Le second album du prodigieux Ed Harcourt est sorti fin janvier. Pinkushion était présent le 14 janvier dernier lors de son concert au Zèbre à Paris, l’occasion d’écouter sur scène les -déjà!- classiques de son premier album, mais surtout juger le potentiel scénique des nouvelles chansons de From Every Sphere. Challenge réussi.
Mardi, il est 20 h30. L’ambiance est plutôt glaciale sur les trottoirs de Belleville, la neige tombée trois jours plus tôt y a laissé des séquelles. Planté face à la bâtisse, je regarde la façade restaurée du Zèbre qui se démarque de ce quartier toujours aussi sale. Ce soir; Ed Harcourt se produit dans l’ancien Berry-Zebre de Belleville, rebaptisé Zèbre tout court depuis sa réouverture voilà maintenant presque un an. De mémoire, peu d’artistes d’envergure internationale ont arpenté cette salle à présent consacré aux arts du Cirque. Nous aurons donc droit à une double première ce soir: l’émergence d’une nouvelle salle rock dans la capitale et le répertoire très attendu du second album d’Ed Harcourt.
Alors que j’attends un ami sur le pavé d’en face, je vois passer devant moi la star du soir entouré d’amis. Ed harcourt à l’air plutôt sympathique. Habillé d’un veston noir, une écharpe autour du coup, son allure laisse penser à un étudiant comme on peut en voir tant près de St Michel. Très accessible, le jeune homme est poli et répond à l’hôtesse devant l’entrée. Un gars qui a l’air d’avoir la tête sur ses épaules malgré le « buzz » médiatique qui se répand autour de lui.
Avec mon pote, nous rentrons à l’intérieur du Zèbre. Rien à dire, l’endroit est superbe. La déco de cet ancien cinéma convient parfaitement au genre baroque du jeune songwriter anglais. Ambiance tamisée et boisée, nous nous réfugions au balcon du premier étage pour ne pas louper une miette de la scène.
Alors que l’on aperçoit le piano à queue installé sur la scène, une populasse assez maigre et essentiellement constitué de professionels semblent avoir fait le déplacement pour le jeune prodige. Il faut dire qu’en 2001, le Mapplewood EP ainsi que son premier album Here Be Monsters avait mis d’accord tous les amateurs de pop sophistiqué aux réminiscences Wilsonniennes. Un premier coup de maître mêlant adroitement pop instantanée et richesse mélodique. Le jeune homme de 25 ans possédait tellement d’atouts entre ses mains qu’il était difficile de ne pas croire en autre chose qu’un vulgaire pétard mouillé comme la presse anglaise sait si bien nous en confectionner.
INTERLUDE « FROM EVERY SPHERE »
L’écoute récente de From Every Sphere, son second album, nous avait conforté dans nos propos. Voilà un album ambitieux, plus homogène que son prédécesseur, qui dévoile tous ses charmes au fil des écoutes. Il faut croire que le génie d’ Ed Harcourt repose en cela. Il reste toujours bluffant de se laisser surprendre par une chanson dont on n’avait pas accroché auparavant. Rien que pour cela, on peut remercier l’artiste de tenter à chaque fois de nous prendre à contre-pied et de se démarquer d’un conformisme propret chez ses confrères british.
La force d’Ed Harcourt, c’est donc son répertoire. L’homme ne joue pas sur une pseudo-attitude, ni sur son passé, plutôt banal d’ailleurs. Non, ici on parle de travail d’orfèvre en matière de progression mélodique. Toute les nouvelles compositions semblent avoir été écrites au piano. La six cordes se fait plus discrète dorénavant. Il ne faut donc pas s’attendre non plus à un clonage artistique de ses tours de force passés tel un dynamique « Shangai » bis, ni « Beneath The Heart of Darkness » épique. Le prodige de Brighton nous livre ici des petites piécettes d’apparence inoffensives, mais qui savent se faire violence au moment venu. Le tout donne d’ailleurs un aspect baroque, voir gothique plus marqué que sur l’opus précédent. Ce n’est pas la pochette du disque en forme de vieille ouvrage qui nous contredira. Bref, en quelques mots, Ed Harcourt a pondu un des albums les plus ambitieux de cette rentrée 2003.
RETOUR dans la JUNGLE du ZEBRE
21 h 15, le jeune homme brave la foule pour rejoindre l’estrade où l’attend son piano. A l’aise face au publique, il trempe les lèvres dans son verre de vin, s’amuse à discuter avec l’audience, parle de ses deux derniers jours de promo dans la capitale. Contrairement à la rumeur, le jeune homme n’est pas vraiment un show man, mais n’en demeure pas moins un personnage touchant. Il s’ensuit une heure et demi de prestation fascinante. Seul, Ed Harcourt alterne compositions récentes et d’autres déjà acquises à la cause du public. De temps en temps, le héros de la soirée délaisse son clavier pour une guitare électrique (accordée pour gaucher!) et nous jouera de quelques titres inédits. Le bougre est un peu maladroit sur sa six cordes, mais sa performance est touchante. Un trompettiste intervient régulièrement pour rajouter une couleur poignante aux compositions. Sur le plan scénique, le nouveau répertoire scénique n’a rien a envier à celui d’Here be Monster. Parmi les moments forts du set, quelques titres se détachent du lot : « All of your days will be blessed ». « God protect your soul », « Apple Of My Eye », « Bittersweetheart », « Ghostwriter ».
On constate alors que les chansons d’Ed Harcourt n’ont pas besoin d’artifices pour voler de leurs propres ailes. Les arrangements sophistiqués qui figurent sur l’album deviennent désuets face à l’épreuve de la scène. Après une heure d’une ambiance piano-bar salutaire, le natif de la côte-sud Britannique, nous gratifiera d’un rappel de trois titres. Puis il s’en ira pour de bon. Ce soir là, l’esprit de Tom Waits et Brian Wilson planait au-dessus du Zèbre et Ed Harcourt était le lion de Belleville.