Avec son nouveau groupe, l’ex-Sonic Youth Thurston Moore retourne à l’exploration du vacarme en mettant le feu aux guitares. Comme on dit, ça déménage.
Depuis le silence de Sonic Youth en 2009, ses illustres membres multiplient avec bonheur les expériences. Après l’escapade pop de Lee Ranaldo (son Between the times and the tides de 2012 reste toujours aussi addictif), celles plus obscures de Kim Gordon (Body/Head) et de Steve Shelley (Disappears), c’est Thurston Moore qui prend ses libertés avec, non pas un projet solo, mais un tout nouveau groupe. Chelsea Light Moving – nom d’une boîte de déménagement fondée dans les 60’s par Philip Glass – est donc un quatuor composé du vétéran new yorkais (chant, guitare), Samara Lubelski (basse), John Moloney (batterie) et Keith Wood (guitare). Moins connus que leur mentor, mais musiciens confirmés néanmoins – ils ont joué dans divers groupes dont The Sonora Pine, Jackie O Motherfucker, Sunburned hand of the man… – ils semblent ici procurer à Thurston Moore un surcroît de puissance que Sonic Youth n’offrait plus depuis longtemps. Le gang avait déjà posté quelques extraits sur le net l’année dernière, et la teneur en bruit semblait prometteuse. Une attente grandissante pour un premier album aux promesses largement tenues.
Les dix titres de ce disque éponyme suivent les obsessions habituelles du noise rocker géant : musiques bruitistes (no wave, noise, punk et hardcore), littérature beat, et New York en éternelle toile de fond. « Heavenmental » est une entame trompeuse : son calme apparent rappelle ses derniers travaux solo, Demolished Thoughts notamment. Sur le reste du disque, le quatuor bruitiste explore les joies du vacarme en mettant le feu aux guitares sur des épopées de 5 à 7 minutes. On ressort de « Sleeping where I fall » abasourdi, comme si la fureur sonique s’était réveillée après un trop long sommeil.
La structure des morceaux se déploie de manière presque progressive, tel l’épique « Alighted » ou le quatuor s’engouffre dans une sorte de heavy metal, entrecoupé de pop et de noise brûlante. « Empires of Time » décline encore cette lourdeur, inédite chez Thurston Moore. Il y clame son drôle de manifeste : « We are the third eye of rock’n’roll ». CLM n’hésite pas à se lancer dans des cavalcades punk (la fin de « Groovy & Linda », « Communist eyes »).
Tendu, brut, parfois sauvage, ce disque sonne comme une cure de jouvence pour le fondateur de Sonic Youth. Ses messages beat et cryptiques, ses références au punk originel (la reprise de Germs en fin de disque), ses colères bruitistes pètent à la figure comme rarement. Excepté le premier titre et « Mohawk », bulle poétique dans un océan de bruit, ce premier album est un nouveau traité de rock’n’roll des plus jouissifs. Une belle réussite pour une figure du rock indépendant US dont on n’espérait plus grand chose.
Chelsea Light Moving « Alighted » (Northampton, MA 2.24.13)