Accompagné de son vieille ennemi Terry Bickers, le creusé Guy Chadwick se concentre désormais autour de mélodies fébriles, quitte à moins jouer les gros bras. Un brin en-dessous de la légende, mais toujours au-dessus du lot.


Les journées fuient, les années défilent tout autant et apaisent les rancoeurs du passé… Voilà trois ans, l’idée d’un retour aux affaires de Guy Chadwick et Terry Bickers retapant main dans la main la maison de l’amour semblait encore plus improbable que Kim Deal et Frank Black réunies deux soirs dans un zénith bourré à craquer. Brouillés depuis 1990, les affaires ne tournaient plus depuis longtemps pour les ex-nouveaux-amis : Terry Bickers, suite à son départ, était tombé en désillusion après le fiasco Levitation, et Guy Chadwick aigri par un manque de reconnaissance publique, avait sabordé son jouet voilà dix ans, reclus depuis dans le silence malgré un ultime chef-d’oeuvre en solo… c’est dire si l’annonce de cette réconciliation – même pas fantasmé car tellement improbable – avaient provoqué un sacré séisme chez les fidèles.

De cette battisse gigantesque, on garde toujours un souvenir ému : quelques classiques intemporelles et un premier album qui croisait le fer avec des guitares aériennes somptueuses. Ce groupe avait une allure folle que, rétrospectivement, nous avons plus croisé depuis chez ce genre de formation à guitare ambitieuses. Malgré quelques égarements spectaculaires (le catastrophique single “You Don’t Understand”), la discographie du groupe vieillit plutôt bien, on avoue même écouter avec tendresse Audience With The Mind, ultime effort de Guy Chadwick pour faire tenir debout les murs de son foyer. Alors peu importe si cette réconciliation s’est orchestré par manager interposé, peu importe si les deux protagonistes semblent embarrassé dès qu’on leur pose une question sur l’état de leur relation actuelle, on est tellement heureux d’avoir entre les mains ce nouvel album d’House of Love qu’on ferme les yeux sur les « pourquoi du comment ».

Les photos de livret se veulent rassurantes et présentent le groupe au complet : sur la couverture Terry Bickers du temps des jours heureux nous sourie, et puis plus loin le père Chadwick s’affiche, le regard perdu, comme d’habitude. Les chansons sont d’ailleurs toutes signées par la paire, mais on n’oubliera pas non plus de mentionner le fidèle Peter Evans, formidable batteur impressionniste, et un p’tit nouveau à la basse, Matt Jury.

loveboat.gifDays Run Away semble avoir été conçu comme une cure de Thalasso-thérapie : régîme drastique, thérapie de groupe, et promenades sereines sont au programme. Les dix titres produit par Pat Collier, – producteur historique du premier album – sont dénués d’artifice. Le groupe semble avoir volontairement écarté ce son spectaculaire qui avait assis leur réputation sur Babe Rainbow et le disque «papillon». Les compositions sont moins pétaradantes, on sent que le vieux sage Chadwick ne tient plus à impressionner la galerie et se contente de maîtriser son art. La douce parenthèse solo Lazy Soft & Slow du chanteur/compositeur semble l’avoir enfin laissé accepter sa condition d’auteur maudit. L’auteur de “The Girl With Loneliest Eyes” semble pour la première fois composer quelques chansons à l’humeur légère assumée (« Already Gone », parenthèse Hillbillie !).

Lorsque “Love You Too Much” marche sur les plates-bandes d’“I Don’t Know Why I Love You” et passé l’effet de surprise de ce titre enjoué, force est d’admettre que la machine tourne remarquablement bien. Bon… le disque n’est pas parfait, il y a un peu de remplissage, mais les albums d’House of love n’ont jamais été cohérent de bout en bout – exception faite du «Creation» album – leur spécialité a toujours été de pondre des singles désarçonnant.

L’ombragé “Gotta Be that Way” révèle à nouveau ce style imparable, les guitares tourbillonnantes de Bickers et cette voix grave et lancinante, toujours aussi hypnotique que les premiers jours. Les années passent, le vieux Chadwick est de plus en plus voûté, mais sa voix possède toujours ce mélange diabolique entre Leonard Cohen et Peter Perrett.

“Maybe You Know” séduit par sa mélodie légère, mais ce sont surtout ses paroles qui nous interpellent, une sorte de lettre d’excuse que Chadwick lance à Bikers. Certains titres auraient mérité davantage de temps, tel le fouillis “Kinda Love”, qui hache ses parties lentes/rapides et redémarre au 2/3 du morceau pour un décollage indécis, malgré quelques jolies parties de slide guitare.

“Money and Time” est peut-être le morceau qui se veut le plus combatif avec un refrain renversant, le groupe retrouve ici toute sa splendeur passée. “Days Run Away”, meilleur titre de l’album, nous plonge dans une profonde nostalgie avec cette intro mimant le même motif dissonant que l’emblématique “Christine”. Lors de ces moments d’étincelle où le groupe tient d’une solide poigne la tension, on sent que le miracle peut se produire (« Wheels »). La fin du disque est un peu moins régulière, tournant un peu en pilotage automatique par moment (“Kit Carter”). “Anyday I Want” clôt le voyage par une ballade acoustique aux harmonies très Beatles et qui n’aurait pas dépareillé sur Lazy Soft & Slow.

Alors question fatidique, que penser de ce retour ? Et bien, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle : la mauvaise – on commence par la douloureuse – c’est que le groupe est évidemment en-dessous de sa flamboyance passée. La bonne, c’est qu’en dépit de cet arrière-goût douteux qui nous reste dans la salive, ce cinquième album de la maison de l’amour ne veut plus quitter notre platine. Depuis dix jours, pas un seul trajet sans emporter cette jolie collection de pop-songs. Alors peut-être peut-on déléguer ce sentiment confus à nos vieux fantasmes, forcément toujours décevants ? Ce disque (à valeur d’exorcisme pour le groupe) confirme un talent qui perdure, toujours au-dessus de la mêlée.

Au-delà toute ses exigences, notre plus grand bonheur demeure de pouvoir à nouveau analyser la matière grise de Guy Chadwick, visiblement intacte, dont les tréfonds demeurent insondables. Maintenant rôdé, on attend la suite avec impatience.

* Days Run Away n’est pas pour le moment distribué en France, mais selon le label Art & Industry des négociations sont actuellement en route.

-Un excellent site dédié à House of Love

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