L’occasion est trop belle … au détour d’une réédition de qualité, le fleuron de la musique pop anglaise des années 80 à 2000 bât à nouveau pavillon. L’étendard pop – XTC – claque une nouvelle fois à nos oreilles.
Orange & Lemons neuvième opus de 1989 a conservé intact sa saveur et ses arômes d’origines. Replongeons dans le contexte : En 1989, XTC a déjà plus d’une décennie d’existence mouvementée et prolifique derrière lui. Ces résidents de Swindon – morne ville industrielle anglaise – se doteront en réaction d’un étincelant et excentrique apparat pop. Cette formation est emmenée par l’éclaireur Andy Partridge (chant et guitare), son alter ego Colin Moulding (chant et basse), le guitariste et clavier – Dave Gregory et le batteur Terry Chambers qui quittera le groupe en 1982 durant les sessions d’enregistrement de Mummer.
Partridge & Co vouent une passion immodérée pour les mélodies ciselées et anguleuses. Ils soigneront constamment la forme. Partridge est un perfectionniste invétéré. Son abandon brutal et total de la scène pour surmenage un soir du 18 mars 1982 au Palace à Paris explique peut-être cela. XTC ne sera dorénavant plus nomade. Une discographie prolifique et immense s’est donc bâtie dans les travées des studios d’enregistrements. Fascinants et imaginatifs ces anglais inspirés ont enquillé sans duplicata une succession de chefs-d’Å“uvres (English Settlement, Drums and Wires, Black Sea, Skylarking). Chacun avec ses particularités est truffé de classiques pop indéboulonnables.
XTC s’est construit sur des pans d’influences disparates. La face solaire et positive des popisants Beatles, Kinks et Brian Wilson est bien identifiée, celle du versant plus obscur l’est moins. Appréciant par-dessus tout les harmonies pop directes, Partridge n’est pas insensible aux circonvolutions psychédéliques et complexes. Initié durant son enfance à la musique d’avant-garde et aux légendes du free jazz – Sun Ra et Albert Ayler, il est avant tout fondu du blues-rock du californien Don Van Vliet (Captain Beefheart) – gourou et influence avérée d’une flopée de groupes post – punk de l’époque (Pere Ubu, PIL, Gang of Four…). Ce melting-pot d’influences fut le terreau ou XTC puisa les sels musicaux nécessaires à son évolution. Il explique aussi la diversité de leur discographie.
Ils débutent leur longue histoire en 1978 à l’aplomb du mouvement punk par deux albums percutants à la rythmique survitaminée – White Music et GO 2. Mécanique, dansant, fougueux et destructuré, associé à des saccades de claviers, leur territoire musical est déjà unique et personnel. XTC secoue son public. L’époque veut ça aussi … mais l’histoire est lancée.
Retour vers le futur : A la recherche d’une reconnaissance plus conséquente, ils filent en 1989 à la conquête des USA – territoire plus accostable que leur perfide Albion. Skylarking, leur album précédent avait enfoncé le clou. Sorti en 1986 le public américain s’était enflammé pour le controversé «Dear God » la B-side de leur single « Grass ». Matraqué par les radios universitaires US – « Dear God » intégré à l’album dans les pressages suivants – est une missive corrosive (et satirique) sur les paradoxes de la religion. Ce morceau frictionna les consciences sur un excitant fondu enchainé pop et mélodique. Le pastoral Skylarking, album luxuriant et placide avait-il besoin de ce coup de pouce ? Une chose est certaine, aujourd’hui encore, son écoute ouvre systématiquement la porte sur un jardin musical somptueux et magique.
Pour confirmer cette dynamique XTC enregistre Orange & Lemons à Los Angeles durant l’été 1988 sous la houlette du producteur Paul Fox. Ce dernier est étiqueté commercial, XTC est de son côté référencé groupe alternatif, la mayonnaise prend parfaitement. L’album est une collaboration réussie et plantureuse. Partridge et Moulding mettront à la disposition de Fox un panier de vingt-six chansons où quinze titres seront extraits.
Orange & Lemons, avec l’aval de Geffen Records – leur label US – sera donc double. Le trio décide à l’unisson de s’éloigner de l’ambiance laid-back de Skylarking. Les quinze vignettes qui le composent sont gentiment plus agressives. Les guitares de Dave Gregory sont en première ligne, le clavier de Fox- quatrième larron pour l’occasion – est plus présent. Un cinquième membre sera aussi recruté- le batteur Pat Mastelotto (Mr. Mister/King Crimson) – au jeu très proche de Terry Chambers. Il frappe fort sur les fûts dixit Partridge.
