Retour au premier plan pour le légendaire guitariste d’Hüsker Dü et de Sugar, qui nous parle de son nouvel album, Beauty & Ruin, et du reste…
Après une décennie à délivrer une pelleté d’albums inconsistants (en gros, depuis l’échec de la tentative electro-rock Modulate en 2012), Bob Mould a enfin retrouvé la fameuse « petite étincelle ». Ce revirement qualitatif avait commencé avec le splendide Silver Age voilà un an et demi, et cette tendance se confirme aujourd’hui avec le très en verve Beauty & Ruin. L’homme est en regain de forme et compte bien persévérer dans cette voie, en assénant quelques splendides brûlots électriques tels que « Hey Mr Grey » ou le très sucré « I Don’t Know You Anymore », qui combleront évidemment de bonheur les fans de Copper Blue. Disque en forme de bilan, Beauty & Ruin réuni tous les ingrédients qui ont jalonné la carrière du songwriter originaire de Minneapolis. Du rock supersonique joué pied au plancher (« Kid with Crooked Face », rageur comme à la grande époque du Dü, mais aussi quelques complaintes débranchés du plus bel effet (le poignant « Forgiveness »).
Rencontrer un monument du rock alternatif américain – qui plus est l’un de nos idoles de jeunesse – n’arrive pas tous les jours. À vrai dire, à cause de quelques déceptions passées, on avait évité ce genre de rencontre embarrassante, aussi bien pour l’interviewé que pour celui en face de lui. Mais comme dit l’adage, voici « l’exception qui confirme la règle ». Bonne surprise, le dynamique cinquantenaire en face de nous (monsieur s’entretient physiquement manifestement) est un homme calme, posé, et d’une grande courtoisie.
On profite de l’occasion pour lui présenter sa biographie (dont il ignorait l’édition française), et lui signaler une petite erreur lors de son passage parisien en 1998 pour The Last Dog and Pony Show : le concert n’avait pas lieu au Grand Rex, mais au défunt Arapaho (on a toujours le ticket !). Et voilà qu’on s’étonne avec agacement, de pinailler sur un détail et passer pour tout ce qu’on déteste: le fan méticuleux, limite effrayant sur les bords… Mais il n’en est bizarrement rien pour l’auteur de « New Day Rising ». Curieux de cette erreur, Bob Mould la note sur son calepin et me remercie chaleureusement. Il y a en fait une explication, le bouquin va être réédité et l’éditeur est justement en train de corriger toutes ces petites erreurs relevées lors de la première édition, nous explique ce bon vieux Bob Mould. L’entretien peut commencer.
Pinkushion Vous avez publié votre biographie il y a trois ans See a little light (traduit aux éditions Camion blanc). Depuis, vous semblez traverser une intense période d’activité.
Bob Mould : Tout à fait. Lors de l’année 2011, peu de temps après que le livre soit sorti, j’ai chanté sur l’album des Foo Fighters, puis je suis parti avec eux pour leur tournée des grands stades. Je faisais le DJ entre les groupes qui se produisaient sur scène. Puis je rejoignais Dave Grohl sur scène pour quelques morceaux. C’était vraiment fun (rire). Vous a-t-on aussi informé sur le concert du Disney Hall ? (NDLR : en novembre 2011, un concert hommage été organisé pour célébrer les 30 ans de carrière de Bob Mould, plusieurs groupes étaient invités sur scène, notamment Britt Daniel de Spoon, No Age, Ryan Adams ou encore Dave Grohl…)
Oui. J’ai vu sur votre site internet que le film tourné lors du concert est en vente en téléchargement sur votre site. Sera-t-il aussi disponible en DVD ?
Le DVD ne devrait pas tarder à sortir, je sais que le label Merge travaille dessus. Donc il y a eu ce gros concert, puis je me suis ensuite consacré à l’écriture et l’enregistrement de l’album Silver Age. Dans le même temps, il y a eu aussi les rééditions des albums de Sugar, et puis la tournée anniversaire. En février dernier, ce fut le tour de la réédition de Workbook pour ses 25 ans, nous avons donné quelques concerts à cette occasion. Et maintenant, je prépare la tournée pour ce nouvel album. On peut donc dire que ces trois années sont passées à vitesse grand V.
Je ne me souviens pas que durant la décennie précédente votre calendrier soit si chargée.
Et pourtant, ça n’en a pas l’air mais j’ai quand même sorti deux albums en 2008 et 2009, plus le Live ATP, et puis j’ai aussi pas mal fait le DJ.
Oui, peut-être aux Etats-Unis, mais on vous a moins vu sur le vieux continent durant ces années-là, notamment en France.
Je vous l’accorde. J’essaie maintenant de reconstruire mon nom en Europe. J’ai souvent changé de labels. Chaque fois, on est un peu obligé de remettre certaines choses à plat, chaque label à sa propre manière de faire la promotion, de défendre un album. On repart un peu à zéro.
