Rencontre début avril avec Colin Caulfield, le jeune-homme qui se cache derrière le projet Young Man.


Fin avril, Young Man se produit en solo sur la scène du Point Éphémère, haut lieu d’activités culturelles fortes en décibels du canal Saint Martin. Les traits de son visage juvénile sont naturellement mélancoliques, même lorsqu’il sourit, ce qui est souvent le cas. Il nous dit être très heureux de passer quelques jours à Paris. Le Chicagoan Colin Caulfield parle français. Il a même vécu quelques mois dans la capitale, mais préfère s’exprimer en anglais durant l’entretien pour ne pas chercher ses mots. Le garçon répond généreusement à toutes nos questions, y compris à notre fixation sur les portraits des pochettes d’album.

Pinkushion : Quel est le concept de Young Man ?

Colin Caulfield : J’ai commencé à écrire de la musique à l’université, il y a quatre ou cinq ans. Durant cette période j’ai appris à maîtriser la technique, comment enregistrer mes chansons. Certains morceaux datant de cette période figurent sur ce nouvel album et sur le EP Boy paru l’an dernier. C’est quand j’ai réalisé qu’elles reflétaient une transition entre la jeunesse et l’âge adulte que Young Man s’est cristallisé. Mes premiers EPs étaient conceptuels, très introspectifs, axés sur l’enfance, c’était une introduction en quelque sorte à ce projet. Les choses ont depuis évolué. Dorénavant, Young Man me reflète aujourd’hui en tant que personne, à l’instant présent. Mais les chansons peuvent être perçues de manière universelle, ça ne parle pas juste de moi, elles peuvent aussi toucher n’importe qui. Car tout le monde passe ou est passé par cette étape.

On a évoqué une trilogie autour du concept de Young Man.

Oui. Volume 1 est en fait la seconde partie de cette trilogie. La première étant le EP Boy (Frenchkiss Records, 2011), qui n’est pas paru en Europe. Et j’ai juste terminé le troisième volet le mois dernier, à New York. La trilogie est donc complète, le second volume devrait sortir l’année prochaine, en février je pense. Ensuite, le projet sera terminé. J’ai toujours considéré Young Man comme quelque chose d’éphémère, un état de transition. J’ai grandi et ce projet n’est donc plus pertinent pour moi. J’ai envie d’explorer d’autres thèmes. Ce Volume 2 sera donc le volet final de cette trilogie.

Vos futurs projets ne porteront donc pas le nom de Young Man ?

Exactement. Et je ne sais pas ce que le groupe fera, peut-être que nous continuerons à faire de la musique ensemble. Peut-être avec un groupe différent… Je veux faire d’autres choses, il faut aller de l’avant.

Colin Caulfield, Paris, mai 2012

À vos débuts, Young Man était un projet solo, qui depuis s’est transformé en un véritable effort de groupe.

Oui. Nous sommes devenus un vrai groupe. Le nouvel album, Volume 1, est le premier que j’enregistre entouré de musiciens. Au début, j’enregistrais seul dans ma chambre d’étudiant avec mon quatre-pistes. Depuis, nous avons enregistré dans un studio, le projet a beaucoup évolué.

Comment s’est déroulée cette étape délicate entre le musicien lo-fi que vous étiez à celui de musicien de studio ?

Ce fut assez difficile. Enregistrer en studio offre de nouvelles possibilités, mais aussi des restrictions pour le musicien amateur que j’étais. La qualité d’enregistrement est indéniablement supérieure en studio, par contre on travaille dans un temps limité avec un producteur, et cela coute cher. Dans le registre lo-fi, on peut passer beaucoup plus de temps sur les chansons, ce qui fut le cas notamment pour le EP Boy. J’aime travailler sur des petits détails, prendre mon temps. Les EPs exploraient différentes textures, tandis que Volume 1 a une sonorité plus « live ». Mais j’aime ces deux façons de fonctionner. Ce sont deux approches très différentes. En studio, on doit prendre des décisions importantes très rapidement. On essaie de capturer la magie du morceau. Les chansons sur lesquelles on travaillait depuis si longtemps prennent vie, mais c’est difficile de les contrôler. Les deux expériences sont bénéfiques.

Cette sensibilité « live » dont vous parlez, est perceptible sur un morceau comme « Thoughts », le deuxième titre de l’album. L’alchimie de groupe y est particulièrement perceptible.

J’ai enregistré une démo de ce morceau il y a bien longtemps. Je pense que c’est la première chanson de Young Man que j’ai écrite. Celle-ci, ainsi que « Do » et « Directions », ont été écrites il y a si longtemps. La démo était davantage atmosphérique, bien moins intense. L’apport du groupe a été essentiel pour élever la chanson, sans non plus froisser son intimité initiale. C’était le but aussi de cet album que de faire muer mes chansons avec l’apport du groupe.

Pourquoi avoir jeté votre dévolu sur John McEntire, producteur phare de la scène de Chicago et tête du groupe Tortoise ?

Nous étions de grands fans de Tortoise. John est un producteur très réputé à Chicago, il a également son propre studio. Je suis originaire de St-Paul dans le Minnesota, mais j’ai déménagé depuis quelques années à Chicago. Choisir John avait du sens d’un point de vue logistique, car c’était notre première fois en studio. Mais avant tout, nous sommes de grands fans, et ce fut vraiment une riche expérience de collaborer avec lui.

