The Fall, OoioO, Cheveu, Forest Swords, Ducktails, … Compte-rendu de deux soirées hautes en couleur stridentes.
Graduellement mais sûrement, le festival Villette Sonique a acquis au fil de ses six éditions l’équilibre subtil entre une programmation à la pointe de l’avant-garde et un lieu de rencontre populaire. Rarement en effet, sur Paris – plus précisément à l’est dans les prairies et jardins de la Cité des sciences – un festival aura su faire croiser une foule éclectique avec des musiques aussi extrêmes : de la transe saharienne du sextet Group Doueh au dubstep du londonien Kode9, en passant par le blues hardcore d’Oxbow… si l’organisation peut s’enorgueillir d’une fierté, c’est bien celle-là, de rassembler tous les horizons, aussi bien culturels que sociaux.
Membres de l’ethnie indie pop, notre soif de découverte nous a orientés lundi soir vers la Géode, immense boule de pétanque creuse de la Cité des Sciences. Le cinéma à écran hémisphérique y accueillait dans un cadre futuriste quelques mystérieux ovnis de l’édition 2011. En ce lieu qui donne la sensation d’être assis en orbite dans le vaisseau de 2001 l’Odyssée de l’espace, le liverpooldian Forest Swords ouvrait la soirée. Pour une première apparition française, le cadre se prête idéalement au set du dj/producteur et à ses collages sonores, l’écran projetant simultanément un film mystico naturaliste. Durant plus d’une heure, le discret jeune homme, caché par une casquette bien vissée sur la tête, fixe son laptop et empile d’impressionnantes couches de drones et de samples aux relents dubsteps, downtempo, techno voire acid-world. Son enthousiasme s’exprime en levant parfois la tête vers l’écran géant panoramique au-dessus de lui, ravi du résultat… L’expérience visuelle et musicale, bien que captivante, s’avère sur la longue un brin soporifique, trop confortablement installés que nous sommes dans ce cadre elliptique.
Vient ensuite la petite sensation pop lo-fi du moment, Ducktails. Matt Mondanile, chanteur/guitariste à lunettes (façon Buddy Holly) et unique cerveau de ce faux groupe (il enregistre ses albums en autarcie) s’excuse de ne pas avoir de film à projeter sur l’écran. Qu’importe, les pédales d’effets des guitares se chargent de colorer l’atmosphère. Débarrassé de l’enveloppe lo-fi sur microsillon, la pop ingénue du quatuor trouve sur scène un nouvel éclairage, et permet de mieux mesurer la beauté fondue des arpèges. Avec son usage abusif de Flanger, certains ont parfois comparé Ducktails à Panda Bear, mais dans le contexte purement « live », son jeu de guitare très particulier nous rapproche plutôt des merveilleuses digressions harmoniques d’un Avi Buffalo. « Hamilton Road », « Don’t Make Plans » et « Killin Vibe », issus du tout récent III Arcade Dynamics, risquent prochainement de squatter toutes les blogs buzzophiles de la terre.
On a fait ce soir là l’impasse sur Julian Lynch, mais dès le lendemain nous étions bien au rendez-vous salle Charlie Parker. Dans cette immense salle au faux air de hangar, I Apologize exhale un parfum de décadence en ce début de soirée, emmené par le maître provocateur et chanteur Jean-Luc Verna. L’artiste plasticien a troqué ses crayons pour une combinaison de cuir noir fétichiste, émanation de Siouxie Sioux dans un corps bodybuildé. Entouré de trois musiciens (guitare, batterie, machines), sa voix qu’il module à foison revisite T-Rex et Giorgio Moroder au son cold wave des années 80. Une performance rock, qui remet au goût du jour cold wave et théâtralité. C’est ensuite au tour du trio electro-punk parisien Cheveu, que précède leur réputation scénique, au vu de l’accueil chaleureux du public. Au travers d’un set très efficace, les musiques extrêmes (musique industrielle, hip hop, noise, heavy metal, punk, garage, techno…) se confondent sans complexe dans une ode bruitiste efficace, voire régulièrement galvanisante.
On sait le pays du soleil levant habile lorsqu’il s’agit de manier les baguettes avec dextérité (et pas seulement sur le plan culinaire). Les souriantes nippones d’OoioO, portées par l’impressionnante Yoshimi P-We, illustre batteuse des Boredoms, en ont même fait leur principal atout. Derrière son immense kit, cet élégant petit bout de femme impressionne en multipliant les polyrythmies et roulements tribaux, servie avec en contrechamp par des guitares minimalistes dissonantes et des cris d’amazones nippones, langage exotique dont qui nous est, évidemment, totalement inconnu. Fascinant contraste entre cette section rythmique hyper technique et cette dynamique mélodique quasi primitive. Une joyeuse tribu cosmique, sorte de ESG sous perfusion LSD.
Son éminence Mark E. Smith se fait attendre, les organisateurs ont certainement redouté jusqu’à la dernière minute l’annulation de The Fall, le groupe étant coutumier du fait, et tout particulièrement en France. Il est onze heures, lorsque les lumières de la salle s’éteignent enfin. Un DJ fait son entrée, triture sur l’écran des vidéos de Jacques Brel et Black Sabbath durant les dix minutes les plus longues de la soirée. Finalement, les musiciens se décident à rejoindre un par un la scène, petite mise en scène qui prolonge encore l’arrivée du charismatique leader. Le parrain fait son entrée cinq minutes plus tard : un peu creusé par les années, le pas lent mais toujours étonnamment en verve, le tenancier et sa gouaille inimitable se chargent de faire le reste. Le « show » peut alors enfin commencer. Car les concerts de The Fall sont ainsi, c’est un véritable spectacle. Signe que le patron tient la barre, Mark E. Smith s’approche de l’ampli du guitariste et tourne les potards au maximum… le geste est évidemment calculé, comme jadis James Brown mimant l’épuisement, mais tout ce cirque est séduisant. Et puis quel plaisir de voir le chanteur caractériel balancer les gobelets de bière avec dédain sur la foule. Le groupe est, comme de tradition, constitué aux trois quarts de jeunes et vigoureux (voire baraqués pour la section rythmique) musiciens. The Fall marque 2011 enchaînera jusqu’à l’heure du dernier métro quelques inoxydables classiques de la période Grotesque, This Nation’s Saving Grace, avec tout de même une bonne préférence pour le dernier album, un excellent cru digne de sa légende. Ce soir là, Mark E. Smith l’était aussi.
Copyright photo : Sylvain Rivaud (galerie Flickr).