Après trois ans d’absence, la séduisante folkeuse californienne passe sans encombre voire avec brio le cap difficile du deuxième album.


Souvenez-vous : fin 2012, Jessica Pratt créait l’événement dans le milieu indie folk avec son premier album éponyme qui bouleversait les tops de fin d’année grâce à sa voix troublante et un dénuement musical superbe. La légende veut que le rocker psyché Tim Presley, de White Fence, tombé sous le charme de la belle, ait créé spécialement pour elle le label (Birth Records) afin de pouvoir la sortir de l’anonymat. Objectif réussi puisque l’album, sorti sous deux formats (MP3 et vinyle) en 2012, a bénéficié d’un second pressage, deux mois à peine après sa sortie officielle.
Depuis, trois années se sont écoulées, sans nouvelles de sa part, et elle sort enfin son second album sur une nouvelle mais non moins prestigieuse maison de disque : Drag City.

En deux ans tout aurait pu changer; Jessica aurait pu devenir enfin adulte ou du moins muer, se mettre à la guitare électrique, découvrir l’électroclash ou le R’n’B, abandonner la musique et élever des chèvres dans le Larzac ou je ne sais quoi d’autre. Mais non, rien n’a changé ou si peu. Sa nouvelle maison de disque lui permet d’avoir plus de moyens : les chansons bénéficient maintenant d’arrangements, parfois fort étonnants (ce revirement façon Pet Sounds sur « The Game That I Play » est assez scotchant), parfois « autres » (cette impression qu’elle joue à ralentir ou accélérer les pistes voix sur certains morceaux ( « Greycedes », « Jacquelyn ») mais toujours pertinents.

En y réfléchissant bien, non, rien n’a changé. On retrouve dans On Your Own Love Again ce folk sans âge hérité des plus grandes (Sibylle Baier en tête, Vashti Bunyan ou encore Karen Dalton, sans la noirceur, et tant d’autres), cette luminosité irradiante qui faisait de son album éponyme un bijou, ce dépouillement émouvant, cet aspect brut, dépoli et surtout ce charme immédiat, ce sens de la mélodie qui vous retourne les tripes et vous rend accro en quelque secondes.
Bien sur, on pourra toujours reprocher à Jessica Pratt sa voix, sa force mais aussi sa faiblesse, parfois agaçante, limite forcée mais l’interprétation est si habitée, elle colle tellement à son univers qu’on peut difficilement mettre en doute sa sincérité.

En l’espace de neuf compositions, la nouvelle sensation folk de Los Angeles confirme ses talents de chanteuse exceptionnelle, cultivant un univers unique, empreint d’une rare douceur et d’une belle mélancolie, avec une personnalité qu’on devine bien trempée. Le changement de maison de disque aurait pu être l’occasion pour elle d’ouvrir sa musique aux autres, la rendre plus accessible. Pourtant, dans le concept, c’est presque l’inverse dont il s’agit : elle s’enferme chez elle, enregistre son album seule, préférant se préserver elle et sa musique, plutôt qu’être pervertie par les sales pattes d’un producteur (On imagine très bien Will Canzoneri s’arracher les cheveux lors du mixage de l’album), évoquant quelque part le cas Lee Mavers, ce vieux fou des La’s. Néanmoins, concrètement, il en résulte un album bien plus accessible que le précédent, dont l’effet de dépendance agit instantanément grâce, notamment, à des chansons en état d’apesanteur, d’une légèreté renversante, qui en plus de vous rendre accro, vous collent des frissons à la pelle (Essayez « Greycedes », « Jacquelyn »… ou encore « Strange Melody », vous comprendrez vite que vous aurez probablement besoin d’une cure de désintox après écoute).

Malgré quelques tics par moment agaçants, Jessica Pratt déjoue admirablement le piège du second album, confirme de fort belle manière le coup de maître du premier album et s’impose jusque là comme un des premiers grands chocs de 2015 s’annonçant comme une grande année d’un point de vue musical.