L’Americana épique et piquée de mélancolie 70’s d’un songwriter habité. « Toute la pluie tombe sur moi…  »


Avec un nom pareil, sa destinée était toute tracée. Israel Nash Gripka n’est pourtant pas le fils du légendaire Graham Nash, même si son americana emprunte à lui et ses tontons spirituels Neil Young, David Crosby et Stephen Stills, de puissantes réminiscences. Natif du Missouri, ce songwriter d’une trentaine d’années n’est pas pour ainsi dire un « p’tit nouveau ». Cette gueule de hippie tatouée a d’abord tenté sa chance à New York où il a enregistré deux albums. Le second, paru en 2011, a été produit sous la bénédiction du new yorkais Steve Shelley, légendaire batteur de Sonic Youth. En France, le nom d’Israel Nash est encore confidentiel. Certains ont pu le croiser récemment en première partie de Midlake, où sa performance en solitaire fut, parait-il, mémorable. Mais rien ne nous préparait à ce monumental Rain Plans.

Reverb onirique, chevauchée épique de guitares, bottleneck glissant sur une lap steel au manche infini, chÅ“urs mélancoliques comme un coucher de soleil contemplé depuis les côtes escarpées de Big Sur… Rain Plans est un déluge de retro rock americana, magnifiquement mis en son par son propre artisan, Isreael Nash en personne. On n’avait pas entendu pareil souffle depuis les deux premiers albums de My Morning Jacket et Band Of Horses, c’est dire si la barre est placée haut. Très haut. A vrai dire, on ne touche plus le sol dès la première note d’arpèges pincée, tirée de ces « plans pluvieux ». Car contrairement à d’autres songwriters contemporains, tel le californien Jonathan Wilson, camarade méritant mais un peu trop « esthétisant » par moment, on est pris de plein fouet par l’évidence mélodique d’Isreal Nash. Chacune des neuf compositions de ce troisième opus sont viscéralement habitées par une vision psychédélique et une âme authentique tourmentée.

Les raisons de cette intense épopée seraient un déménagement : Israel Nash a quitté New York l’année dernière pour s’installer à Austin, Texas. Rain Plans est le récit de ce grand départ vers un avenir espéré meilleur, et toutefois pétri d’incertitude. Le chef-doeuvre cosmique No Other de Gene Clark, et évidemment le mojo de l’incontournable « Loner » sont les piliers de ce voyage. A l’évocation de ce dernier, Rain Plains nous donne une idée de ce que serait devenu Harvest Moon touché par la fée électrique. Autour du feu avec ses guitares abrasives, Israel Nash invoque ses démons avec grâce et panache : « Woman at the Well », et ses halos de distorsion hantés, ainsi que « Just Like Water », sont portés par une rythmique mid-tempo qui semble tracer, imperturbable, sous l’escorte du Crazy Horse. Plus loin, « Myer Canyon », son intro frissonnante à la mandoline et le chant haut perché de Nash, rappelle jadis l’assurance d’un Stephen Stills.

Toutefois, il serait bien cruel de cantonner cette musique à des images d’hier et des figures de style country rock, car Israel Nash ne s’éparpille pas, cherche avant tout l’émotion directement à la source. Autour de quelques progressions d’accord folk mineurs, lui et ses desperados passent ensuite à l’étape sonique : son Wall of Sound perce une brèche psyché-rock ascensionnelle – l’odyssée « Rain Plans » de sept minutes et « Mansions », avec ses décharges électriques, ranimera à la vie les cÅ“urs les plus meurtris…

A l’heure où l’on parle, Israel Nash est de retour en Europe, cette fois avec son groupe au grand complet. Hélas, la tournée passe uniquement en Belgique, Hollande, Allemagne et en scandinavie où il est reçu avec les honneurs par un public fidèle (ces albums sont distribués par le fin label hollandais, Loose Music). A notre grande tristesse, il ne semble pas encore décidé à emmener sa carriole sur les routes sudistes du vieux continent. A nous de désormais de l’en dissuader, afin d’accueillir comme un roi ce songwriter d’exception.