Après une lacune de 19 ans, le diamant brut de la musique indépendante néo-zélandaise scintille à nouveau. Le prix de cette attente ne se discute pas !
The Chills c’est l’histoire agitée de Martin Phillips. Autour de ce socle inamovible a gravité une pléthore de musiciens au gré des circonstances de la vie. On dénombre pas moins d’une quinzaine de line-up différents. Auteur, compositeur, arrangeur et maître du chant, l’histoire de Phillipps et des Chills n’a jamais coulée de source. Originaire de Dunedin – tout débute classiquement dans l’euphorie du punk au sein de The Same. Fin 1978 l’écolier Martin à 15 ans. Au contact des agités Toy Love (Chris Knox & Co), il fait ses armes. Peter Gutteridge figure local et les frères Kilgour (futur The Clean) introduisent Martin Phillipps à la musique psychédélique et au son garage des années 60. Son éducation achevée, il fonde The Chills en 1980. Mars 82 sort le Dunedin Double EP sur le frêle et émergent label Flying Nun. Il y avait un avant, il y aura un après : juin 1984, l’inégalable et frissonnant 45 tours « Pink Frost » montre les premiers signes indéniables de leurs talents. Suivront plusieurs singles – « Rolling Moon », « Doledrums » fragiles, lumineux et mémorables. Ces premiers signes ne trompent pas.
L’an 85 est consacré aux voyages, The Chills quadrille du nord au sud l’archipel néo-zélandais pour financer une future excursion en Angleterre où ils accostent en octobre 85. Illico le guetteur John Peel les invite. Leur empreinte sur le vieux continent est formée. De retour au pays fin 85, Flying Nun publie dans la foulée une compilation de tous leurs merveilleux simples, distribuée en Europe par Creation Records. Kaleidoscope World est la vitrine bigarrée et luminescente d’une formation déjà indispensable. (Une future réédition avec bonus est en chantier via Captured Tracks).
Brave Worlds, leur premier effort inspiré à la production chahutée est publié sur Flying Nun en 1987. Les désirs d’expansion de Martin Phillips sont manifestes – Flying Nun lâche donc l’affaire. The Chills sera la première formation du label à assumer une signature sur une major (via Slash Records sous-division de Warner). Le plus beau est à venir : en 1990, Submarine Bells, éclatant et cristallin (unique numéro 1 de l’histoire de Flying Nun dans les charts Neo-Z) et deux ans plus tard, le poétique et tentaculaire Soft Bomb.
Pourtant déjà à la tête d’un patrimoine que beaucoup lui jalouseraient, cela n’empêchera cependant pas le groupe d’être éjecté du consortium Slash Records. En parallèle, de sérieux problèmes de santé vont tirailler Phillips qui jettera l’éponge…. pour quelques temps. 1996 – il rebondira tout de même sur le projet Martin Phillips & The Chills et son LP Sunburt. Depuis … deux décennies … une vie … ont filé.
Quelques nouvelles sporadiques et le EP Stand By en 2004 nous rassurerons tout de même.
2015 est donc l’année de la renaissance. Ce cap conséquent et ce silence important n’ont fait que démultiplier notre joie. On retrouve la formation Kiwi là où elle avait rompu. L’époque n’est plus la même, mais la datation de ces nouveaux enregistrements reste très incertaine. Phillipps nous lance un défi : ces nouvelles compositions laissant l’impression d’être tout droits échappées de la malle aux trésors des années 90. Des reverbs de guitares se mélangent aux claviers tourbillonnants et aquatiques, les harmonies complexes et limpides s’entrelacent pour former de somptueuses mélodies. La magie et l’harmonie sont intactes.
Au son de quelques carillons l’heure des retrouvailles a sonné. « Father Time », requiem de 34 secondes semble faire écho à son père ancien pasteur méthodiste.
Des arpèges de guitares claires et fluides prennent ensuite possession de l’espace, une batterie bât la mesure sur un tempo modéré et sautillant, le timbre de voix poignant de Phillipps est resté intact et immaculé. La mélancolie du magnifique et accueillant «Warm Waveform» est palpable, son analyse ouvre une double lecture : poignante chanson d’amour ou ode écologique à son 2e amour l’océan.
‘You’re making your waves
I like this your way
Safe in your own waves’
« Underwater Wasteland », un peu plus loin, aggravera le propos. Phillipps & Co enfilent leurs scaphandres de plongeurs. L’état des lieux de l’océan est alarmant :
‘Then we drag our nets across the bed
And leave the ocean desert-dead’
Sur un rythme ralenti et confiné les guitares et claviers joués sous basse tension semblent émerger des profondeurs. L’orgue sémillant affleure à la surface. La voix de Phillipps illumine l’ensemble. “Aurora Corona” poursuit la quête, et son auteur n’en démord pas, ce nouveau plaidoyer écologique est furieusement efficace. A l’image de l’illustration de la pochette -des barracudas poissons prédateurs envahissant l’océan – le monde n’est plus peuplé que de carnassiers avides et destructeurs.
La musique des Chills a du cachet et regorge d’élégance, la grain de voix particulier de Phillipps respire le mystère des antipodes et des contrées mystérieuses, ce qui ne l’interdit pas d’afficher ici et là quelques brûlots plus terre à terre et bien fagotés. Silver Bullets n’y échappe pas. La pop psyché d’ « America Says Hello » fleure bon le cynisme : «Just a rocket attack and a property boom » (une roquette frappe et le boom immobilier explose). Mais la frustration et la colère ne sont pas exemptes.
Dans la même veine, le furtif et inachevé « Liquid Situation », débute sur un lit de guitares rutilantes fortement estampillées The Clean. Martin Phillipps appose cinq mots qui en disent long – ‘Intolerance precipitates our imminent demise’. Assurément, ces 50 secondes auraient mérité une prolongation !
A l’opposé dans son échelle des temps, les 8 minutes de « Pyramid/When The Poor Can Reach The Moon, » font office d’étape marathon. Les premiers solos et battements de batteries – amples et libérés annoncent la couleur, le morceau sera épique. Les claviers omniprésents mêlés au larsen des guitares saturent l’atmosphère, au ¾ du parcours, sa route bifurque et les musiciens nous déportent vers des chemins plus balisés et classiques.
« I Can’t Help You” maintient la pression et développe une vitalité au-dessus de la moyenne, sa mélodie et son dynamisme nous attrapent pour ne plus nous lâcher, au contraire du délicat « Tomboy » chanté et repris en cÅ“ur par la chorale de l’école George Street Normal. Le voyage se clôt sur la version retravaillée de « Molten Gold », Phillipps et ses camarades y intercalent plus de matière et de tranchant en surlignant avant tout les magnifiques contours pop de cet édifice découvert en 2013.
Aucun doute ! Silver Bullets est au niveau de ces illustres prédécesseurs, chacune de ces douze facettes met en scène son propre spectacle merveilleux. Martin Phillipps n’a pas manqué son retour et par la même occasion la Nouvelle-Zélande glane son deuxième trophée de l’année.