Un lundi matin au cœur de l’hiver. Dans le métro d’une ville de ce pays. Les êtres peinent à se réveiller. Des esprits encore en week-end, des corps qui s’efforcent d’attaquer une nouvelle semaine.
En cette saison, cela semble plus dur que jamais. Fatigue et fatalisme se lisent dans les regards. Ça patine. La plupart des voyageurs n’ont même pas la force de parcourir les infos pré mâchées des quotidiens dits gratuits.
Au plus profond de la rame de transport souterrain, un quidam comme un autre. Pas tout à fait. Il porte des écouteurs reliés à un appareil préhistorique, encombrant pour l’époque. Un discman, comme on disait autrefois. À l’intérieur du boîtier plastique, un disque laser. Ce gars est un super héros d’avant la dématérialisation ; un dinosaure.
Dans ses oreilles, Humbling Tides, par Stranded Horse. Des vagues pacifiques dans son tête, dans son corps. Ceux qui croient au pouvoir d’évocation de la musique comprendront l’effet produit en ce moment précis : la compassion immédiate de l’homme debout pour ses semblables écroulés. Certaines musiques peuvent encore faire espérer en l’humanité, en sa douce faiblesse.
Dans ce métro, ce matin là, sous les lumières artificielles, une émotion, une nudité. Tous pareils, ni plus ni moins.
Artiste au parcours aventureux, Yann Tambour enregistre un premier EP en 2000 (Pente Est / Albeit Cale). Puis il devient Encre, de 2001 à 2006, le temps de deux albums (Encre et Flux), trois EP et un enregistrement live où il triture des samples de cordes, pour une musique aussi mélodique qu’expérimentale .
En 2005, entre deux créations d’Encre, il donne vie à un nouveau projet, Thee, Stranded Horse. La face acoustique de Yann Encre Tambour. Un format court, puis l’album Churning Strides en 2007. Et l’année suivante un nouvel EP, en compagnie du joueur de kora malien Ballaké Sissoko.
Car la face acoustique de Yann Encre Tambour se dessine à la kora, harpe-luth mandingue. Cet instrument de plus de vingt cordes distille une toile de sons en écho à la fois doux et précis, comme le scintillement d’un rideau de pluie.
La kora est un instrument qui fait dans la dentelle ; une harpe au sons plus courts, plus vifs et rythmés, tricotant des arpéges cristallins. Ballaké Sissoko est là, ainsi que Joseph Roumier, violoncelliste, et Carla Palone (Mansfield Tya), violoniste. Une pluie de cordes ; chaude, la pluie.
Aujourd’hui, Stranded Horse s’allège du Thee et sort le sublime Humbling Tides. Un album écrit à Bristol puis remis sur bande dans le Cotentin, d’où Yann est originaire.
Placée en ouverture, “And the shoreline it whitedrew in anger” est une belle introduction, mélopée enroulée sur elle même. D’emblée, on perçoit la voix comme le pendant harmonieux de l’instrument. Un instrument qui emplit l’espace comme une respiration garnie de trous d’air, un air chaud, comme une soirée face à un feu dans un désert bienveillant.
“Shields” emprunte un chemin buissonnier plus classiquement folk, avant que n’apparaisse le violon de Carla. Douce incision, envolée sensuelle. Doublée d’une guitare acoustique, la kora finit d’élever les ébats. “Les axes déréglés” touche également les sommets, Yann caressant la mélodie de mots en français, comme en suspension. Cette voix si proche qui, vers la fin du quatrième morceau, monte d’un ton, comme prise d’ivresse ; le chant d’un marin sans océan.
Plus loin, Stranded Horse reprend The Smiths. Comme des aimants, les opposés s’attirent ; “What difference does it makes” ? Aucune. L’un des titres les plus nerveux des mancuniens devient une ballade suspendue ; Hang the DJ ? Jamais de la vie !
“Halos” termine le voyage en points de suspension, en beauté, comme des reflets sur le sable, un miroitement à l’infini. L’homme au discman descend de la rame ; du bateau ou du cheval, il ne sait plus très bien. Il est juste heureux de ce qui vient de se passer. Dans son esprit, il oublie ses accès de violence urbaine, remercie Yann pour la paix ; et plonge dans la journée qui commence.
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« Shields » en extrait :