Luna revient en octobre avec un excellent nouvel album, Rendezvous– le septième du groupe new-yorkais, mais aussi le dernier. Après la pop colorée et enjouée de l’extraordinaire Romantica (2001), Rendezvous est un retour aux sources pour ce groupe à guitares surtout connu pour ses changements d’accords minimalistes et ses textures sonores envoûtantes inspirés du Velvet Underground.


La sortie de ce disque est l’occasion d’une rencontre avec Dean Wareham, le chanteur, guitariste et songwriter du groupe, entré dans la légende du rock indépendant américain avec sa formation précédente, Galaxie 500, constituée au milieu des années 1980 par trois étudiants de Harvard. Le culte dont elle fait l’objet tend trop souvent la valeur de Luna, groupe à qui l’on doit une poignée de coups de maître comme Bewitched, Pup Tent, et surtout Penthouse, et que le public parisien pourra apprécier de nouveau lors d’une dernière tournée.

En attendant, Rendezvous est un superbe album d’adieu qui, espérons-le, permettra de rendre justice à ce groupe hors du commun, à l’originalité frappante malgré le choix assumé d’un certain classicisme rock. La production épurée permet de retrouver le son du groupe sur scène, et les onze morceaux sont à la hauteur de ses plus grandes réussites. Pour la première fois, deux compositions du guitariste Sean Eden figurent d’ailleurs sur le disque.

Dans cet entretien, Dean Wareham revient sur la carrière du groupe, mais aussi sur son évolution personnelle – son disque solo avec Britta Philips, sorti en 2002, tourne encore sur bien des platines – et parle aussi politique, littérature, cinéma… Un tour d’horizon de l’univers d’un songwriter exceptionnel, plus volontiers reconnu par le public – et la critique – de l’autre côté de l’Atlantique, puisqu’une bonne part de son attrait tient à la poésie de ses paroles.

Pinkushion : Commençons tout de suite par la grande question…

Dean Wareham : De quoi voulez-vous parler ? (rires)

Vous avez annoncé que ce serait le dernier album et la dernière tournée de Luna. Pourquoi ?

Eh bien, la décision que ce serait notre dernier album et notre dernière tournée a en réalité été prise il y a plusieurs mois. Nous nous sommes tous réunis et puis, voilà ! On ne voulait pas en parler parce qu’on ne voulait pas tourner en ayant cette espèce de pression de la dernière tournée… Mais on s’est dit qu’il était plus honnête de mettre les choses sur la table et de le dire – pour tous ceux qui veulent écouter le groupe encore une fois, et puis venir nous voir en concert. Mais en ce qui concerne les raisons… Les gens veulent savoir pourquoi on se sépare, mais la réponse est simplement : c’est ce que les groupes font ! Ils se forment, ils font des disques, et ils se séparent. Ils ne durent pas éternellement. Nous avons fait sept albums, ce qui est beaucoup, et nous avons duré plus longtemps que les Beatles !

Pour vous en tant que songwriter, est-ce que c’est une manière de vous éloigner du son particulier qui définit Luna, un peu comme Galaxie 500 à son époque ?

Oui, je crois, mais ce n’est pas seulement une décision créative, c’est davantage dû au fait de se sentir fatigué de ce cycle dans lequel on est depuis très longtemps : écrire des chansons, faire des nouveaux disques, partir en tournée, et faire tout ça encore et encore et encore… Toute personne qui a joué dans un groupe comprend cela. Dès le moment où le groupe est formé, des tas de complications surviennent…

On commence à jouer avec des gens car ce sont des amis, mais d’autres éléments interviennent… Et c’est aussi un business, donc des choses entrent en ligne de compte qui n’ont rien à voir avec l’amitié. C’est aussi une vie artificielle, on passe beaucoup trop de temps ensemble, on se voit dans les pires moments. Vous savez, c’est incroyable qu’on ait tenu aussi longtemps. Personnellement, je préfère arrêter quand on s’apprécie encore mutuellement.

Ce type de décision est aussi d’ordre financier, ce que les gens ont souvent du mal à comprendre, mais c’est difficile de gagner sa vie de cette façon. Et c’est plus difficile aujourd’hui, j’ai un fils qui a 5 ans, et ce qui était génial à 25 ans, voyager partout, dormir par terre chez les gens, ne l’est plus… J’ai 41 ans !

