Seize ans après la sortie de leur dernier véritable disque, l’occasion était trop belle de s’entretenir à propos de leur nouvel album avec Stephen McRobbie, leader de l’une des plus belles embarcations pop de la scène écossaise : The Pastels
Pas carriéristes pour un sou, Stephen McRobbie et ses Pastels réussissent mine de rien à régner en pointillés sur la musique indépendante britannique depuis maintenant près de 30 ans. Difficile de croire qu’autant d’années se sont écoulées depuis les saillies électriques et juvéniles des increvables albums Up For A Bit With The Pastels et Sittin’ Pretty lorsque l’on se retrouve devant « Stephen Pastel » – héros éternel d’une pop à la fois bucolique et mélancolique bien trop souvent à tort estampillée « Twee ». Un terme que celui-ci semble avoir en horreur et qu’il aura par ailleurs tôt fait de dézinguer, histoire de remettre les pendules à l’heure.
C’est à Mono, le café attenant au magasin de disques tenu de temps à autre à Glasgow par le leader du groupe, que le rendez-vous est pris. Après avoir étalé un paquet de chips sur la table, Stephen livrera ses impressions et son ressenti à propos de sa « carrière » passée au sein d’un des groupes les plus influents qui se soit vu émerger dans les années 80 au milieu de ce fatras pop et bruitiste à l’origine de tant de vocations. Auteur cette année avec son groupe d’un joli bijou intitulé Slow Summits, réalisé après pratiquement 16 années de hiatus (s’il on omet de parler des collaborations et autres side projects), l’Écossais se livre sur sa musique qui semble avec obstination ne jamais véritablement vouloir prendre d’âge.
Pinkushion : Qu’elles étaient les raisons pour les Pastels de produire cette année un nouvel album?
Stephen McRobbie : 18 mois plus tôt nous avons réalisé que nous avions assez de choses pour envisager sortir un nouvel album. Katrina (ndlr : Katrina Mitchell, batterie, chant et membre historique du groupe) et moi étions arrivés à la conclusion que nous avions assez de titres pour le terminer. Nous nous sommes ensuite rendus rapidement à Chicago pour le réaliser en compagnie de John McEntire (ndlr : producteur et éminent batteur de Tortoise, The Sea and Cake ).
Après cet assez long break pour les Pastels, est-ce que Slow Summits est l’album que vous souhaitiez vraiment réaliser ?
S. McRobbie : Il y a toujours le choix entre plusieurs possibilités. Cet album est différent de Two Sunsets, l’album que nous avions réalisé en 2009 avec les Tenniscoats, ou de The Last Great Wilderness… Chaque album a été intéressant à réaliser pour nous. Dans celui-ci il y a de bonnes mélodies. Nous voulions surtout que cet album soit intéressant à faire pour nous.
J’ai lu que tu ne souhaitais pas voir « Check My Heart » apparaître dans cet album…
S. McRobbie : Peut-être était-elle un peu trop pop. Nous avons laissé d’autres titres… Au moment de compiler les titres, Katrina a fait quelques suggestions pour en changer quelques-uns et souhaitait intégrer celui-ci. Beaucoup de monde, nos amis autour de nous comme Annabel (ndlr. Annabel Wright, illustratrice des pochettes des Pastels et ancienne bassiste du groupe) aimaient « Check My Heart ». Elle pensait que ce titre était vraiment bon. Son avis reste toujours pris en compte car dans le passé elle était un élément essentiel du groupe. « Check My Heart » semblait instinctivement être adopté par tout le monde.
Pourquoi avoir choisi le titre Slow Summits pour votre nouvel album?
S. McRobbie : Nous voulions appeler à l’initial cet album Night Time Made Us, nous avons même fait un trailer promotionnel dans ce sens, mais ça ne semblait pas marcher. Avec Slow Summits il y a quelque chose de l’ordre du ralentissement. Rétrospectivement ce titre va bien au groupe, car il y a quelque chose qui est de l’ordre de la lenteur.
Quand avez-vous commencé à écrire vos chansons pour cet album ? Avez-vous passez plusieurs années à les écrire ? Est-il vrai que la première chanson de cet album, « Secret Music », date de 1999 ?
S. McRobbie : Concrètement, nous avons écrit « Secret Music » il y a longtemps lorsque Annabel était encore dans le groupe. Nous avons enregistré une version pour une Peel Session. Et puis au fil des ans, différentes idées sont venues se greffer. Vous pouvez toujours sur-intellectualiser quelque chose, mais au final vous décidez juste quelles chansons sont les plus importantes pour l’album et personnellement j’ai toujours souhaité que l’album débute avec « Secret Music ». J’aime l’atmosphère qui s’en dégage.