Le nouvel album s’intitule Beauty & Ruin et sort sur le label Merge, c’est votre deuxième sous leur bannière après Silver Age. Quel est votre sentiment sur ce nouvel album ?
C’est un disque court : 36 minutes, douze chansons. Enregistré un an et demi après Silver Age. Un disque qui parle de l’idée de la perte, de la mort, de la séparation, qui évoque des souvenirs, des regards en arrière… et en même temps, j’essaye de faire la paix avec ce que je suis, de me réconcilier avec le monde. Et finalement aller de l’avant. L’album démarre très sombre, et puis vers la seconde du disque, on commence à entrevoir une lumière.
Je trouve l’album moins sombre que vos prédécesseurs.
Cela dépend de quel point de vue vous le prenez. Certains fans se concentreront davantage sur le degré d’agression des guitares, d’autres sur les paroles. Mais c’est très bien, ça me va.
Il y a une énergie très live qui se dégage de l’ensemble. Comme si ce disque était taillé pour la scène.
Je suis d’accord. Jason Narducy (basse), Jon Wurster (batterie) et moi jouons maintenant ensemble depuis six ans. Un solide langage s’est établi entre nous, et je pense que ce disque le montre. Nous sommes bons lorsque nous jouons fort, et plus vite. L’album a beaucoup de variété et de tempos. Mais les paroles bien sûr sont ma partie, elles sont très importantes.
Beauty & Ruins et son prédécesseur Silver Age fonctionnent comme des albums jumeaux. Tous deux proposent les mêmes ingrédients, à savoir un mélange de vos différentes périodes, Hüsker Dü, Sugar et vos albums solos électriques.
C’est ce que j’ai toujours fais avec des guitares, elles sont définitivement frontales et au centre. Je pense que Silver Age est un album facile à écouter, un peu plus pop peut-être que d’habitude. Avec Beauty & Ruins, on est dans quelque chose de plus profond et effréné. Si on compare la première chanson, « Low Season », à la dernière, « Fix it », le tempo est multiplié pas trois. Les gens qui ont déjà entendu l’album sont généralement surpris combien certains compositions sont très rapides.
J’ai lu quelque part que vous passiez énormément de temps à organiser le tracklisting de vos albums.
Tout à fait. J’essaie de construire un fil conducteur, une sorte de récit à travers les thèmes que j’ai mentionné plus tôt : le déclin ; la disparition ; les flashbacks ; la réconciliation puis le futur… Ce sont des manières de procéder qui paraissent évidentes pour moi. C’est toujours bon de comprendre un disque, comme toute forme d’art. Après, je n’irai pas jusqu’à évoquer l’idée d’un album concept, loin de là ! Mais il y a un sens qui nous entraîne du début à la fin, et c’est pareil pour chaque chanson. Je pense que ce raisonnement est le fruit de mon enfance passée dans les années 60. Du fait de grandir en comprenant la valeur d’un disque, comment l’histoire est racontée. Ce moment après 18 minutes où vous devez vous lever pour retourner le disque sur l’autre face (rire). C’est une forme d’art que nous étions en train de perdre. Je doute que ce « cérémonial » ne se perdra pas, même si beaucoup de gens ne le font plus du tout.
Vous êtes donc content du retour du vinyle ces dernières années.
Ça me va très bien. Le vinyle sonne meilleur et rajoute beaucoup d’importance à l’objet. Un 33 tours, c’est quelque chose que vous avez entre les mains, que vous touchez, qui a un poids. C’est un objet délicat qui peut se casser, il faut l’entretenir un peu.
Le vinyle, c’est quelque chose de palpable, matériel.
Voilà c’est ça, c’est matériel. Mais 90% des gens ne comprendrons jamais ce rapport au disque vinyle. C’est comme les magazines et les livres, ils ont une présence physique dans votre vie.
Vous avez derrière vous trente années de carrière dans la musique. Pensez-vous que c’est un temps meilleur pour être musicien, ou que c’était mieux avant ?
Je pense que la musique peut changer le monde. Mais inversement, le monde peut aussi changer la musique. La musique est plus importante que jamais. Pour des gens qui vivent et meurent pour leur musique, qui est leur premier moyen pour communiquer d’une manière générale, c’est juste une évidence. Cet esprit est toujours là. La seule différence aujourd’hui, c’est que durant les années 60, 70, 80, et jusqu’au milieu des années 90, il y avait toujours des groupes de masse, comme les Beatles, les Who, U2, Michael Jackson, voire les Pixies… De nos jours, je ne vois plus de groupes de rock qui fédéraient les masses. Pour donner une image, il n’y a plus de gratte-ciels, mais seulement une banlieue à perte de vue. Il n’y a plus que des milliers et des milliers de petits groupes. C’est ma perception personnelle de comment le paysage change.
C’est aussi la preuve que le système est devenu plus démocratique.
