Le Childish Prodigy présente un cinquième album s’étirant inhabituellement, long en bouche, mais rayonnant.


Nos lecteurs fidèles ne sauraient l’ignorer, Kurt Vile est particulièrement défendu en ces colonnes. Dès 2009, lorsque ses bidouillages sur le formidable premier album de War on Drugs se firent entendre, et puis en remontant sa filière en solo et ses deux albums autoproduits. Avec Smoke Ring for My Halo en 2011, le Childish Prodigy était passé du statut de révélation rock lo-fi à celui de songwriter confirmé, signant à la fois son disque le plus « pro » et abouti artistiquement. Un tournant remarquablement négocié. Pourtant, avec ce cinquième opus, le guitariste laid-back marque délibérément le pas quant aux ambitions « grand public ». En opérant en quelque sorte un retour à l’esprit de ses enregistrements pré-Matador, dans son terroir artisanal/expérimental. Avec une totale liberté de mouvement, autant sur le fond que sur la forme.

Même si le producteur vétéran John Agnello répond ici encore présent (déjà aux manettes sur le précédent), même si le backing band The Violators a participé activement aux sessions d’enregistrement, Wakin On A Pretty Daze donne le sentiment d’avoir été confectionné en solitaire. Après l’expérience studio haut de gamme sur Smoke Ring for My Halo , Kurt Vile sur ce cinquième album, tente d’éviter de se prendre dans les filets de la surenchère.

Aux premiers abords l’ouvrage est déroutant. Sa durée est inhabituelle : 69 minutes au total pour onze compositions, six d’entre elles dépassant allègrement les six minutes – voire 12 minutes ! Aucune chanson de Kurt Vile n’avait atteint jusqu’ici une telle longueur. Tout cela ressemblerait fort à un sabordage en vue d’écarter toute velléité de single. Psychedellic Pills, double album de Neil Young en forme de tour de force, a indéniablement conforté ce choix d’une écriture distendue. Aussi, « Wakin on a Pretty Day » balade folk/rock qui ouvre l’album, tire d’emblée sur 15 minutes. La composition aurait facilement pu être raccourcie de moitié, tant la structure de cette dernière s’apparente à un long fleuve tranquille, sans véritable crescendo. En fait, Kurt Vile préfère retenir le plus longtemps possible cet état de flottement, quasi hypnotique… laissant merveilleusement traîner dessus sa voix faussement nonchalante. Et nous de l’accompagner à bord sur cette ligne droite éternelle. Toujours sur cette route, place ensuite à l’électricité rèche de « KV Crimes » et sa « disto » trafiquée, qui se branche sur la fréquence parasitée d’un tube de Tom Petty des années 80.

Finalement, on comprend que c’est le son si captivant de ses arpèges électriques qui dictent la longueur des chansons. Dans ses plus longues disgressions, Kurt Vile répète inlassablement une progression mélodique jusqu’à atteindre l’éclaircie, ce déclic subtil où une brèche s’ouvre, un simple accord fait soudainement basculer la chanson vers un nouveau paysage lumineux (l’océanique new age « Was a Talk » ou encore le folky « Pure Pain », ponctué de jolis ponts élévateurs). « Take your time » chante-t-il sur l’épuré « Too Hard », le propos est on ne peut plus approprié.

Long en bouche, Wakin On A Pretty Daze n’échappe pas, inévitablement, à quelques longueurs – notamment l’ultime morceau, « Goldtone », et ses interminables 12 minutes – mais c’est aussi un disque bel et bien traversé de moments de grâce. Imprégné de la naissance de sa fille tout du long, Kurt Vile laisse percevoir une lueur d’espoir en chacune de ses chansons lorsque, à contrario, Smoke Ring for My Halo pouvait parfois emprunter le chemin des abymes. C’est par là aussi, son disque le plus généreux. Où il nous fait partager ces fameux jours heureux. Et on aurait tort de s’en priver.