Orphelin de son acolyte Grant McLennan au sein des mythiques Go-Betweens, l’ami Robert Forster récidive après 7 ans de silence et nous revient dans le plus simple appareil.
Inexorablement le temps efface et obscurcit les souvenirs, mais n’a en revanche aucune prise sur la musique gravée et creusée dans les sillons. Malgré les années écoulées et une fréquence d’enregistrements en solo sporadique l’écoute même distraite de Robert Forster déclenche systématiquement en nous un réflexe pavlovien puissant. Le stimulus émis produit l’envie irrépressible de replonger dans la discographie des Go-Betweens ou, l’espoir vain, de découvrir de nouvelles compositions, et ainsi, toucher à nouveau à l’alchimie parfaite et sublime qui habita ce groupe de folk pop Australien tout au long d’une bonne partie de leur discographie.
Les Go-Betweens ne sont malheureusement plus depuis la mort brutale en mai 2006 à l’âge de 48 ans de Grant McLennan. Le choc fut rude. En 2008 Forster comble le vide par un magnifique et cohérent hommage discographique à son ami. Sur The Evangelist, les sentiments se mêlaient et les mélodies chaleureuses se démêlaient.
2015, et 58 ans bien sonnés, Robert Forster a entretemps étendu sa palette de compétences. Tour à tour critique musical respecté et producteur émérite, il replonge, on l’imagine, dans ce qui lui tient le plus à cÅ“ur, la composition et l’enregistrement. Jamais hyper prolifique à l’instar de GrantMcLennan, Forster a toujours déroulé et composé à son rythme. En général deux ou trois chansons l’an. Pour les 10 morceaux que contient Songs To Play, le songwriter s’est fait violence. Enregistré chose rare, dans sa ville natale de Brisbane, et précisément au Wild Mountain Sound Studio, dans les montagnes avoisinantes -à quelques encablures de son domicile, Songs To Play jouit d’une atmosphère décontractée. Tout concourt à le mettre dans les meilleures conditions : Absence totale de pression, budget réduit et comble du bonheur présence de sa famille (sa femme Karin Baumler au violon et au chant est très présente). Deux jeunes producteurs, à l’antithèse de vieux requins de studio sont conviés aux manettes – Scott Bromley et Luke Mc Donald. Forster les avait déjà produits pour leur formation The John Steel Singers. Ils lui renvoient aujourd’hui l’ascenseur et insufflent vie et optimisme dans ses chansons.
Robert Forster a choisi un retour aux fondamentaux. Lové et au petit soin dans ce studio tout analogique il façonne un son humain et chaleureux. Le process numérique est banni. Le contrôle de la prise de son ne transite plus par un écran, ni par un langage et des convertisseurs binaires, mais par une simple vérification à l’oreille dans la pièce d’enregistrement. Bien lui en a pris : délié, cool, incisif, sarcastique et varié Songs To Play étale ses qualités. La palette musicale en langage « Forstérien» s’est élargie. Loin d’être rectiligne et uniforme deux apartés surprises ponctuent son tracé. Le premier -le plus relevé « A Poet Walks » – acéré et passionné – est cadencé par des sonorités mariachis. Il exalte une ambiance à la Calexico ou trompètes et violons s’entrelacent. Un poète y déambule dans une ville inconnue et laisse libre cours à ses réflexions. Le second « Love Is Where It Is » ondule et calme la mesure. On respire au son d’un tempo ultra-cool et d’une bossa nova plus vraie que nature. Le duo Forster-Baumer se fait plaisir.
Plus classique dans l’univers de l’Australien, « Let Me Imagine You » est splendide et très pop. Ecrit en 2009 ce morceau doux, carré et séduisant est un manifeste contre les nouvelles technologies de la communication («Please don’t twitter, let me imagine you »). Sur « Songwriters On The Run » magnifique conversation, le duo complice et intimiste trouve le ton juste. Mais avec humour : des musiciens en cavale n’ont plus que leurs chansons pour se refaire -“And they had their songs to play, no time to waist or loose”. –“And they had their songs to sing, no time to waist or loose”.
Sur « And I Knew », la voix chaude et posée de Robert Forster est mise en avant sur une décoration réduite à l’essentielle. « Disaster In Motion » scelle ce disque. La « catastrophe » menace. Tout démarre calmement, puis la température monte crescendo au son d’un tambourin bien malmené. Tel un mantra, Forster martèle en boucle ces quelques mots « What we had ». Très Velvetien mais par-dessus tout addictif au possible!
Songs To Play exhale une quiétude et une maîtrise salutaire. Solide mélodiquement de bout en bout ces chansons sont à apprécier et à analyser comme un journal de bord qu’à bien voulu nous laissé filtrer Robert Forster depuis sept ans. Un artiste plus que jamais épanoui dans son métier et sa vie.