Entretien avec les fins cockneys de la brit pop, à l’occasion de leur classieux second album, Into The Murky Water.


Si, comme votre humble serviteur, le dernier Fleet Foxes vous semble inextricablement comme bloqué sur la touche « repeat » du premier album, on ne saurait que trop vous conseiller de jeter votre dévolu sur le merveilleux second opus de The Leisure Society. Trois ans après un charmant premier essai folk/pop, The Sleeper, la formation londonienne emmenée par le chanteur/compositeur Nick Hemming a sérieusement révisé ses ambitions à la hausse. Into The Murky Water vogue désormais vers les courants ô combien chavirés des orchestrations luxuriantes, tout en gardant solidement le cap de la perfect pop song. Ce cercle d’orfèvres élabore des pièces montées tournoyantes, avec notamment le renfort de musiciens issus de la prestigieuse Trinity Music College de Londres. Grâce à ce brillant instantané d’élégance à l’anglaise, The Leisure Society joue désormais dans la cour de The Divine Comedy.

En bonne société, les trois gentlemen Nick Hemming, Christian Hardy (clavier, arrangements) et Mike Siddell (violon, arrangements de corde) nous révèlent les cartes de leur passionnante aventure.

Pinkushion : À l’écoute de ce second album, on est d’abord frappé par le soin porté aux arrangements. Il faut l’écouter au casque pour pleinement mesurer le souci du détail. Il est évident que vous avez franchi un nouveau palier en termes de sophistication.

Nick Hemming : Merci ! Et absolument, cette sophistication est ce à quoi nous aspirions après notre premier album. Mick (Sidell, violons) a composé des arrangements de cordes pour violon, chose que nous n’avions jamais faite auparavant. Avant d’enregistrer, nous devions nous organiser pour parvenir à réaliser l’album que nous avions en tête. Cela a vraiment été un énorme travail en amont pour mettre en place toutes ces orchestrations, il a fallu apprendre, travailler méthodiquement, afin de voir ce qui fonctionnait ou pas. Nous avons beaucoup réfléchi, car nous étions conscients qu’il fallait passer à l’étape suivante après le premier album. On a voulu essayer tout ce qui nous passait par la tête. Cela a pris tellement de temps qu’on aurait pu y rester (rire).

Christian Hardy (clavier, arrangements) : Pour le premier album, il n’y avait pour ainsi dire pas de plan. On enregistrait les chansons de Nick, puis on peaufinait avec des arrangements. Into The Murky Water est le travail d’un véritable groupe : nous avons beaucoup joué ensemble, essayé différentes choses. Il fallait que ce disque sonne parfaitement. Et pour obtenir ce résultat, il faut prendre le temps qu’il faut. On a donc décidé de réaliser l’album par nous-mêmes, avec nos propres moyens. Comme cela, on n’avait pas à trop s’inquiéter du coût. Nous avons aussi eu l’opportunité de travailler avec davantage de musiciens que par le passé. La petite amie de Nick étudie dans une université de musique à Londres. Nous avions ainsi accès à des musiciens, des chœurs, des centaines d’instruments… Il existe des dizaines de différentes versions de chaque chanson avant celle définitive.

Sur votre premier album, douze musiciens étaient crédités…

Christian Hardy (me coupant enthousiaste ) : …cette fois il faut bien en compter entre 25 et 30.

Christian Hardy, The Leisure Society, mai 2011

Nick Hemming : Il y a un noyau habituel de sept musiciens qui joue sur chaque morceau. Puis, se sont greffés des musiciens de l’université pour venir jouer différentes choses.

Détail intéressant, la conception de l’album s’est déroulée en trois étapes. La première est plutôt particulière : vous avez composé les chansons lors d’un road trip en solitaire sur la côte britannique !

Nick Hemming : Oui, c’est sur la route que sont nées les paroles de l’album. J’avais ces démos brutes enregistrées sur une guitare ou un piano. Je les ai gravées sur un CD, puis je les écoutais dans la voiture en chantant dessus, pour essayer de trouver des paroles. Ce fut en quelque sorte l’ébauche de l’album.

La deuxième étape s’est déroulée avec le groupe dans la campagne du Kent, où vous aviez loué une ferme.

Nick Hemming : Ce fut vraiment un plaisir que de passer deux semaines dans cette grande résidence. Nous avons beaucoup répété avec le groupe durant cette période pour trouver des idées. Et puis on pouvait jouer de la batterie tranquillement.

Christian Hardy : C’était différent car il n’y avait pas d’orchestre autour de nous, juste le noyau du groupe. C’est à partir de là que le travail de groupe a commencé.

Finalement, la plus longue période d’enregistrement s’est en fait déroulée dans l’appartement de Nick.