Comment s’est passé le travail en studio avec John McEntire? Étiez-vous certains de vouloir immédiatement travailler à nouveau avec lui ?
S. McRobbie : Nous n’avons pas pensé à lui nécessairement immédiatement. Nous avons tenté des choses avec quelqu’un d’autre, mais nous sommes revenus vers John. Il est vraiment très talentueux et nous sommes très heureux du son qu’il a produit pour Slow Summits.
Il avait produit d’autres albums avec vous, comme The Last Great Wilderness…
S. McRobbie : John ne dit pas grand chose en studio. Il est capable d’analyser vos gestes même les plus imperceptibles. Ça suffit assez pour lui. Ce n’est pas un grand bavard, il est très calme. Il reste très concentré, il sait vous écouter. Comme il est batteur, il sait par exemple rapidement ce qu’il veut entendre à la batterie.
Avec cet album, votre musique semble avoir atteint sa maturité. Tu sembles également être plus à l’aise avec le chant…
S. McRobbie : Nous essayons juste de chanter tels que nous sommes. J’essaye de chanter les choses de manière naturelle pour moi. En France les gens pensent peut-être que nous avons un son plus mature… Mais je ne sais pas. Je suppose que lorsque l’on fait un premier album, les choses sont plus instinctives. Vous ne réfléchissez pas à ce que vous êtes ou comment vous sonnez. Vous le faites simplement. Mais avec l’âge ou l’expérience, vous ne pouvez pas empêcher que les choses soient plus réfléchies. Donc il y a définitivement quelque chose de plus réfléchi dans cet album. Étrangement le premier album des Pastels était pour nous assez surprenant.
J’aime vraiment le travail d’un réalisateur comme Jean-Luc Godard, J’aime les Å“uvres qu’il a produit à la fin des années 70 qui possèdent peut-être un rythme plus lent et qui sont très différentes de films comme Le Mépris ou Masculin-Féminin. Concernant notre travail, c’est plutôt différent de ce que nous produisions au tout début. Mais cela reste toujours intense. Ce n’est pas comme si nous avions relâché la pression. Nous restons toujours assez ambitieux en tant que musiciens.
Ne penses-tu pas que beaucoup de monde se trompent à propos de la musique des Pastels en pensant que vous êtes toujours un groupe à caractère indé/twee pop alors que votre musique a beaucoup changé ces dernières années ?
S. McRobbie : Oui ! Dans notre société actuelle les gens se doivent d’avoir rapidement une opinion sur tout et l’exprimer sur Twitter et ne prennent peut-être pas le temps de réfléchir s’ils aiment vraiment une chose ou non. Les choses ont considérablement changé. À nos débuts pour parler de nous les gens utilisaient le mot « indie » qui servait à qualifier les groupes qui produisaient des disques sur des labels indépendants. Et puis cette étiquette a perduré. Je n’ai jamais vraiment aimé ce terme. Je n’ai jamais aimé les trucs « twee ». C’est une vision un peu américaine des choses. Parfois les gens associés à cette mouvance font des trucs bien. Je ne sais pas… En réalité je déteste ce terme!
Certaines de vos chansons sur ce nouvel album semblent être autobiographiques, comme le titre « Night Time Made Us ». De quoi parlent-elles?
S. McRobbie : Oui cette chanson évoque différents âges de ma vie, c’est un titre un peu nostalgique de l’adolescence ou de la vie de famille à cette époque. « Summer Rain » évoque des choses qui sont arrivées au début de mes 20 ans… Oui je crois qu’il y a beaucoup de titres qui sont au final autobiographiques dans cet album.
Comment avez-vous écrit vos chansons, quel était le processus d’écriture? Avez vous écrit séparément et après réuni vos idées ?
S. McRobbie : Nous ne nous sommes pas tellement concertés pour les paroles, mais d’avantage concernant les parties musicales. Nous étions attentifs à ce que l’un ou l’autre faisait, mais nous n’avons pas discuté tant que ça autour de comment il fallait les écrire. Ça ne s’est pas fait de manière linéaire ou prévisible. C’est souvent moi ou Katrina qui commençait avec une idée de mélodie et le reste suivait
Qu’est-ce que tu penses du line-up actuel des Pastels. A-t-il pris pour toi la forme la plus aboutie?
S. McRobbie : Je suis content avec la forme actuelle qu’a prit le groupe. Durant un temps cela nous a manqué de ne plus jouer avec Annabel, mais aujourd’hui c’est à nouveau un bon groupe avec des gens qui partagent le même point de vue et contribuent sérieusement à la manière dont le groupe sonne. Je pense que c’est un des meilleurs line-up que nous avons eu. Mais en fait je n’y ai jamais vraiment réfléchi. C’est un peu bizarre d’associer le mot « accompli » avec « The Pastels » car dans l’esprit de beaucoup de gens nous avons toujours été considérés comme amateurs. Mais aujourd’hui nous avons une touche personnelle assez reconnaissable. Je crois que nous ne sonnons pas comme quelque chose d’autre. Nous avons un son assez unique.