Absolument. C’est aussi plus facile de découvrir une musique. Jadis, il y avait des canaux de communication dominant qui vous disaient ce qui était bon ou mauvais. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, il y a une tempête incessante d’activité, c’est le chaos, tout le monde essaie d’attirer votre attention. Où aller ? Comment filtrer l’information ? Qui croire ? Il y a tellement de routes maintenant. C’est donc bien plus démocratique, mais je pense que pour le commun des gens, c’est devenu bien plus difficile. Les gens passionnés de musique trouveront leur chemin. Pour les autres, qui considèrent la musique comme un élément de distraction parmi d’autre, ils se contenteront d’aller sur Spotify. Les temps sont juste différents.
Vous êtes sur Spotify ?
Probablement, mais je n’utilise pas ces canaux là (rires). J’écoute généralement ce que mes amis me conseillent, ou certaines publications en lesquelles j’ai confiance. Bref, la musique peut être une forme d’art très active pour certaines personnes, et quelque chose de très passif pour d’autres. Les musiciens ne gagnent pas assez d’argent, que ce soit d’un côté ou de l’autre. Mais ce n’est pas grave, il faut trouver d’autres chemins, s’adapter. C’est une période assez drôle finalement.
Parallèlement, à vos disques, êtes-vous toujours intéressé par la musique électronique ?
Je fais toujours le DJ, oui.
Et envisagez-vous d’enregistrer un album électronique ?
(respiration) Pas tant que ça. Pas pour le moment en tous les cas. La dernière fois que j’ai touché du matériel électronique remonte à cinq ans en arrière, pour l’album District Line. J’en fais de moins en moins, mais je prends encore du plaisir à en écouter et faire le DJ. En 2007, à l’époque de l’enregistrement de District Line, j’étais à fond dans la musique électronique, c’était une grande année. Depuis, je n’ai plus trouvé de choses aussi excitantes.
Il y a une photo de vous dans votre biographie où l’on vous voit faire le DJ en 2009 dans un club de New York. Vous semblez prendre un énorme pied derrière les platines.
Je prends du bon temps en général. Faire le DJ et jouer en concert, ce sont deux choses complètement différentes. Lorsqu’on est derrière une platine, on essaie de deviner ce que veut le public, comment ils réagissent, comment leur faire découvrir des choses, les éduquer en quelque sorte. On raconte des histoires, mais avec la musique d’autres personnes.
Cette année, l’album Workbook, qui fête ses 25 ans, a été réédité. Un disque un peu à part dans votre carrière puisque essentiellement constitué de chansons acoustiques. Évidemment, dans chacun de vos albums il y a toujours un ou deux folksongs, mais est-ce qu’on peut espérer un de ces jours un nouvel album entièrement acoustique.
Ça traverse mon esprit de temps en temps. Je n’ai pas encore commencé à travailler là-dessus, mais j’y pense. Tout dépend en fait de mon état d’esprit du moment. On verra ce qui se passe après Beauty & Ruin. On va tourner pour cet album, et je vais commencer à me demander ce que je pourrais faire après. Je n’ai pas de plans à vrai dire. Tout se passera lorsque je rentrerai à la maison et que je vais commencer à composer à nouveau. Si je tourne par exemple avec les Foo Fighters, je vais probablement avoir envie de faire un disque rock par la suite ! Si au contraire, je tournerais avec Devendra Banhart ou un autre artiste de ce genre, il y aura peut-être un album folk à la clé. On ne sait jamais ce qui peut arriver dans votre vie.
Vous avez récemment réédité dans de superbes versions Deluxe les albums de Sugar, puis vos disques en solo. Il ne reste plus qu’Hüsker Dü. Quel est le problème avec la réédition du catalogue d’Hüsker Dü ?
Il y a des problèmes, notamment avec SST Records (le label punk historique de la côte Ouest, qui a sorti notamment leur EP Metal Circus en 1983) et d’autres labels. Tout au long de la carrière d’Hüsker Dü nous avons signé avec différents labels, et chacun d’entre eux à des idées différentes. Je n’ai aucune idée de ce qu’ils vont faire.
Même avec Warner ?
Ça se passe bien avec Warner, ils viennent de rééditer Candy Apple Gray en vinyle pour le Record Store Day aux Etats-Unis.
Oui, mais je parlais de rééditions plus complètes, avec des inédits, ce genre de choses.
Je ne suis pas certains de ce qui va se passer avec les disques d’Hüsker Dü. Ça serait super que les gens puissent écouter la qualité des albums en vinyle, car c’est ainsi qu’ils sont supposés être écoutés. Néanmoins, il y du mouvement depuis peu, tout le monde recommence à parler, donc ça va dans le bon sens.
Il faut faire preuve de patience donc.
Oh oui. Ça prend du temps pour que les gens se mettent d’accord.
Pour finir, quels sont vos cinq albums favoris ?
Beatles, Revolver
My Bloody Valentine, Loveless
The Who, Sell out
The Germs, S/T
Byrds, Younger than Yesterday
Et puis je rajouterai un disque récent
Best Coast, Crazy For You
Bob Mould, Beauty & Ruin (Merge/ Differ-ant)