Nick Hemming : Oui (rire). C’était davantage une phase d’expérimentation. Par exemple nous n’avions jamais enregistré un saxophone sur une piste jusqu’ici. On expérimentait des sons. L’idée n’était pas d’inclure ces enregistrements sur l’album, mais de voir comment le résultat sonnait. On a passé un temps fou sur certaines sections avant d’être pleinement satisfait du résultat.

Mick Sidell (violons): La plupart d’entre nous vit à Londres. C’est agréable de pouvoir se réunir si facilement : Nick me passe un coup de fil et je rapplique chez lui. Il n’y a aucune sorte de deadline pour enregistrer.

Mike Siddell, The Leisure Society, mai 2011

Vous semblez particulièrement fiers sur cet album d’avoir mis un point d’honneur à utiliser exclusivement des instruments authentiques : cordes, theremin, clavecin, marimba, flute traversière, etc.

Christian Hardy : Il n’y a rien sur cet album qui ne soit interprété par un vrai musicien. Nous avons éradiqué la technologie. Et nous en sommes particulièrement fiers, car beaucoup de groupes de nos jours prennent des raccourcis, obtiennent ce qu’ils veulent par des moyens détournés. Et cela sonne faux.

Nick Hemming : On essaie de sonner authentique. Nous n’avons fait aucun compromis. Par exemple, pour le son de clavecin, nous voulions absolument en utiliser un vrai. Ce fut difficile à dénicher, mais il aurait été moins subtil d’utiliser un son de clavier à la place. Mais pour aujourd’hui par exemple nous allons faire une petite exception (montrant un petit synthétiseur se trouvant à proximité, qu’ils utiliseront plus tard pour une session radio). (rire)

En même temps, on peut considérer que c’est un Casio traditionnel…

Christian Hardy : Authentique en effet ! (rires)

En 2008, The Leisure Society était avant tout le projet de Nick Hemming et de Christian Hardy. Est-ce toujours le cas, ou bien le projet a-t-il évolué en tant que groupe ?

Christian Hardy : Je dirais les deux.

Nick Hemming : Nous voulions cette fois qu’un vrai esprit de groupe transparaisse sur disque. Après le premier album, nous avons beaucoup tourné, joué sur scène, les liens se sont resserrés. On voulait partager cette expérience commune. C’est pourquoi nous sommes partis dans la campagne pour répéter ensemble. On voulait que ce soit plus qu’un projet studio.

Mike Siddell, vous vous occupez des arrangements sur l’album. Quel est votre part de contribution?

Mick Sidell : Nick avait une vision précise de comment devait sonner l’album. Pour arranger une chanson, il faut avoir un maximum d’idées. Généralement Mike me prête mains forte et fait en sorte d’harmoniser mes arrangements de cordes, de tirer mes idées vers le haut tout en apportant aussi les siennes. Chacun apporte sa pierre à l’édifice. En studio, on donne en quelque sorte un coup de fouet sur le travail des arrangements. Puis sur scène, il se passe comme une séparation, chacun est concentré sur sa section. Et lorsque les parties fusionnent et que tout s’imbrique, les arrangements forment un tout, prennent sens.

Christian Hardy : A titre d’anecdote, je me souviens que Mike travaillait sur des arrangements de cordes sur la démo de « Just Like The Knife », le dernier morceau de l’album. Et puis le téléphone portable de Nick s’est mis à sonner. Mike aimait la mélodie et s’en est inspiré pour écrire sa partie de violon. Il y a définitivement davantage de Mike sur cet album que sur le précédent.

Nick Hemming, The Leisure Society, mai 2011

Avant The Leisure Society, vous avez tous connu d’autres expériences musicales. Nick Hemming a notamment été le guitariste de The Telescopes dans les années 90, avant de se tourner vers les musiques de film. Je suppose que cela vous apporte une certaine philosophie, un recul, que les jeunes groupes n’ont pas.

Nick Hemming : Nous parlions justement de cela tout à l’heure.

Christian Hardy : Ce que vous dites est exact. Nous avons tous joué dans un groupe, à des niveaux relatifs. Maintenant que nous avons un peu de succès, nous prenons les choses plus au sérieux, que ce soit pour une session radio, chaque fois que nous sommes en studio, que nous faisons un entretien… du moins lorsque nous ne sommes pas saouls (rires). Sérieusement, on fait de notre mieux. On se sent très honorés d’avoir un public qui s’intéresse à notre musique. Lorsqu’on est jeune, on veut seulement être célèbre, baiser des filles et être saoul. Et quelque part c’est toujours vrai (rires). Mais maintenant, la musique est devenue notre priorité. On ne veut pas tout gâcher. Après dix ans passé à jouer les rock stars, il faut passer à autre chose.

Combien de musiciens vous accompagneront sur scène ?

