C’est parce qu’on les connait trop bien, qu’on ne leur passe rien. Belle and Sebastian sera cette fois-ci non pas sanctionné, mais tout de même un peu enguirlandé, pour avoir commis un album un brin dégonflé.


Un mois. C’est le temps qu’il nous aura fallu pour goûter pleinement à ce Belle and Sebastian nouveau. Un mets rare, qui ne demande aucune précipitation quant à sa dégustation, mais se révèle d’ordinaire en longueur, divulguant ses confidences à chaque écoute. Si la recette est restée, à peu de chose près, la même — sucrée en bouche avec des effluves discrètes de nostalgie sous-jacente — le breuvage semble cette fois-ci avoir malheureusement un peu tourné au vinaigre. La recette la mieux gardée de la pop écossaise commencerait-elle à sentir le bouchon ? Write about Love, une simple piquette ? Nous n’aurons pas l’audace de nous aventurer jusque là. Mais, si la cuvée 2010 des écossais comble et rassure suffisamment l’auditeur, elle ne parvient pas pour autant à ravir totalement son coeur.
À la lumière des autres albums du groupe, W.a.L est un album mineur — en demi-teinte dirons nous. Malgré tout, pris à part entière, c’est un disque qui offre bien plus que ce que l’on était en droit d’exiger.

Belle and Sebastian a un secret, une recette d’alchimiste qu’il applique à chaque album et qui fait invariablement prendre la sauce quoi qu’il advienne. L’un des plus beaux fleurons de la pop britannique, en activité depuis près de 15 ans, ne sait décidément pas s’essouffler, et ne parvient semble t-il jamais à semer bien loin son auditoire. Bien sûr, il est injuste de demander à Belle and Sebastian de nous chambouler à nouveau comme lorsque nous avions entrepris d’explorer, il y a des siècles, les territoires vierges de If You’re Feeling Sinister ou promené d’un pas alerte nos atermoiements juvéniles dans les ambiances souffreteuses de Tigermilk. Belle and Sebastian, cette petite troupe de pâles freluquets qui préféraient enfouir leur visage dans leurs mains face aux lueurs aveuglantes des projecteurs, plutôt que de s’exposer crûment en plein jour, a fait place, au fil du temps, à un groupe bien plus sûr de lui, ayant finalement réussi à glisser un pied au dehors, puis deux, avant de s’extirper complètement de la pénombre de sa chambre. Peut-être le groupe de Glasgow a-t-il tout bonnement grandi ? Ou avons nous aussi un peu mûri ? Difficile à dire, les torts sont partagés.

Write about Love, huitième album du groupe, a tout du disque mature. Écriture maîtrisée, production léchée, voix posées, cuivre et orchestration à tous les étages. Le groupe de Stuart Murdoch avait décidément tout prévu et tout endigué. Sauf que, et c’est bien là que le bât blesse, Belle and Sebastian n’est jamais aussi bon que lorsque qu’il arrive à ses propres limites, exposant ses failles et ses incomplétudes. Alors, bien sûr, on mériterait bien quelques fessées à jouer ainsi les rabats-joie, lorsque l’on se trouve à écouter des titres d’une telle qualité. Combien vendraient leur maman afin de pouvoir en écrire ne serait-ce qu’un seul de cet acabit ? En comptant bien, les joyaux de Write about Love sont ici au nombre de trois.
« I didn’t see it Coming », qui ouvre l’album et prend feu immédiatement. Aucune discussion possible, ce titre est adopté sur le champ. « I Can See your Future ». Vibrant. Là également on sait qu’il fera partie des bijoux de famille. Et puis, surplombant tout ça LE titre de cet album : « The Ghost of Rock School ». Le temps d’une chanson, ce sont les jouvenceaux éternels de The Boy With The Arab Strap que l’on retrouve, ému — presque reconnaissant une nouvelle fois du cadeau. Un titre où plane en hauteur l’aura inspirée du combo Felt/Denim — faudra-t-il rappeler que Belle and Sebastian est de ces groupes qui a le mieux appris et retenu les leçons de Lawrence ces dernières années ? Aussi longtemps que le groupe dégainera ainsi cette trompette assassine, cette arme de destruction massive pour coeurs d’artichauts, le monde pourra continuer de tourner dans le sens qu’il voudra.

Pour le reste, on sera tout de même bien moins enjoué. Belle and Sebastian (et c’est difficile de l’admettre) semble, pour la toute première fois, se parodier, écrivant des titres qui semblent tout droit sortis de l’usine à fabriquer des mélodies un brin calibrées, jolies, mais finalement avec peu de cachet. L’exemple en est donné dans ce « Read The Blesse Pages » au charme certain mais tout de même un peu poussif. Alors que le groupe nous avait habitués à de la haute couture, les chansons de W.a.L semblent, elles, plutôt taillées pour le prêt-à-porter. Des titres faciles et certes attrayants, mais un poil trop fardés pour paraître naturels. Un peu comme si le groupe avait voulu empiler des tonnes d’instruments et d’arrangements pour pallier (camoufler ?) le manque d’inspiration. Rien d’épouvantable en soi, cela dit, mise à part peut-être cette trahison insupportable : avoir invité Norah Jones sur le titre « Little Lou, Ugly Jack, Prophet John », chose que l’on jugera à la lumière de l’Histoire comme un manque évident de clairvoyance, voire même peut-être comme un acte contre nature. Sur le principe déjà, nous étions d’évidence réticents, mais on ne demandait qu’à se laisser convaincre… Sauf qu’à entendre la voix sirupeuse de Norah Jones miauler ainsi aux côtés de Stuart Murdoch, qui ne semble pas vraiment emballé non plus par la chose, on ne peux s’empêcher d’avoir une pensée nostalgique pour Isobel Campbell, qui doit quand même bien rigoler de là où elle se trouve.

On ne veut pas de mal à Belle and Sebastian. On ne voudra de toute façon jamais de mal à un ami à qui nous avons tenu la main durant tant d’années. Mais, comme à un frère que l’on chérirait plus que tout, on se doit également d’être sincère et de lui dire, parfois, ses quatre vérités. Il y a plus de quinze ans, Belle and Sebastian nous avait rendus malades d’amour pour sa musique crève-coeur qui parlait d’une voix singulière à nous autres, pauvres romantiques, qui aujourd’hui ne peuvent se résigner à déposer pudiquement un mouchoir sur la lassitude d’un groupe trop essentiel pour pouvoir abdiquer.

– Site officiel

– En écoute : « I didn’t see it coming »