J’imagine que derrière cette décision, il y a aussi le fait que vous avez enregistré d’excellents disques, tourné sans arrêt, etc. alors que Luna a une vraie communauté de fans, un vrai succès critique, mais tout le monde est d’accord sur le fait que vous n’avez pas autant…

… oui, je vois ce que tu veux dire. Les gens qui sont un peu en décalage peuvent se taper la tête contre les murs, à toujours essayer de vendre davantage au lieu d’être simplement fiers de ce qu’ils font. J’ai fait, quoi, sept albums de Luna, et sept albums, ça suffit ! Certains groupes finissent par se séparer sans même l’annoncer, ils abandonnent…

Mais tu prévois de continuer à enregistrer…

Oui, je vais continuer à faire des disques, c’est sûr. Mais comme je l’ai dit, je veux arrêter ce cycle interminable. Gagner sa vie en faisant des concerts dans un groupe de rock, c’est travailler dur.

Vous êtes là pour promouvoir un nouvel album, Rendezvous, et vous allez aussi faire une dernière tournée.

Oui nous allons faire des concerts, le groupe n’est pas encore séparé. On veut aller à Paris de toute façon, mais je ne crois pas que nous allons faire une grosse tournée européenne. L’Europe, c’est inégal, certains endroits comme l’Espagne, Paris, Londres, sont géniaux, mais nous n’aimons pas beaucoup aller dans certains endroits comme l’Allemagne, la Suisse… Donc je crois que cette fois nous ne suivrons pas les conseils de ceux qui nous disent : vous devez aller là, et là…

Si c’est une tournée d’adieu, vous voulez aller dans les endroits où vous avez des fans, plus ou moins.

Exactement, nous en sommes arrivés à un point où nous voulons seulement aller là où nous savons que les gens nous aiment.

Dans votre album précédent, Romantica, vous alliez davantage vers un format pop, plus produit, etc. alors qu’avec Rendezvous vous revenez à quelque chose de plus proche de votre son traditionnel, de Bewitched, Penthouse

C’est vrai, je n’y avais pas pensé, mais à chaque fois que tu fais un disque, c’est en réaction à ce que tu as fait la fois précédente. C’est aussi une différence de producteurs. Mais oui, dans ce disque il n’y a pas de cordes, pas de violoncelle… Quand on l’a commencé, les gens nous disaient « vous êtes un super groupe en concert », « le groupe sonne bien ensemble », et c’est ce qu’on a essayé de capter.

Il nous a tous mis dans une grande pièce – un studio ouvert, sans murs ou séparation entre les musiciens. On ne portait pas de casques, on pouvait tous se voir, et on jouait une chanson jusqu’à ce qu’on la joue bien, et ça s’entend dans le disque. On a aussi utilisé un micro pour toute la pièce, pour avoir le son de l’ensemble du groupe. Quand on démarre un groupe, les choses évoluent de façon de plus en plus complexe, et là on a tenté un retour aux sources.

On dirait que vous laissez davantage de place aux guitares, comme dans vos premières chansons telles que « Friendly Advice »…

C’est vrai que les chansons se sont petit à petit raccourcies. Je crois que ça n’a pas été une décision consciente. Est-ce qu’il y a vraiment de longs morceaux sur ce disque ? Il y en a une, je crois. Mais ça représente ce qu’on fait en concert. Pas autant que ces « jam bands »… Tu connais Phish ?

Non.

Tu as de la chance ! Ce sont de super musiciens qui jouent des chansons horribles. Et ils jouent leur morceau pendant environ 20 minutes. Certains de nos fans aiment ça, ils trouvent qu’on ne joue pas assez longtemps…

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Comment vois-tu tous ces albums de Luna, avec le recul ?

Eh bien, le premier, c’est Lunapark. Je ne crois pas qu’on était vraiment un groupe, on n’avait pas vraiment joué ensemble avant… C’était juste pour démarrer, le son est bien, mais ce n’est pas mon préféré. Ensuite, Bewitched – à ce moment, on jouait ensemble depuis un an, et Sean (Eden, guitariste, NDLR), nous a rejoints. Ca ressemble plus à un groupe. Enfin les textures… J’aime bien la chanson « Friendly Advice », il y a des morceaux que j’aime bien. Et puis Penthouse, qui est mon disque préféré de Luna…

C’est le mien aussi, comme celui de beaucoup de gens.

