Bien avant l’été, lorsque Let’s Go Extinct, le troisième album de Fanfarlo est paru durant ce doux mois de février, on savait déjà qu’il serait notre disque de chevet des grandes vacances.


Dès sa sortie en février, Let’s Go Extinct, troisième album de la formation anglo-suédoise nous a enchantés (lire notre chronique). La pop baudelairienne de la formation londonienne peu paraître un peu en décalage – ou mal ajustée, comme le chantait Morrissey – elle demeure très attachante, car instantanée tout en demeurant d’une sincérité à toute épreuve. Et c’est un peu cela qui manque de nos jours à la pop indépendante, parfois trop sérieuse. A l’instar d’un 16 Lovers Lane des Go-Betweens, du premier album des Crowded House ou d’un Steve McQueen de Prefab Sprout, voici le genre d’album pop mélancolique auquel on revient naturellement dès les premiers rayons de soleil estivaux. Let’s Go Extinct évoque pourtant des thèmes étranges et pas vraiment de saison, comme le futur et l’extinction de l’humanité, le tout paradoxalement enveloppé de chÅ“urs vibrants et d’arrangements de cordes et de claviers lumineux. Aussi, nous avons choisi de garder cet entretien dans nos tiroirs pour le ressortir au moment venu.

La rencontre remonte en effet au 24 février, le jour du concert parisien donné à la Maroquinerie. Le chanteur suédois Simon Balthazar et le multi-instrumentiste anglais Leon Beckenham nous reçoivent à la terrasse de la salle, quelques heures avant un concert généreux et rempli de bonnes vibrations.

Pinkushion : Tragique existentialiste pop… ce sont les mots qui me viennent à l’écoute de ce troisième album, Let’s Go Extinct.

Simon Balthazar (chant/guitare) : Tragique ? Je ne comprends pas où vous voulez en venir…

Bon, le mot est peut-être trop fort, je le conçois. Employons plutôt le mot dramatique.

Simon Balthazar : Ok, car je ne vois rien de tragique dans notre musique. Peut-être effectivement pour le terme existentialiste. Nous avons toujours été intéressés par la philosophie, les sciences, et à l’idée d’intégrer ces éléments dans la pop musique. Quant à existentialisme… c’est un bien grand mot, mais pourquoi pas pour la philosophie. D’une manière général, la pop musique parle de la vie de tous les jours, il y a donc une part philosophique là-dedans.

Leon Beckenham (claviers/arrangements): On pourrait effectivement assimiler le mot tragique à l’un des thèmes de l’album, qui est l’extinction de la race humaine. Mais cela n’a rien de tragique à nos yeux, c’est plutôt une manière de nous questionner sur le futur : Qu’arrivera-t-il après ? Il y a plutôt une notion d’adaptation là-dedans, comment la race humaine va évoluer. L’album parle donc de la fin de race humaine, mais dans le sens d’une continuation.

Simon Balthazar : Tout à fait. On ne parle pas de suicide, on s’interroge plutôt sur notre place dans le monde.

Let’s Go Extinct a été coproduit avec David Wrench (Guillemots). On perçoit cette fois une couleur électronique plus prononcée, avec davantage de synthétiseurs, et des rythmes dansant.

Simon Balthazar : On a toujours essayer d’utiliser équitablement des claviers dans nos chansons, et spécialement sur le deuxième album. J’aime penser que ce que nous faisons a toujours été un dialogue entre la musique électronique et acoustique. Et parfois, l’une des deux prend le dessus. Il y a donc toujours une dynamique entre ces deux éléments. David Wrench a commencé à travailler avec nous sur notre précédent album, en tant qu’ingénieur. On voulait retravailler avec lui et retourner dans le même studio, au pays de Galles. Il a une oreille fantastique, c’est un grand collectionneur de disques… Bref, on avait confiance en lui. Nous avons établi ensemble une sorte de squelette de l’album, afin d’établir une direction générale. Il y avait trop d’idées, il fallait filtrer tout ça. Ensuite, nous sommes allés enregistrer dans une maison de campagne pour matérialiser ce squelette.

Leon Beckenham : Travailler séparément avec un producteur nous semblait un peu daté comme procédé. On n’a pas vraiment besoin de cela, et plus spécialement quand il y a un membre dans le groupe qui a une vision claire de la direction à prendre. Nous n’avions pas besoin d’un vrai producteur, mais plutôt de quelqu’un en qui on avait confiance, musicalement et d’un point de vue sonique. Et cela a plutôt bien fonctionné à mon sens.

Est-ce difficile en studio de créer un équilibre entre les textures électronique et les arrangements de cordes, les trompettes ?

Simon Balthazar : Non. Tout vient simplement de nous et du plaisir d’apprécier le processus d’enregistrement en studios. D’une certaine manière, notre façon d’écrire des chansons est très traditionnelle. En tant que songwriter, je pourrai écrire les chansons et les paroles chez moi, isolé. Les chansons peuvent fonctionner simplement sur une guitare acoustique, mais pour ce que nous faisons en tant que groupe, le processus en studio est une étape bien différente. Elle consiste à expérimenter, essayer différentes textures, différents parfums, c’est pour cela que nous adorons passer du temps en studios. C’est juste quelque chose d’intuitif et d’amusant.

Leon Beckenham : Pour l’album précédent, nous avons énormément joué les morceaux en tournée. On travaillait une chanson après l’autre, une piste à chaque fois, juste pour capter cette énergie scénique sur nos morceaux. Si vous enregistrez des morceaux isolés, vous perdez cette sensation de direction que prend la chanson.