Le son des guitares est très réverbéré, voire éthéré. Êtes-vous satisfait du son que vous avez obtenu sur cet opus ?

(En pleine réflexion…) J’en suis assez satisfait, oui. Nous avons beaucoup parlé avec John de ce que nous voulions obtenir en studio, et de ce que nous ne voulions pas. C’était vraiment un processus d’apprentissage. Je n’en suis pas totalement heureux, mais je pense que c’est en partie de notre faute, car d’une certaine manière, nous ne savions pas quoi faire. Tellement de possibilités s’offrent à nous en studio… Nous travaillons dans des circonstances complètement différentes, et d’autres paramètres rentrent alors en ligne de compte sur la manière d’enregistrer. Mais les sons que nous avons obtenus sont très bons. Il y a quelques grands moments lorsque les parties de chaque musicien se télescopent.

Avez-vous enregistré d’autres morceaux lors des sessions avec John McEntire ?

Il y a en effet une autre chanson, elle s’intitule « Problem ». Le morceau avait quasi le potentiel d’un single, mais il ne fonctionnait pas en studio. Nous avons essayé par deux fois de l’enregistrer, ce fut très difficile de le capturer. C’est un autre aspect du travail en studio : il faut s’accorder avec le fait que, parfois, les choses ne vont pas fonctionner comme on l’entend. Et si vous vous énervez trop, vous risquez de perdre la tête ! Tout dépend de l’énergie dans la pièce lorsque vous enregistrez, comment vous abordez le morceau… C’est tellement important. Pour « Problem », je ne savais pas comment l’enregistrer, où aller. J’étais comme bloqué.

L’album contient seulement neuf chansons. Préférez-vous les albums courts ?

Difficile à dire… Probablement parce que le format correspond avec la durée du LP vinyl. Personnellement, j’aime toujours écouter des albums en entier. C’est plus difficile de rentrer dedans lorsque celui-ci dure une heure. Avez-vous écouté le triple album de Joanna Newsom ? C’est un disque très long, que j’aime d’ailleurs beaucoup, mais que je ne peux pas écouter en entier. (silence…) Tout dépend en vérité. Un album n’est jamais trop long pour une certaine expérience d’écoute. D’un autre côté, j’aime l’idée qu’elle propose un si riche contenu sur un seul format. Et je suppose que son intention n’était pas de toute manière de forcer l’auditeur à tout écouter en entier d’un trait. Mais j’aime aussi les disques courts, comme le Devotion de Beach House. Tout dépend de l’album en vérité, je préfère simplement les bons albums… (sourire)

Le format court était donc approprié pour Volume 1.

Les chansons sont en fait assez longues. L’album dure 41 minutes, ce qui est plutôt standard. Et c’est assez facile de l’écouter ainsi.

Colin Caulfield, Paris, mai 2012

Votre portrait qui illustre la pochette de l’album est intrigant. Qu’aviez-vous en tête ?

La pochette était en fait un peu différente au départ. La séance photo s’est déroulée chez moi. J’étais sur mon canapé entouré d’amis, tous biens habillés pour l’occasion. Un peu comme pour le Ys de Joanna Newsom. Et puis finalement mon ami a eu cette idée simple, que je pose de profil face à l’objectif. C’est un disque très personnel, très autobiographique, même s’il a été enregistré avec le groupe. C’était une période difficile pour moi. Toutes les paroles sont à la première personne, et honnêtes. En conséquence, présenter seulement mon visage semblait évident.

On ne voit plus trop ce genre de portraits-photo sur les pochettes d’albums, contrairement aux années 60/70. C’est dommage. Aviez-vous en tête d’autres visuels comme source d’inspiration ?

Mmm… Townes Van Zandt a une pochette d’album similaire, on voit son visage du même profil. J’aime cette idée… Je pense que ce genre de visuels redevient populaire ces derniers temps, depuis d’ailleurs l’album de Joanna Newsom. Cela pourrait être sympa comme revival, car la musique devient de plus en plus anonyme… enfin, je ne dirais pas malhonnête, mais fausse. Il y a tellement de musique… Pas toute la musique, mais certains projets que j’entends ne me semblent pas authentiques, limite paresseux, je ne peux pas m’y identifier. Peut-être que les musiciens qui utilisent ce genre de portrait essaient d’être eux-même. On ne se cache pas derrière quelque chose.

Dernière question, quels sont vos cinq albums favoris ?

J’aime beaucoup Devotion de Beach House, je l’écoute toujours beaucoup. Je choisirais ensuite un album des Beatles. Peut-être Abbey Road, car il dégage vraiment la cohésion d’un album. Sgt Pepper est peut-être meilleur, mais je ne ressens pas cette homogénéité. Ensuite… Feels par Animal Collective. Il y a aussi Pop, de Gas, le projet ambient/minimaliste de Wolfgang Voigt, également patron du label allemand Kompakt. Laissez-moi regarder sur mon portable ce que j’ai en stock… Enfin, je dirais The Runners Four, de Deerhoof.

Et cinq nouveaux groupes ?

Here We Go Magic, avez-vous écouté le nouvel album ? La production est tellement bonne ! Quoi d’autres ? Girls, Twin Shadows, et puis aussi Golden Retriever, des musiciens ambient de Portland… J’ai aussi beaucoup aimé le premier album de Lower Dens, mais j’ai un peu de mal avec leur nouvel opus. Il m’a fallu huit écoutes pour commencer à l’apprécier.

Lire également la chronique de Young Man, Volume 1