Orange & Lemons est un voyage lumineux et fluorescent, à l’image du temps à Los Angeles, aux antipodes de la vieille et pluvieuse Angleterre. Il est aussi ponctué de nombreuses et brillantes extravagances psychédéliques où la verve et l’excentricité de Partridge font merveilles. Ce disque est un puzzle groovy, aux couleurs orangés, assemblé méticuleusement et amoureusement à partir des plus belles pièces de chacun de leurs précédents enregistrements. Dédié aux (à ses) enfants Orange & Lemons est truffé de clins d’Å“il au film musical américain Le magicien d’OZ. L’humeur est enjouée et enfantine. Un disque adulte pour les grands enfants !
Le touchant et très personnel « Hold Me My Daddy » que l’on aurait pu penser écrit pour ses enfants est en fait une déclaration sur la difficulté pour Andy Partridge de s’adresser et dialoguer avec son père : « Well these are the right words to say, they’re difficult but still true, well then hold me my daddy, I forgot to say I love you »
L ‘album s’ouvre en fanfare. Le très optimiste ”Garden of Earthly Delights” est un message d’accueil pour tous les enfants, un message de bienvenue dans le monde des adultes. Ce titre est pourtant le plus psychédélique de ce double album, et semble tout droit échappé de leur génial projet – The Dukes of Stratosphear – exercice de style et parodie sur le psychédélisme anglais de la fin des années 60. Deux sorties à 2 ans d’intervalles verront le jour (25 O’Clock en 1985 et Psonic Psunspot en 1987).
Sur le cocasse « Pink Thing » Partridge évoque son pénis, ou son fils, ou les deux… l’un étant la conséquence de l’autre ! Comme à leurs habitudes les deux compères Moulding et Partridge se tirent la bourre et rivalisent de talent pour coexister. Plus en retrait qu’à l’accoutumé, Moulding sera crédité de trois titres au cynisme revendiqué – le lumineux single “King For A Day” limpide, élégant et 100 % pop – l’entraînant et richement instrumentalisé “One Of The Millions” et le relax “Cynical Days” aux paroles sombres et pertinentes.
Partridge de son côté assomme la concurrence sur « The Mayor of Simpleton ». Bâti sur l’impressionnante ligne de basse de Moulding, ce morceau déroule sa mélodie parfaite … une idéaliste chanson d’amour.
Le génial et macabre « Poor Skeleton Steps Out » à la rythmique enlevée s’entiche d’un xylophone et de claviers en promenant ses textes surréalistes. Andy Partridge en pleine forme nous explique que le dernier groupe ethnique à vouloir être libéré sont les squelettes. Ils sont sans faille dans leur soutien aux êtres humains, mais doivent attendre jusqu’à ce que nous mourions pour obtenir leur liberté.
« Scarecrow People »- sa chanson fétiche sur cet opus – pointe le coté destructeur de l’homme scruté par des aliens sur une terre désolée jonchée d’épouvantails humains.
Le puissant « Across This Antheap » recalé par Todd Rundgren pendant les sessions d’enregistrements de Skylarking puise son énergie dans les assauts de guitares de Dave Gregory. Ce titre imposant est propulsé par un riff de blues à la saveur « oriental » et nous est présenté au son d’une trompette jazzy. Le dernier et troisième single « The Loving » est une ode à l’extravagance d’Andy Partridge, il voulait composer un hymne, la foule samplée en arrière-plan nous l’apporte.
« Chalkhills And Children » ferme magnifiquement ce double LP. Séquence solaire et apaisée, ce titre pointe le talent d’arrangeur et de compositeur de Partridge, Moulding et Gregory. Le grand maître Brian Wilson n’est pas bien loin. Le magazine britannique Mojo a d’ailleurs inséré cette chanson dans son Top 50 des meilleures chansons Britanniques de tous les temps. Les paroles mettent en avant le refus de Partridge d’adhérer au grand cirque du rock’n’roll. La normalité a trouvé son étendard.
Pour tout amateur de musique pop, XTC en son temps, a su exaucer tous nos vÅ“ux. L’écoute aujourd’hui de cet opus dans sa version remastérisée par Steven Wilson – rempli à bloc de bonus sur le blu-ray – nous redonne du plaisir. Orange & Lemons restera un bain de jouvence musical bâti sur un feu follet de trouvailles musicales adossé à de splendides mélodies.