Oui, et je crois que ça prend un moment pour un groupe de développer un son particulier. Avec Galaxie 500 nous avons d’abord passé un an et demi simplement à jouer ensemble. Un groupe intéressant est davantage que la somme de ses musiciens. Penthouse a cette ambiance géniale… On ne sait pas trop pourquoi certains disques deviennent comme ça et pas d’autres, ça arrive, c’est tout. Ensuite Pup Tent, c’était une vraie torture, ça nous a pris très longtemps, trois mois et demi en studio. Ce disque a couté beaucoup trop d’argent. Mais c’est probablement le meilleur son qu’on ait eu. Il y a des tas de choses qui se passent, quand on l’écoute.

Pup Tent a aussi une atmosphère particulière.

Oui. Mais il y a des chansons que je j’adore sur ce disque et d’autres que je n’aime vraiment pas. Notre producteur nous a un peu torturés. Certains pensent que c’est son boulot… A sa manière il est brillant, mais difficile. J’aime les chansons « Pup Tent », « Tracy I Love You ». Quant à l’album The Days of our Nights, je ne sais pas, je ne l’ai pas écouté depuis un moment donc je ne sais pas très sûr. J’aime la chanson chantée en allemand. Tu l’aimes, celle là ?

Beaucoup, mais ce n’est pas mon album préféré de Luna, il n’est pas aussi cohérent que les autres.

Ca ressemble à un assemblage de choses différentes, comme si on essayait ceci et puis cela…

Mais certaines chansons sont parmi vos meilleures, « Hello Little One », « Superfreaky Memories »…

D’accord… Ensuite il y a eu Romantica, que j’aime vraiment beaucoup. On n’avait pas de maison de disques quand on a commencé, on a enregistré des bouts, ça a pris du temps… J’en étais très content. Ca nous amène à Rendezvous, mais je ne peux pas tellement en parler, c’est trop tôt.

Vous avez aussi enregistré un album solo, avec Britta Philips (la bassiste de Luna, NDLR).

J’adore ce disque. J’ai commencé avec seulement, ou principalement,un batteur, il y a plein de reprises… Puis Britta s’est associée au projet, et a écrit elle aussi des chansons, et à l’arrivée on a un sacré disque ! C’est drôle comme ça arrive, ça évolue simplement comme ça.

Comment avez-vous choisi les reprises ?

« Moonshot » de Buffy Sainte-Marie est une chanson qu’on faisait avec Galaxie 500, mais qui n’est jamais sortie. Mais je préfère nettement cette version. Sinon ce sont juste des groupes que j’aime, des chansons que j’ai toujours voulu faire, comme celle des Doors, « Indian Summer », ou d’Opal, « Hear the wind blow »…

L’originalité de ton approche du songwriting, c’est l’importance des paroles, ce qui n’est pas si courant parmi les groupes de rock actuels. On dirait que tu poursuis cette tradition de Bob Dylan ou Lou Reed, avec beaucoup d’images, d’humour noir, mélangeant des observations diverses, prises par-ci par-là…

Dylan est incroyable. Je ne sais pas comment il fait. Ses chansons pourraient former un ouvrage de pure poésie. Je crois que Lou Reed a étudié la poésie… De toute façon je crois qu’il faut avoir un certain intérêt pour la poésie, ou la littérature. Beaucoup de gens qui sont dans des groupes ne s’y intéressent pas. Ils n’y pensent jamais. Ils s’asseoient, et se disent probablement : « je vais écrire une chanson sur mes sentiments à propos de ceci ou cela… ». Très souvent ça ne marche pas !

Ce qui m’intéresse dans la poésie… Ca peut être simplement de petites observations à reconstituer, essayer de recréer une scène, plutôt que d’essayer de retranscrire ce que l’on ressent au fond de soi-même… Parce qu’avec un peu de chance ça sortira naturellement du récit ou des petites choses sur lesquelles on écrit. J’aime bien la poésie chinoise ancienne, des choses très courtes, simples…

Mais on n’est pas obligé de faire comme ça ! Parfois tu n’écoutes même pas les paroles, tu peux chanter par exemple une chanson de Gene Vincent : « Be Bop a Lula she’s my baby / Be bop a Lula I don’t say maybe », et c’est joli aussi, comme les Ramones, la simplicité de leurs paroles, du genre « I don’t wanna walk around with you / I don’t wanna walk around with you / I don’t wanna walk around with you / so I’ll just walk around with me ». C’est très bien aussi !

