Nouvelle tribune libre accordée cette fois a un épicurien de la pop, Mehdi Zannad, plus connu sous le nom de code Fugu. Son nouvel album, signé sous son nom, Fugue, vient de paraître.
Fugu. J’avais trouvé ce nom à Newcastle, pendant mon année Erasmus, en 1993. Année pas très studieuse, pendant laquelle j’ai quand même donné forme aux premiers morceaux de Fugu, fait une maquette, harcelé Kitchenware (le label de Prefab Sprout qui est à Newcastle) et essayé de rencontrer mon héros, Ian Masters. J’aurais fait mon Erasmus, un peu plus au nord, à Glasgow à la même époque, l’histoire aurait été différente.
Je ne m’en suis quand même pas si mal sorti.
Les amis de ma bande d’archi n’étaient pas musiciens mais l’esprit y était. L’École d’Architecture de Nancy, dans un bâtiment provisoire Prouvé, construit en 1968 après les évènements de mai, marquait la séparation avec les Beaux Arts ; nos enseignants avaient donc fondé l’École. C’était, encore à l’époque où j’y étudiais, un lieu ouvert, où par exemple on faisait entrer des voitures dans le hall pendant les fêtes.
Je dois beaucoup à mes enseignants et je ne crois pas trahir ce qu’ils m’ont transmis en écrivant de la musique.
Ce qui est compliqué, c’est la représentation de la musique pour un architecte, car sa pensée oscille entre le pragmatique et la poésie (« l’art objectif » comme dirait Mies Van Der Rohe). J’essaie de montrer que la pop, la plus abordable des représentations, car elle est populaire et commerciale, contient la même réflexion, et que la réussite tient à ce qu’on ne la sente plus dans le produit fini. Qu’elle ait l’évidence d’un objet, d’une chaise par exemple. Qu’elle vive, qu’un temps restreint puisse se perpétuer à l’infini, l’infini mélodique et sa transmission : contre l’idée que la chanson est un art mineur, il faut y appliquer la rigueur nécessaire. J’aurais aimé avoir écrit « Frère Jacques » ou « Au Clair De La Lune ».
Je n’aime pas le spectacle, l’effet qui se consume aussitôt passé. Ce que je veux, c’est écrire une chanson de 3 mn qui s’écouterait toute une vie, comme d’autres l’ont déjà fait. Je pense qu’il y a un endroit où ces bonnes chansons sont stockées et que si on a de la chance on peut quelquefois y accéder.
Le test d’un bon morceau est qu’il sonne bien au travers d’une porte, en entendant seulement une bribe, en passant dans un couloir ou au travers d’un téléphone. J’avais vérifié ça dans les studios du Conservatoire : ça marche même avec des fausses notes.
Quand j’ai enregistré Fugu 1, en 99, c’était difficile de faire passer de l’anglais auprès d’une maison de disques. J’ai tenu bon et j’en suis fier. Pour moi ce disque est dans une catégorie à part de la « french touch » : une pop frontale en anglais sans élément électro, inspiré des 60’s et de la musique classique.
2011 : Mehdi Zannad « Fugue ».
J’ai autour de moi Xavier Boyer, qui a co-produit mes 2 derniers albums, Pedro Resende, des musiciens impeccables et une découverte avec « L’Allemagne » écrit pour le film de Serge Bozon, « la France » (je précise qu’il y a un autre compositeur sur ce film, Benjamin Esdraffo), où une alchimie a opéré avec la langue.
Je ne vis plus en Angleterre, l’expérience doit dicter l’écriture, je chanterai donc en français, sur tout un album. Il faut prolonger la magie, Serge écrira les paroles.
A chaque morceau, c’est douloureux, je vois le texte sortir de l’imprimante, il paraît désarticulé, sans rapport avec la mélodie, encore moins avec la version anglaise d’origine, je passe la soirée à répéter le phrasé, c’est bien, puis de mieux en mieux …je réclame la suite. Nous sommes en terre inconnue, l’excitation monte au fil des nouvelles paroles, avec cette angoisse qu’on n’y arrive plus. Ainsi pendant quelques semaines.
La veille de l’entrée en studio, il y a deux textes qui bloquent, il manquera donc les voix sur « Paresse » et « Au Revoir », ce dernier nécessitant une dizaine de versions pour Serge, que j’éreinte, mais qui trouve finalement ce que je cherchais.
« Barques » sera mon premier morceau vocal et le seul dont Serge n’a pas écrit les paroles : des harmonies pour entendre des voix masculines s’égosiller à retrouver une part d’enfance : « Ooouuh Aaaaah »
Mehdi Zannad sera en concert le 9 juin à La Loge, Paris 11e
– Lire également la chronique de l’album Fugue (Third Side Records)