Crooner à la voix tour à tour ténébreuse et sensuelle, Daughn Gibson transporte l’americana vers de fascinants territoires new age sur son troisième opus. Produit par Randall Dunn et arrangé par Eyvind Kang.
Ex batteur au sein du trio stoner Pearls and Brass (deux albums dont The Indian Tower sorti chez Drag City en 2006), Josh Martin a depuis poursuivi un parcours qui sort de l’ordinaire. Après quelques jobs alimentaires qui lui auraient manifestement servi comme matière à inspiration (notamment chauffeur de camion et vendeur dans un sexshop…), ce beau brun ténébreux originaire de l’Etat de Pennsylvanie revient il y a quatre ans sous le nom de scène Daughn Gibson. Et de révéler au monde ébahit que cet ancien marteleur de fûts cachait en fait une voix grave et profonde exceptionnelle, entre Scott Walker et Johnny Cash.
Ses deux albums premiers – All Hell (2012) et Me Moan (2013) -, abandonnait le rock épais de Pearls and Brass pour une americana gothique habillé d’ambiances atmosphériques minimalistes. Malgré l’empreinte marquante de cette présence vocale, les deux disques passent (un peu) inaperçus aux Etats-Unis et (beaucoup) par chez nous. Ce troisième opus et second pour le label de Seattle Sub Pop devrait changer la donne. Les onze titres que constituent Carnation, bénéficient en effet d’un casting de collaborateurs triés sur le volet, placés à l’avant-garde de la scène rock alternative : l’imposant producteur Randall Dunn (Sunn O))) Earth, Tim Hecker…) est aux manettes, et les arrangements sont signés du compositeur/violoniste Eyvind Kang (John Zorn, Mike Patton…). Les parties de pianos étranges qui peuplent les plages du disque sont quant à elle l’Å“uvre du prodigieux multi-instrumentiste Steve Moore (Sufjan Stevens, le jazzman Bill Frisel et encore Sunno)))).
Avec un tel entourage, Daugh Gibson peut difficilement rater son coup : Carnation est une réussite, qui sous ses nouveaux oripeaux lumineux et éthérés, tente l’aventure vers une sophistication intrigante. Si les synthétiseurs et piano réinvestissent la country lugubre des opus précédents pour des ambiances plus aériennes et grandioses, une sensualité ambigüe s’immisce en second plan tout du long de Carnation, comme cachant quelque chose de sale et nauséeux.
Les arrangements New Age concoctés par Eyvind Kang sont le contrepoids de cette voix sombre qui n’a jamais été aussi manipulatrice, consciente de sa masculinité (« Heaven You Better Come in »). Du fait de ce contraste voix/texture, on pense beaucoup aux premiers albums de l’ex Japan David Sylvian ou celui de sa collaboration avec le guitariste Robert Fripp (« Shatter Your Throught » et ses ambiances new wave en clair-obscur).
Le majestueux « A Rope Ain’t Enough », est le plus spectaculaire aboutissement de cette quête esthétique, et laisse souffler un vent de mélancolie analogique qui nous happe totalement. Seul les guitares pas totalement grasses de « Let Him Deal » et « It Wants Everything » se rappellent au souvenir d’un passé binaire mais désormais lointain. Car Daugh Gibson a pris une belle avance au rayon des crooners du XXIe siècle.