Certains titres de tes chansons sont des références particulières à la littérature, des auteurs comme Don DeLillo (la chanson « Great Jones Street », sur « Bewitched », NDLR) ou Paul Auster (« Moon palace », sur « Penthouse », NDLR). Est-ce que la littérature en général, ou d’autres auteurs, sont une source d’inspiration ?

Ce sont mes deux écrivains américains préférés. Dernièrement, j’ai lu beaucoup de Philip Roth. Il a écrit une espèce de trilogie qui est une sorte d’histoire sociale de l’Amérique, sur des décennies, et c’est fantastique.

« La tâche »…

… oui, avec « Pastorale Américaine » et « J’ai épousé un communiste ». Ces trois livres sont géniaux. Il y a aussi Nabokov, Raymond Chandler – ces romans policiers… C’est un écrivain magnifique, poétique, l’un des meilleurs écrivains américains. Il a créé cette voix qui a été imitée ensuite par beaucoup de gens. James Ellroy est un autre auteur de polars que j’aime. Et… Il y a ce type, Alan Furst, qui écrit des espèces de romans d’espionnage, dont certains se passent à Paris, tous bien ficelés mais c’est plus que ça… Une sorte de croisement entre la littérature de genre de seconde zone et quelque chose de beaucoup mieux.

Est-ce que tous ces écrivains ont eu un impact sur l’écriture des chansons ?

Je ne sais pas, je suppose… Peut-être Don DeLillo, j’aime son écriture. J’adore les phrases courtes, sans fioritures. Parfois je prends des choses aux autres, comme le titre « Moon Palace ». J’aimais beaucoup ce titre. Parfois c’est seulement un mot. Dans ce disque (Rendezvous, NDLR) il y a deux chansons dont le titre est celui de tableaux d’Ed Ruscha, un peintre de Los Angeles, qui utilise aussi les mots… Il a fait un tableau qui s’appelle « Malibu Love Nest » et un autre qui s’appelle « Speedbumps ». Mais ça peut aussi être un épisode de Colombo, où je prends des choses qui se prêtent bien à une chanson.

Et le cinéma ? Ton disque avec Britta Philipps s’appelle « L’avventura », comme le film d’Antonioni.

C’est vrai. C’est un grand film. On a aussi une chanson (de Luna, NDLR), un instrumental, qui s’appelle « Bob Le Flambeur » (un film de Jean-Pierre Melville, NDLR) (il commence à raconter le début du film). Le cinéma fait tellement partie de notre culture maintenant, on en est forcément imprégné.

Tu as récemment joué dans un film, « Piggie », l’un des rôles principaux.

Oui, c’est ma carrière d’acteur. Jusque là ma carrière d’acteur se déroulait surtout dans la salle de bains !

Comment t’es-tu retrouvé impliqué dans ce projet ?

J’ai rencontré quelqu’un, la réalisatrice (Alison Bagnall, NDLR), qui avait co-écrit « Buffalo 66 » (film de Vincent Gallo, NDLR). Elle avait un mal fou à trouver un acteur pour jouer ce personnage, l’un des personnages principaux, un junkie. Elle disait que tous les acteurs qu’elle avait vus ne convenaient pas, avaient l’air trop sains, etc. ! J’étais à une fête du Nouvel An, le champagne coulait, et elle a parlé de filmer des essais…

En fait, quand je regarde tout ça, j’en suis très content. Au départ comme dans le script il était écrit que je devais pleurer, hurler, etc., je disais « je n’ai pas pleuré de toute l’année, alors je ne sais pas comment tu vas me faire pleurer ! ». Mon approche comme acteur a été la même que mon approche en tant que chanteur : il s’agit d’être soi-même autant que possible. Je crois que Woody Allen est un grand acteur, et il se contente d’être lui-même. C’est difficile à faire, il faut prendre le personnage et le rendre aussi proche de soi que possible. C’est comme chanter, les gens me disent : « tu devrais chanter ça », « chante ! », mais ça ne correspond pas à ma voix, et si je le fais j’ai l’air d’un imbécile.

