Le trio de synth pop expérimental adresse une édifiante déclaration d’amour post-apocalyptique.


Il n’y a plus de bon goût, tout fout le camp… Tandis que se laisser pousser la moustache de Magnum est le nec plus ultra du cool chez les tribus hipsters, certains groupes n’hésitent pas à se vautrer dans un certaine esthétique douteuse estampillée « eighties » – l’an 1985 étant le sommet du genre. Etrange nostalgie d’une période où le futur était encore fantasmé…

La pochette du troisième album des new yorkais Bear in Heaven, I Love You, It’s Cool pourrait presque faire passer celle du Metal Fatigue d’Allan Holdsworth pour du Goya (et passons le titre affligeant de l’album, déclaration d’amour simplette) … Devant tant d’immondices picturales réunies sur un si petit carré, on jurerait que BIH se tire délibérément une balle dans le pied… Pourtant, encore une fois le proverbe se vérifie, ne jamais juger un livre par sa couverture. Aussi déroutant son humour soit-il, le trio arty brooklynois n’a pas retourné sa chemise pour donner dans du rock FM à la Toto ou Yes.


Bear in Heaven est un groupe d’art pop synthétique, très habile quand il s’agit de détourner les codes esthétiques sonores. Sur le très remarqué Beast Rest For Mouth (2010), leurs puissantes envolées pop pouvaient subir au contact de leurs machines d’inattendus effets secondaires : les tranquilles nappes atmosphériques déviant ainsi vers une dimension chaotique et hypnotique, théâtre d’un avenir sombre où notre civilisation sophistiquée serait retournée à l’âge de pierre, survivant avec le peu de technologie qui lui reste.

I Love You, It’s Cool donc, troisième opus du trio emmené par Jon Philpot (chant, guitare et claviers) et ses camarades Adam Wills (guitare et basse) et Sadek Bazaraa (basse et claviers) repoussent encore les limites de leur imposant mur du son, fusion improbable de claviers analogiques, rythmiques tribales épiques et d’envoutantes mélodies electro-pop. On pense au Odd Blood de Yeasayer dans cette façon désinhibée d’aborder les textures criardes, notamment celles de l’Acid House (et quelque part la pochette du nouvel album se comprend) : jouer à fond la carte « mélodique » tout en excédant au maximum les possibilités offertes par leur carte son.

La production est spectaculaire, limite inquiétante : les plages éthérées passent à travers les retors d’un hélicoptère sur le monstrueux “Sinfil Nature”, morceau qui donne vraiment le vertige. On passe à la vitesse de la lumière avec le single « The Reflection of You », ou encore « Space Remains » à bord du Faucon Millenium, assaillis de toutes parts par des tirs laser. La guerre des étoiles continue cette fois dans le désert sur le cannibale “World of Freak Out”. La voix alors tout en apesanteur, limite prophétique de Jon Philpot, semble la dernière échappatoire humaine de cette guerre analogique.

Toute notion spatiale écartée, il faut un certain temps pour percer la densité de certaines couches, protubérantes, de I Love You it’s Cool (difficile décidément de se remettre de ce titre…). On ne vous cache pas qu’avec toutes ces pirouettes exécutées, on n’échappe pas à un ou deux crashs, tel « Kiss Me Crazy », dont le titre semblait lui-même annoncer le naufrage. Dangereux comme le spectacle d’un volcan en éruption, on demeure éblouit par cet étrange magma sonique en fusion.

Encore une fois produit par le groupe, l’album a été mixé et enregistré par David Wrench à New York. Quelques hôtes de marque tels que Roberto Lange, Rhys Chatham, James Elliott et Agathe Max ont accepté d’embarquer dans cette intrigante capsule bigarrée. Tentez aussi l’expérience.