Les symphonies noisy rock dantesques des Trail of Dead suscitent le doute en nous, pauvres mortels que nous sommes. Réduits à vénérer ces demi-dieux de la démesure ou subir la foudre de Thor.


A peine avons-nous récupéré de la somptueuse veillée funéraire des Arcade Fire (quoique, leur disque vient tout juste de traverser l’Atlantique) que débarque le nouvel album des monumentaux And You Will Know Us By The Trail Of Dead. Juste le temps de reprendre une bouffée d’oxygène avant d’y replonger, car ce combo « culte » ne vous laisse aucun répit, tant sa musique imposante place très haut la barre de ses aspirations.

Si vous avez raté les actes précédents, sachez que Trail of Dead… est ce qu’on peut appeler un groupe de rock « outrancier ». Cousins affiliés des regrettés Lift to Experience, originaires d’Austin (Texas), formés il y a un peu plus de dix ans, ceux que vous connaîtrez par la traînée de mort, demeurent l’une des plus impressionnantes attractions rock américaines, façonnant un rock lyrique et pesant assez spectaculaire.

Après deux albums distribués chacun par Merge et Trance records, Trail of Dead a signé chez les pontes d’Interscope (qui héberge les Yeah Yeah Yeahs, Queens of the Stone Age et Enrique Iglesias… quand même), Source Tags & Codes (2002), étant considéré comme leur meilleur album à ce jour. Porté par une renommée grandissante, ces pieux chevaliers sont distribués en France par Universal, ceci leur permettant une diffusion de grande envergure, au demeurant unique compromis qu’ils se sont autorisés avec une major.

Car pour le reste, la musique des Trail Of Dead demeure extrêmement singulière et intègre. Coincé entre deux chaises du fait de leur parti-pris égocentrique et ambitieux – un peu comme Mercury Rev en somme – Trail of Dead se contrefout royalement du politiquement correct. Porté sur des compositions épiques, leur univers, binaire et complexe, possède quelques acuités « progressives » (pochettes laideronnes, orchestre Wagnérien…) mais conserve néanmoins une indéniable essence rock noisy : leurs envolées sont plus proches de Sonic Youth où d’Explosion in The Sky que des démonstrations aseptisées d’un Dream Theater ou même des pénibles Muse.

Avec un line-up qui se rapetisse à chaque album, ce désormais trio concentré autour de Conrad Keely, Jason Reece et Kevin Allen, n’en a pas pour autant perdu de sa force de frappe. Ce qui interpelle d’ailleurs sur ce quatrième ouvrage d’esthète, c’est que l’infernal trio est parvenu à décupler sa folie des grandeurs. Toujours augmenté d’arrangements grandiloquents, Trail of dead prend une tournure lyrique de plus en plus prononcée, sans pour autant faire de concessions sur l’architecture touffue de leurs compositions.

Après une introduction un peu balourde aux allures de “Carmina Burrana”, on rentre très vite dans le cœur du cyclone sur le spectaculaire titre qui donne son nom à l’album, “Worlds Apart” : une section rythmique dantesque martèle à tout rompre, la guitare possédée dicte un compte à rebours intense qui laisse transit. Souvent proche du dérapage, Trail of Dead met en scène une sorte de combat de titans, rythmé par quelques envolées orchestrales à la limite de la dissonance ou d’interludes au dilemme dostoïevskien (“To Russia My Homeland”).
Toujours dans la démesure, “A classic Art Showcase” persiste avec ses chœurs de sirène et ses cordes vertigineuses à en donner le tournis. Le très Thin White Duke “All White” éveille quant à lui une sensibilité glam que nous n’avions jusqu-ici pas encore décelé chez les texans. Mais ce sont souvent les grands moments de bataille qui offrent le plus de frissons ; le charme reposant beaucoup sur ce climat de noisy épique savamment dosé. L’auditeur se doit de rester vigilant, car il n’est jamais à l’affût d’une missive, notamment les morceaux de bravoure sur “The Rest Will Follow” ou sur le mémorable “Caterwaul”, à l’urgence consommée.

Au beau milieu de cette surenchère incessante, le chant sincère et sans esbrouffe de Conrad Keely, parvient à rétablir un équilibre succinct en lui conférant à son rock monumental une certaine fragilité. Car ce qui sauve Trail of Dead dans cette entreprise s’apparentant à l’édifice de la tour de Babel, c’est qu’il n’y a aucune démonstration nombriliste : pas de solo grossier, pas de surenchère technique pour palier un manque d’inspiration patent, sinon satisfaire les afficionados d’Ingwy Malmsteen. L’édifice à deux doigts de s’écrouler tient bon et continue de tutoyer les étoiles. Non, ici seul compte les “sensations” et vous en aurez pour votre grade.

Il est certain que Worlds Apart ne plaira pas à tout le monde. Une telle théâtralité et dramaturgie peut susciter admiration ou rebutera (voire écœurera), c’est selon. Chez certains confrères, la ligne rouge a été franchie depuis Source Tags & Codes. Pourtant, il faut avouer que nous avons un petit faible pour cette musique que l’on qualifiera d’“éloquence arty”.

-Le site officiel de Trail of Dead