Et le tournage ?

Est-ce que ça m’a plu ? Non. C’était un tout petit budget, il fallait se lever à cinq heures du matin, attendre pendant des heures… C’étaient des journées très longues, et puis, la réalisatrice… Je l’adore et je ne lui en veux pas, mais elle voulait que j’aie l’air de me sentir très mal, car mon personnage est censé être en dépression nerveuse. Donc par exemple, dès que quelqu’un me parlait elle lui disait « Ne parle pas à Dean ! ». Elle a essayé de me rendre malheureux. Elle a réussi. Et peut-être qu’elle a eu raison, ça a marché.

J’ai terminé il y a deux ans environ, le film passe dans des festivals de cinéma… Je n’ai pas fait l’acteur parce que je pense que c’est une meilleure façon de faire de l’argent. C’est ce que Marlon Brando disait : « Aahh, c’est mieux que, je ne sais pas, balayer par exemple… » C’est certainement une bonne manière de se faire beaucoup d’argent, mais je suis davantage passioné par la musique.

Est-ce que l’on pourra voir « Piggie » bientôt ?

Ca m’étonnerait qu’il sorte en Europe, il y a encore des difficultés pour l’Amérique. En fait c’est plutôt le genre de film qui attirerait l’attention en Europe, plutôt qu’aux Etats-Unis : il n’y a pas de flingue ! C’est une compétition terrible pour qu’un film puisse sortir en salles aujourd’hui.

Vous avez écrit une chanson qui s’appelle « Bobby Peru », un hommage à David Lynch ?

Oui, à David Lynch et au roman, « Wild at Heart ». En fait j’avais vu le film d’abord. Mais c’était un superbe nom, « Bobby Peru » !

Oui, un grand personnage aussi.

Willem Dafoe.. C’est un acteur qui a un registre très étendu, contrairement d’ailleurs à d’autres acteurs, comme Terence Stamp, qui est très bon, Alain Delon peut-être… « Bobby Peru »… Certains groupes ne procèdent pas comme ça, en prenant une expression, un bout de phrase qu’ils aiment pour l’utiliser à un moment donné. Il y a aussi dans cette chanson une réplique de Colombo, dans un épisode avec John Cassavetes, qui joue un chef d’orchestre qui a tué sa femme ou sa petite amie, en lui mettant la tête dans le four. Et Colombo débarque et n’arrive pas à comprendre, il dit « le meurtre, c’est mal, mais le suicide, c’est triste. Pourquoi une fille comme ça mettrait sa tête dans le four ? » C’est une super réplique ! Tout ça, c’est aussi un mélange personnel, un assemblage de mots, avec des choses plus personnelles… C’est la liberté poétique !

Luna apparaît d’abord comme un groupe new-yorkais, poursuivant la tradition du Velvet Underground ou de Television… On retrouve aussi l’atmosphère de la ville, surtout dans des disques comme « Bewitched » ou « Penthouse ».

Eh bien je suis arrivé à New York en 1977, et les groupes punk de New York ont eu une influence énorme sur la personne que je suis devenue. Pour le meilleur et pour le pire c’est à l’adolescence qu’on se construit… Donc ces groupes sont mes groupes préférés, Television, Suicide ou encore Blondie. Le Velvet Underground, aussi, qui a eu énormément d’influence sur moi, comme sur beaucoup de groupes.

Mais peut-être que ça ne concerne pas particulièrement New York. Johnathan Richman n’était pas de New York, il voyait toute cette musique de la côte ouest et a dit « nous, on est de la côte est, on a le son de la côte est ». Les gens sont différents sur la côte ouest et sur la côte est… Le climat vous affecte… New York c’est très différent de San Francisco. Quand New York avait le Velvet Underground ou les Thugs, San Francisco avait, par exemple, The Grateful Dead. Parfois j’aime bien aussi les groupes californiens…

Et l’ambiance de la ville elle-même…

Aujourd’hui la ville est très militarisée. C’est probablement quelque chose, que l’on soit à Londres ou Barcelone, avec lequel il faudra vivre pendant assez longtemps, la menace de la violence, du terrorisme. Je crois qu’on est revenus à la normale à New York, on a enfin le droit de détester Rudy Giuliani à nouveau. Il a parlé à la convention républicaine, et on s’est souvenus pourquoi… Depuis le 11 septembre, les gens disaient « c’est le plus grand maire ! ». Il était là… Mais qu’était-il censé faire d’autre ? C’est vrai qu’il n’a pas paniqué !

