Un émouvant et fascinant recueil de démos d’un Black Francis embryonnaire, mais déjà bien conscient de ses capacités, démontrant encore une fois que le talent n’attend pas le nombre des années.
On passera sur les motivations discutables/mercantiles de ces exhumations – on connaît l’attrait du gros (Frank)Black (Francis) pour les billets de banque – ce qui nous remémore d’ailleurs l’anecdote du temps des Pixies où le leader s’était permis de faire faux-bond à son groupe en donnant des concerts en solo sur un bateau de croisière ! Il existe d’ailleurs un bootleg de cette tournée, excellent complément à cette compilation et baromètre intéressant de la mue charismatique du créateur de “Planet of Sound”.
Le retour des lutins de Boston sur scène permet donc de mettre la main sur ces démos préhistoriques, devenus objets de convoitise pour tout pixielophile depuis leur séparation il y a plus de dix ans. De plus, avec toujours pas d’annonce en vue d’un hypothétique nouvel album, (exception faite de deux nouvelles compos épuisées jusqu’à la moelle, le fameux “Bam Thwok” et une reprise monstrueuse d’un titre de Warren Zevon), ce recueil de démos – augmenté d’un second cd de réinterprétations libres du répertoire des Pixies – arrive doublement à point pour rassasier le porte-monnaie des fans.
Dans le livret, l’imposant lutin explique l’histoire de ces bandes datant de 1987. A l’origine, une commande de Gary Smith, futur producteur du EP Come on Pilgrim, qui souhaitait avoir une sorte de brouillon sonore avant de rentrer en studio avec le groupe. Le (alors) svelte étudiant Charles Thompson emprunte alors 1000 dollars à son père, puis s’enferme trois jours avec sa guitare acoustique en compagnie de Smith, dans un studio bon marché. L’histoire des Pixies est en marche…
Ce qu’on retrouve sur ses quinze titres, ce sont bien plus que des ébauches maladroites et détendues (rassurons-nous, le contenu est définitivement plus professionnel qu’un disque des Moldy Peaches), nous sommes en présence d’un matériel fascinant, parfois émouvant, qui démontre à quel point le talent n’attend pas le nombre des années.
Certains titres ouvriront la discographie du groupe et la termineront aussi : “Build High”, sera placardisée comme face B d’“Alec Effeil” et “Subbacultcha”, réenregistré pour l’album posthume Trompe le monde. Aucun réel inédit à se mettre sous la main à l’exception d’un titre, “Boom Chika Boom”, davantage un défouloir qu’une mise en bouche sérieuse. Autre curiosité, la première version de “Subbacultcha”, plus saccadée et hésitante que celle finale, qui finalement se scindera en deux sur Trompe Le Monde cinq ans plus tard (l’autre morceau étant “Space (I Believe In)”).
Pour le reste et au-delà de démos hésitantes, même épurées au maximum (uniquement la voix de Black Francis accompagnée de sa guitare, plus quelques rares interventions de Joey Santiago), les chansons sont déjà pratiquement terminées. On remarque avec surprise que les parties chant et guitare de Black Francis ne changeront pas d’un iota – avant et après l’entrée en studio des Pixies. Parfois le chanteur siffle les lignes mélodiques de guitare que Joey Santiago magnifiera par la suite (I’ve been Tired), un détail qui révèle à quel point Black tenait déjà la boutique bien en main….
Tout est déjà là, les progressions d’accord inhabituelles qu’affectionne Black ainsi que son jeu rythmique, nerveux et incisif, révélant combien l’homme est un prodigieux compositeur et metteur en scène studio euphorique. Bien que très jeune, on sent la folie du bonhomme bien présente, cette voix aiguë capable d’hurlements effroyables et à la puissance tout bonnement surprenante. Bref, ces futurs classiques ont déjà une allure écrasante et valent amplement le détour.
Enfin, le second, est bien plus anecdotique : des relectures de Frank Blank, 17 ans plus tard, accompagné par le groupe d’un autre Bibendum, David Thomas (Pere Ubu). Les morceaux sombrent dans des dérivations ambient et boursouflées. L’ensemble est il est vrai original, mais véritablement répétitif et pénible. On met au défi quiconque d’écouter trois fois ce disque, sans avoir l’envie de se jeter sur le lecteur cd pour arrêter le supplice (“Monkey Gone To Heaven” noyé dans un flanger insupportable!).
Petite consolation, ce double album coûte moins de quinze euros, deux cds pour le prix d’un. On préférera parler de cd bonus…
-Lire également la chronique de Frank Black – Show me your tears