Tu penses que tu as progressé en temps que musicien ou songwriter depuis les débuts ou bien te considères-tu toujours comme un « amateur »? Est-ce que ce terme te plait?
S. McRobbie : Nos amis du groupe allemand To Rococo Rot se considèrent eux-mêmes comme des amateurs. Un de leurs albums qu’ils avaient sorti s’appelle The Amateur View. J’aime leur façon de traiter avec cette notion sans partager les perspectives que peuvent avoir des musiciens professionnels. J’aime l’idée de ne pas parvenir forcément à une musique bien établie ou de ne pas devoir lutter constamment pour faire quelque chose. Ça permet de faire quelque chose d’artistiquement plus intéressant dans la musique. Je suis certainement un meilleur musicien que je ne l’étais il y a vingt ans et Katrina a fait beaucoup de progrès à la batterie. Elle est très créative.
Je trouve que vous vous débrouillez bien maintenant, vous êtes devenus un assez bon groupe de scène…
S. McRobbie : Merci. Nous avons aussi Gerard Love (Teenage Fanclub) avec nous qui est un très très bon bassiste. C’est un bon line-up. Mais vous pouvez avoir de bons musiciens sans pour autant parvenir à faire en sorte qu’ils se combinent bien entre eux. Notamment à cause des égos de chacun. Comme dans certains groupes de jazz où cela peut vite devenir horrible genre ‘il faut que je place mon solo quelque part’ etc.… Je déteste ça ! J’ai été à trop de concerts de jazz peut-être.
Tu étais amateur de jazz pourtant.
S. McRobbie : Oui j’aime certains trucs. J’écoute des trucs plus simples maintenant avec des mélodies plus simples comme Miles Davis ou des choses de Charles Mingus. Mais je n’en écoute plus trop maintenant. Selon les périodes de votre vie vous écoutez forcément des choses différentes. C’est constamment en changement.
N’est-il-pas plus facile de faire partie de nos jours d’un groupe comme le votre plutôt que dans les années 80 ou 90 pour promouvoir votre musique ?
S. McRobbie : Dans les années 80 notre musique a été beaucoup supportée par les fanzines, et même parfois par les magazines comme le NME qui était très influent. Également aussi par la presse française comme les Inrockuptibles qui à l’époque était un jeune journal et a beaucoup supporté la génération de groupes qui débutaient en même temps que nous. Nous avons aussi été aidé par John Peel. Nous avons une audience plus vaste aujourd’hui avec des gens qui nous écoutent au Royaume-Uni mais aussi en France ou en Allemagne. Nous ne sommes plus un groupe national. Des années en arrière, les pays où nous étions les plus populaires et où nous vendions le plus de disques restaient tout de même le Royaume-Uni, la France, le Japon… Nous conservons toujours par exemple une grande audience à Glasgow. Dans les années 80, nous étions aussi assez populaires à Manchester ou Londres. Je ne sais pas si c’est la même chose aujourd’hui.
Que penses-tu de la carrière des Pastels? Si vous aviez le choix de recommencer, ferais-tu les choses différemment comme promouvoir certains disques d’une autre manière? As-tu quelques regrets?
S. McRobbie : Oui, peut-être. Certains disques auraient pu sonner mieux rétrospectivement…
Je pense qu’un titre comme « Worlds Of Possibility » sur l’album Mobile Safari aurait dû bénéficier d’une meilleure promotion…
S. McRobbie : Oui nous avions de grandes attentes pour ce titre tout comme notre label Domino. Nous avions édité ce single en vinyle et CD, nous avions même pensé à faire de la promo chez HMV. Mais finalement c’est un peu tombé à l’eau. « Worlds of Possibility », tout comme « Nothing To Be Done » sont de bonnes chansons. Vous devez juste essayer de faire au mieux dans certaines situations. C’est par la suite vous réalisez seulement que vous ne pouviez pas.
Qu’envisagez-vous dans le futur pour le groupe ?
S. McRobbie : J’imagine maintenant faire à nouveau de la musique avec Annabel et Tom Crossley (International Airport). Mon ambition est de réaliser à la fois une rétrospective et de poursuivre encore un peu maintenant que le groupe est redevenu solide. Slow Summits ne sera probablement pas le dernier disque, nous allons continuer.
5 albums du moment :
My Bloody Valentine – MBV
Ela Orleans – Tumult in Clouds
Jon Brooks – Shapwick
The Focus Group – Electrick Karousel
Mogwai – Les Revenants
The Pastels – Check My Heart (Domino/Pias)