Nous serons sept pour cette tournée. Violon, violoncelle, basse, batterie, flûte. Nick et moi jouons de la guitare, banjo, et claviers, ukulele… Nous sommes un peu fêlés (rires). Mais nous avons hâte de partir en tournée, on prend beaucoup de plaisir à jouer ensemble. C’est sûr que c’est plus difficile à gérer avec sept personnes : il faut payer tout le monde, trouver un hôtel où dormir, manger, etc. Mais nous n’aimons pas les compromis. Même si nous n’en tirons pas de profit, on le fait de toute façon.

Musicalement, on perçoit de la nostalgie dans vos chansons mais elle est souvent contrebalancée par un sentiment de joie.

Nick Hemming : C’est certainement vrai, musicalement et au niveau des paroles. Du temps du premier album, j’étais dans une phase assez déprimée. Composer des chansons m’aidait à exorciser. Pour le second album, les paroles portent un regard différent sur cette période de déception, on réalise qu’il y a une raison pour tout. Donc oui, c’est en quelque sorte une nostalgie, un regard en arrière sur des temps autrefois difficiles. Sur le plan musical, cela nous vient naturellement de sonner optimiste en utilisant des violons ou des flûtes… Je pense que c’est ce qui caractérise The Leisure Society, cet équilibre entre des paroles douces-amères et des mélodies joyeuses. C’est notre signature, dirons-nous.

La critique a tendance à vous classer dans la catégorie folk, mais à vrai dire vos chansons se rapprochent davantage de la pop orchestrée de The Divine Comedy.

Nick Hemming : Voilà qui fait plaisir à entendre (rire). C’est aussi notre sentiment. On ne se sent pas vraiment comme un groupe folk. Nous utilisons juste des instruments authentiques, je pense que c’est pour cela que les gens nous classent ainsi. Notre sensibilité se rapproche plutôt des groupes pop des années 60. Mais The Divine Comedy est définitivement une inspiration. Je peux voir les parallèles avec l’usage des orchestrations que nous faisons, les paroles… Nous avons d’ailleurs rencontré Neil Hannon plusieurs fois. Récemment, on a tous deux été nominés en Grande Bretagne pour le même prix dans la catégorie « meilleur songwriter ». Nous avons finalement perdu tous les deux. Après la cérémonie, nous sommes partis boire ensemble au Pub. On s’est saoulé pour oublier, ce fut plutôt drôle.

Et qui a gagné le prix alors ?

Christian Hardy : Lilly Allen… et oui. Nous pleurions avec Neil Hannon en criant “Fuckin’ Lilly Allen !” (rires). Ce n’était pas très élégant, même embarrassant avec du recul.

The Leisure Society, mai 2011

« You Could Get Me Talking », est une chanson un peu spéciale sur l’album, il y a un côté irlandais assez prononcé, on pense notamment aux Pogues.

Nick Hemming : Je vois ce que vous voulez dire au sujet des Pogues, la mélodie des violons s’en rapproche. A l’origine quand j’ai écrit ce morceau, c’était plutôt dans l’esprit des Shins. Pour tout dire, la mélodie des violons était interprétée à la guitare, c’était très brut. L’ajout des violons et de la flûte lui a apporté cette couleur folk unique. J’aime son côté entraînant.

Enfin, quelle est la signification de ce titre, Into the Murky Water (ndlr : en eaux troubles) ?

Nick Hemming : J’ai écrit cette chanson il y a deux ans. Les paroles étaient inachevées, seulement le refrain et cette phrase qui me trottait dans la tête « Into the Murky water ». J’avais dans l’idée d’écrire un texte sur les incertitudes de la vie, sans vraiment savoir où j’allais. Plus tard, j’ai trouvé des similitudes dans ce thème avec le livre La chute de Camus. Je m’en suis inspiré pour terminer les paroles. C’est la petite touche française de l’album (sourire).
Sinon, j’aime aussi beaucoup L’étranger. Le livre a seulement une centaine de pages, mais le style est très dense, il y a tellement d’idées. Cela m’a pris une éternité pour le lire, j’y suis revenu plusieurs fois. Pas facile à lire, mais c’est très intelligent. Ce livre m’a beaucoup marqué.

Enfin question rituelle, pouvez-vous citer vos cinq albums préférés ?

Nick Hemming :


The Beach Boys – Friends / 20/20

The Kinks – Arthur

Bill Callahan – Sometimes I Wish I Was an Eagle

The Divine Comedy – Absent Friends

Belle & Sebastian – Tigermilk

Christian Hardy :


Department of Eagle – In Ear Park

Loney Dear – Dear John

Nick Drake – Five Leaves Left

Joni Mitchell – Blue

Kanye West – My Twisted Far

Mick Sidell :


Bright EyesI’m wide awake it’s morning

Dead Boys– S/T

Led Zeppelin – House of the Holy

Beatles – Let it be

The Leisure Society, – Into The Murky Water ( Full Time Hobby / Pias)

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