Ces trucs là construisent de toutes pièces des légendes. C’est comme Charles de Gaulle, ça repose beaucoup sur le fait d’être là à un moment particulier, et évidemment c’est ce que George Bush essaie de faire maintenant ! C’est pour cela qu’ils ont fait la Convention à New York : une ville qui représente le destin de l’Amérique, une ville qui déteste les républicains aussi…

Est-ce que le 11 septembre a changé la manière dont tu parles de New York dans tes chansons… Tu parles des Twin Towers dans une chanson (« Going Home »)…

Oui, dans une vieille chanson. J’adorais ces buildings, ils étaient tellement beaux. Et je dois dire que quand je regarde le ciel de New York, à chaque fois, il manque quelque chose. Sinon, que dire ? C’est bien sûr un acte de barbarie, auquel notre gouvernement a très mal répondu, sans se demander « pourquoi ». La réponse a rendu le monde plus dangereux que ce qu’il était auparavant. Même dans leur propre parti, car c’étaient les démocrates qui avaient engagé les Etats-Unis dans les deux guerres mondiales, alors que les républicains étaient réticents… Même certains conservateurs pensent que le président a été berné par une bande de conseillers faucons.

Certains groupes, derrière Bruce Springsteen, ont tenté de faire quelque chose pour influer sur l’élection présidentielle. C’est une bonne idée ?

C’est une bonne idée si c’est ce qu’ils veulent faire… C’est bien pour donner de l’argent à Kerry. Quant à l’influence… Je suppose que j’ai été influencé, quand j’étais plus jeune, par les Clash, par exemple.

On m’a demandé de faire des choses pour Kerry, mais je ne veux pas. Evidemment il est mieux que Bush, mais je ne vais pas participer à la campagne de quelqu’un qui a voté pour la guerre… Ils ont tous voté pour le Patriot Act, par exemple, et maintenant ils disent « on nous a menti ». Moi, je savais qu’on nous mentait, tout le monde le savait. Mais ils s’en sont accommodés.

Ils ont Bruce Springsteen, Jon Bon Jovi, Barbara Streisand… c’est super ! Je vois bien l’argument, mais pour Kerry… A la Convention Républicaine, énormément de gens ont manifesté contre la guerre, mais le candidat alternatif se contente de critiquer la manière dont elle a été menée. Il n’a jamais vraiment exprimé son opposition.

Mais c’est sans doute un moindre mal…

C’est un moindre mal, oui. J’ai regardé toute la Convention Républicaine, ça fait peur. L’aspect religieux de tout ça… En fait Bush ne croit pas à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. La convention était une pub télé géante, ils étaient là à balancer leurs mensonges… Ils répètent ces mensonges, et l’Amérique finit par les croire. Je dis souvent que si les américains sont aussi stupides, alors ils méritent d’avoir George Bush comme président. Mais ça concerne le monde maintenant… George Bush croit qu’il a été élu président du monde entier.

Il a dit des choses du genre « Dieu voulait que je me présente aux présidentielles », « Dieu a voulu que j’envahisse l’Irak », ça donne la chair de poule ! Les démocrates essaient de faire passer le message – en choisissant leurs mots – que Bush est en fait un fou. Ils utilisent des expressions du type « il faut vivre dans le monde réel »… Je crois que ce procédé a du bon.

Revenons à la musique…

Désolé, mais les choses n’ont jamais été aussi politisées qu’à l’heure actuelle !

Tu écris des mélodies sophistiquées sur des enchaînements d’accords très simples. C’est quelque chose auquel tu essaies de te tenir, un peu comme les chansons du Velvet ? Est-ce que tu rercherches cette simplicité ?

Je ne suis pas vraiment un musicien super entraîné, et j’aime beaucoup l’effet des progressions d’accords très simples, je crois que ça peut être extrêmement puissant, de passer simplement d’un accord à l’autre, pour y revenir. Je ne connais pas beaucoup d’accords ! C’est aussi plus facile d’écrire des mélodies sur deux ou trois accords, avec plus de contraintes. Moins de limites on se fixe, plus il est difficile de chanter. C’est sans doute une de mes limites techniques.

