liam Hayes, David Mead, qui, tous, pourtant ne voyaient les choses qu’en grand ? L’histoire d’Ed Harcourt s’inscrit, jusqu’à ce jour, dans cette poisseuse lignée.

Congédié par son label anglais Heavenly, après dix ans de bons et loyaux services rendus à la couronne, Ed Harcourt se retrouva fort dépourvu lorsque la démise fut venue. Une décade en arrière, son formidable Maplewood EP mettait en lumière un prodigieux talent de mini symphoniste sur quatre-pistes. La quintessence de son art était déjà là : l’évidence des attractions contraires entre les déstabilisants grognements d’un Tom Waits et la belle candeur d’un Brian Wilson (Beach Boy génial dont il reprendra superbement “Still I Dream Of It”, sur un unique single). Quatre albums s’enchaîneront ensuite, où son tropisme pour les arrangements baroques ne cessera de grandir (comme sur le très abouti From Every Sphere en 2002), au dépens des ventes, de plus en plus faibles. Heureusement, l’anglais ne passe pas inaperçu dans le milieu : il compose pour Jamie Collum, chante avec Erik Truffaz et Ron Sexsmith, pianote avec Nada Surf, produit The Concretes… pour ne citer que quelques collaborations.

Sans pour autant demeurer inactif, Ed Harcourt aura donc attendu quatre ans pour donner une suite à The Beautiful Lie, aujourd’hui sortie sur sa propre structure indépendante, Piano Wolf Records. Nonobstant une marge de manoeuvre que l’on imagine plus étroite, le deuil de la démesure n’a pas été fait. Mieux, ces rêves de grandeur viennent frapper l’étendard de ce cinquième opus, intitulé ouvertement Lustre, et superbement co-produit avec Ryan Hadlock (The Gossip, Blonde Redhead). Un disque à garder précieusement à son chevet, tant la richesse qui s’y trame n’est manifestement pas restée verrouillée dans un coffre-fort. Les onze minauderies présentées ici sur plateau d’argent respirent l’ouvrage foisonnant et obsessionnel, fourmillant d’infinis détails, comme si tout devait être donné avant que le grand cirque ne s’arrête. On peut deviner cette volonté de l’ultime en filigrane derrière des paroles dépressives, voire glauques, contrastant avec l’éclat habituel de ses harmonies (“Lachrymosity”, “When the Lost Don’t Want to Be Found”). D’ailleurs, les choeurs scintillants des Langley Sisters qui l’accompagnent tout au long de ce disque, ne sont autres que ceux de sa femme.

Cette force obscure, Ed Harcourt en use aussi comme carburant sur ce cinquième album, certainement le plus dynamique de l’Anglais. L’énergie canalisée, plus ou moins à bon escient, s’immisce sur le piano frénétique de “Heart of A Wolf”, tirant son tempo d’un barillet de revolver (sic). Ed Harcourt est désormais dangereux et armé. Mais c’est bien connu, l’ennemi public numéro 1 peut aussi être un grand charmeur — notamment sur l’instinctif et relevé “Church of No Religion” ou encore « Haywired ». Mieux, “Do as I Say Not as I Do” ne nous avait pas tendu guet-apens si enchanteur depuis “Apple Of My Eyes”. Peut-être le titre qui lui permettra d’être enfin en phase avec ce succès qui fait toujours mine de le snober. Un comble pour ce gentleman-cambrioleur un peu barré. Une chose est certaine, en dépit des années qui passent, l’exigence d’Ed Harcourt paraît inaltérable. C’est le lot commun de ces songwriters éternellements revanchards, dont la qualité musicale ne peut être démentie.

– Site [officiel->
http://www.edharcourt.com/
]

– En écoute, « Haywired » :