Simon Balthazar : Pour Let’s Go Exctinct, nous avons enregistré d’innombrables versions pour chaque chanson. C’est pourquoi nous allons certainement sortir en octobre un EP avec différentes versions. C’est une longue histoire à raconter, nous avons tellement de chansons.

Pensez-vous que vous aviez atteint la fin d’un cycle sur votre deuxième album. Qu’il était temps de trouver de nouvelles inspirations ?

Simon Balthazar : A vrai dire, on peut faire un album très rapidement. Mais nous tournons beaucoup, on sort un disque tous les deux ou trois ans… Donc un nouvel album devient chaque fois un nouveau jalon, une étape importante. Cela nous fait beaucoup réfléchir sur ce que l’on veut faire après. Chaque nouvel album est significatif de notre évolution. Le premier album était le reflet du groupe après plusieurs années à jouer dans des clubs à Londres, à sortir des singles 7inch avec des amis. Et puis finalement, nous en sommes arrivés au point d’enregistrer un album. Chacun de nos albums a été la conclusion d’une période, pour commencer quelque chose de nouveau.

Leon Beckenham : Entre deux albums, le temps passe et nous changeons, nous sommes forcément inspirés par de nouvelles choses…

Mais vous disiez que ce serait pourtant facile pour vous d’enregistrer un album plus rapidement.

Simon Balthazar : Enregistrer un album en studio est rapide, c’est tout ce qui se passe autour qui prend plus de temps, la manière dont comment les choses se passent. Cela prend un an pour écrire un disque, puis la tournée dure encore un an. La vérité aussi, c’est qu’il faut du temps aussi pour que l’album sorte. Nous l’avons terminé l’été dernier, mais il fallait trouver le bon moment pour le sortir. On ne pouvait pas le sortir à Noël, donc il nous a fallu attendre encore un peu.


Fanfarlo 2014. De gauche à droite: Cathy Lucas, Simon Balthazar, Valentina Magaletti, Leon Beckenham, Justin Finch -


La présence de Cathy Lucas (multi instrumentiste) sur les chÅ“urs de l’album semble plus importante que jamais. Sur certains morceaux comme « Landlocked », on a même l’impression d’entendre un duo entre Simon et Cathy.

Simon Balthazar : Nous chantons ensemble depuis longtemps maintenant, sept ans… et on adore ça. Nous sommes donc forcément devenus tous deux des chanteurs plus confiants. En général, les gens soulignent cet élément folk dans notre musique. Personnellement, je ne nous vois pas comme un groupe folk, mais je reconnais qu’il y a une similitude folk dans notre façon de chanter, avec ces harmonies vocales naturelles accompagné d’une guitare acoustique. Toutes nos chansons fonctionnent ainsi. J’écoutais beaucoup de folk musique américaine quand j’étais gosse, tous ces groupes sixties revivalistes, comme Pete Seeger, Joan Baez… De belles voix avec une solide présence.

Le son de l’album m’évoque parfois ces groupes pop néo-romantiques des années 80 comme Prefab Sprout et les Pale Fountains.

Simon Balthazar : Absolument. Ce sont des groupes qu’on écoute donc ça fait sens.

Simon Balthazar, vous êtes né en Suède, mais vous avez grandi à Londres. J’aurais aimé savoir quel est votre sentiment sur la scène musicale suédoise. Vous intéresse-t-elle et si oui, quels sont les groupes que vous appréciez ?

Simon Balthazar : Je viens de Göteborg, qui est une petite ville à l’ouest du pays. Mes parents et moi sommes partis vivre à Londres en 2005. J’étais très jeune, et je n’ai jamais vraiment fait partie de cette scène. C’est une ville étudiante, avec une scène artistique très active. C’est marrant parce que pour moi, à l’époque, partir pour Londres était quelque chose de très excitant, il s’y passait tellement de choses, tellement d’opportunités. J’ai rencontré les membres du groupe en allant simplement à des concerts… Mais je commence à mieux comprendre maintenant ma ville natale. Un peu comme à mes débuts à Londres, mais dans le sens inverse (rires). J’aime toujours la Suède, il y a toujours eu des groupes avec une bonne attitude vis-à-vis l’art et de la musique. Il y a beaucoup de bonne musique qui vient de cette scène-là, des groupes comme The Knife, Jens Lekman, qui sont tout comme moi de Göteborg. Mais pour être honnête, je ne me tiens pas tellement au courant. On me parle plus de groupes suédois à Londres que je ne fais l’effort d’en écouter (rire).

Y a-t-il des groupes anglais avec qui vous vous sentez proche ?

Leon Beckenham : Londres possède une scène tellement énorme, il y a tellement de groupes qu’on n’en fait jamais le tour.

Simon Balthazar : Notre batteur, Valentina joue dans un groupe qui s’appelle The Isolation. J’ai ce projet ambient/disco avec King Knut (ndlr : producteur norvégien actuellement basé à Londres, qui a travaillé avec The XX), qui a aussi son propre groupe, Mothlight. Il y tellement de branches qui nous relie à d’autres groupes : je vis avec des musiciens, Cathy et Leon vivent aussi avec des musiciens…. Quand je suis arrivé à Londres, j’allais voir beaucoup de groupes de rock indépendants, mais maintenant, j’ai davantage envie d’aller voir les concerts de mes amis. J’adore aller dans ces petites salles un peu à l’avant-garde de la scène underground.

Enfin, dernière question rituelle, quels sont vos cinq albums favoris :

Billy Nelson – Chimera
Bob Dylan – Street Legal
David Bowie – Lodger
Ryuchi Sakamoto – Left Handed Dream
Bonnie Prince Billy – Ease Down the Road

Fanfarlo, Let’s Go Extinct (Blue Horizon Ventures – 2014 )