Mais ça fait partie de ton style… Et c’est sûrement une des raisons pour lesquelles les gens aiment autant Luna, cette idée de tirer le maximum de structures très simples.

Exactement, ce sont tes limites en tant que musicien qui te distinguent des autres. D’autre part, la guitare est un instrument intéressant car des gens différents peuvent en prendre une et avoir leur propre voix, ce que je fais en quelque sorte, comme Sean. Je crois qu’on peut dire que c’est un disque de Luna avant même que je commence à chanter.

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Quels sont tes projets ?

Nous allons tourner pendant environ 6 mois. Je vais faire un autre disque avec Britta. On s’est tellement amusés à faire ce disque, et c’était si facile… Quand on est dans un groupe, d’un côté on dépend tous les uns des autres pour le soutien, les idées, et c’est génial, mais d’un autre côté ça devient fatigant de prendre toutes les décisions à quatre. Quand tu fais quelque chose seul, ou à deux, ça semble tellement plus rapide et plus simple. Je vais aussi faire un disque avec Sonic Boom, et peut-être avec Maggie Cheung. Nous avons fait ces deux morceaux pour la bande son de « Clean ». Ca reste en discussion pour le moment. Je ne sais pas si tu as entendu ces morceaux.

Oui, elle a une voix superbe.

Elle a une voix superbe, j’ai trouvé ça incroyable ! C’est quelque chose qui ne s’apprend pas. Des tas de gens ont une voix plus solide et peuvent faire toutes sortes de choses. Mais avoir une voix comme celle-là, que les gens ont vraiment envie d’écouter… Elle me rappelle un peu Marlène Dietrich… Il s’agit surtout de caractère.

L’album Dean & Britta a été un grand succès critique. Est-ce que c’était une manière de faire des duos pop à la Lee Hazlewood et Nancy Sinatra ?

Oui, l’idée était de faire un disque vocal, pas un disque de guitares, comme plein de disques que j’ai toujours adorés, comme Scott Walker, Lee Hazlewood, Nina Simone, Buffy Sainte-Marie, Elvis Presley, Glenn Campbell… Je ne pensais pas qu’on allait très bien y arriver, mais Tony Visconti (producteur du disque, NDLR) nous a aidé à transformer nos idées en réalité.

Dans le prochain, vous allez faire de nouvelles reprises ?

J’aime ça. Ca rend les choses beaucoup plus faciles de n’avoir à écrire que cinq chansons par disque au lieu de douze par exemple, et on peut prendre une poignée de reprises qu’on aime vraiment. Les vieux disques de rock étaient tous remplis de reprises, et c’est seulement à partir des Beatles que tout le monde a du écrire ses propres chansons. Je crois qu’aujourd’hui il y a trop de groupes, et trop de chansons ! Tous ces gens écrivent leurs chansons mais personne ne leur a donné de permis pour cela ! Souvent, tu écoutes un disque d’un groupe qui a un son intéressant, mais où personne ne sait vraiment écrire une chanson.

Tu écoutes beaucoup de musique ?

Je crois que oui. J’achète toujours des disques, y compris des nouveaux. Mais quand tu achètes cinq disques, il n’y en a souvent qu’un auquel tu reviens vraiment. Il y a une vraie industrie, comme la presse anglaise, qui te dit quels disques il faut acheter chaque semaine. Il faut résister à cela et se souvenir de ce qu’on aime au départ. Ce disque de Hope Sandoval, la chanteuse de Mazzy Star, je préfère l’écouter encore et encore plutôt que le dernier album des Hives, qui n’est pas trop mal.

Et pour finir, est-ce qu’il ya des disques auxquels tu reviens constamment ?

Bien sûr. Le premier album des Feelies est un disque que j’adore. Johnathan Richman et les Modern Lovers, Television, tout ce qu’on fait les Rolling Stones jusqu’à un certain point (qui remonte maintenant à il y a vingt-cinq ans environ !), T.Rex, Big Star, Love, Joy Division, Suicide (le premier album), Kraftwerk… Beaucoup de classiques. Dernièrement, il y a aussi l’album de Richard Hawley, un ancien guitariste de Pulp.

Luna, Rendezvous (jet Set, Discograph)