Désormais en confiance, le trio du New Jersey dévergonde ses timides harmonies, amplifiées d’arpèges cotonneux. Un second album « estatique ».
Séparé de Manhattan par la majestueuse frontière de l’Hudson River, le petit État du New Jersey peut se targuer d’avoir enfanté quelques icônes légendaires du rock : Pour le meilleur avec le héros prolétaire Bruce Springsteen… mais aussi pour le pire, avec Bon Jovi et ses ballades FM peroxydées…
La frange « indé » a aussi ses légendes locales, tel le trio d’Hoboken Yo la Tengo, qui contribue depuis plus de 20 ans à donner ses lettres de noblesse à la pop arty. Autres figure tutélaire du genre, The Feelies, de la bourgade de North Haldeton, tout récemment reformé. Les mélodies pures de leur cinquième opus paru cette année – en 35 ans de carrière – semblent n’avoir aucune emprise sur le temps. Il est de ce fait étonnant de constater à quel point la fameuse pochette de leur premier album, Crazy Rhythms (1977), où les quatre jeunes musiciens posent affublés de leurs lunettes (enfin la moitié d’entre eux), continue d’influencer aujourd’hui l’esthétique du rock indépendant.
Depuis peu, le club s’est agrandi sur les terres fertiles du New Jersey. À une cinquantaine de kilomètres du fief des Feelies, le trio Real Estate de Ridgewood, perpétue le flambeau de cette noble lignée –notamment par leur allure d’étudiants timides en biochimie. Au-delà de l’image, les amis d’enfance Martin Courtney (guitare/chant), Matt Mondanile (guitare, également membre de Ducktails) et Alex Bleeker (basse) ont surtout retenu les leçons des trois premiers albums « rudimentaires » des Feelies, une configuration minimaliste dans laquelle s’épanouit leur identité très pop. Non exempt de ses défauts de jeunesse, le premier album éponyme Real Estate (2009) révélait pourtant déjà une éthique rigoureuse, focalisée autour d’un son de guitare claire et des harmonies vocales rêveuses. À peine marquent-ils leur griffe guitaristique d’une pédale d’effet au son un peu étrange, une réverb « moelleuse » comme un nuage shamallow. Aussi légère soit-elle, la paire Mondanile/Courtney est capable de sérieux tricotages d’arpèges à la manière de Television, (sur « All the same », l’ultime morceau de ce disque qui s’étire sur sept minutes).
Days, second album promu chez Domino, est une incontestable réussite. Le musicien et producteur Kevin McMahon (The Walkmen) s’est chargé de donner de l’ampleur au son du trio, sans faire de concession à la finesse artisanale qui les caractérise (la batterie, quatrième poste, est assurée par des musiciens intermittents). Dès Easy, les six-cordes stratosphériques sont de toute beauté. Martin Courtney, principale songwriter du groupe, est certainement l’un des plus talentueux mélodistes ayant émergé depuis James Mercer de The Shins. Plus particulièrement sur le mélancolique « Out of Tune », où s’invitent les claviers du génial Daniel Lopatin, (Oneohtrix Point Never). Même lorsqu’il s’agit de se fendre d’un refrain d’apparence facile sur It’s Real – avec ses irrésistibles oh !oh ! – Real Estate émane une élégance qui les range très loin de l’hymne grossier pour stadiums.
Parmi les 10 titres impeccables qui garnissent l’album, signalons deux remarquables compositions non écrites par Martin Courtney : « Wonder Years », une folk song rêveuse composée et chantée par Alex Bleeker, et le cotonneux « Kinder Blum » signée de Matthew Mondanile, où l’on retrouve la touche surf des Ducktails. Enfin quoi de plus audacieux que d’intituler un morceau « Younger Than Yesterday », clin d’oeil à l’album mythique des Byrds, autres Princes des arpèges réverbérés et des chœurs renversants. « Plus jeune qu’hier », on ne pourrait mieux définir cette vieille marotte que l’on prénomme la pop à guitare, et dont Real Estate semble connaitre les secrets de jouvence.
Real Estate – « Its Real »