Un compte à rebours s’enclenche et nous prend de cours dès les premières salves de décibels et personne n’est là pour arrêter le tic-tac. On se laisse tenter par cette jolie déflagration.


Ça se vérifie souvent dans le domaine du rock n’roll : l’énergie de l’instant est primordiale. A partir de là, on peut bien sonner brit-pop, post-punk, noisy… ou n’importe quoi d’autre, si ce facteur crucial (et qui paradoxalement ne tient à pas grand chose) ne rentre pas en compte, la relégation est instantanée. Et dieu sait que les secondes chances sont des denrées rares pour un p’tit combo rock qui démarre. Ce souffle, The Duke Spirit l’a bien sûr, mais cela va plus loin. Ce quintet londonien s’écarte de l’embouteillage brit-rock qui a cours et préfère couper à travers champs. N’ayant pas peur de marcher dans la boue, The Duke Spirit possède comme botte (secrète) une chanteuse garçon manqué et des guitares vaudoux qui nous embarquent dans la grande tradition du Gun Club. Aucun groupe britannique ne sonne actuellement comme eux (à l’exception des surestimés The Kills). Il faut remonter dix bonnes années en arrière pour recenser une telle explosion rock sensorielle, le séminal To Bring You My Love exactement.

Mais qu’est-ce qui fait tant la différence chez The Duke Spirit ? Et bien ils sonnent tout simplement VRAI. Rien à voir avec ces groupes de poseurs qui ne doivent leur salut qu’à un producteur habile capable de faire sonner un pet de mouche en véritable raz-mottes de bombardier. Des noms ? Dead 60s, Departure, The Rakes… voyez une bonne moitié de la dernière compile des Inrocks « Le retour du rock » (qu’est-ce que ce titre en a fait rigoler, et continue d’ailleurs…).

Voilà tout juste deux ans, on avait repéré leur premier EP, le bien nommé Roll, Spirit, Roll, déjà annonciateur de jolies choses. A l’époque, c’était Simon Raymonde «Himself», (patron du label Bella Union et ex-Cocteau Twins) qui s‘était collé derrière les manettes, fait assez rare pour le signaler (Lift To Experience, Czars…). Le groupe a depuis quitté le label indépendant Bella Union et signé chez Polydor Angleterre. De nos jours pour un groupe de cet acabit, signer en Angleterre sur une major est devenu risqué, mais bon… (« artistes en développement » qu’ils appellent ça, nous on appelle ça la culture du bétail).

Premier opus digne de ce nom, Cuts Accross The Land a été élaboré en plein changement de label : Simon Raymonde a ainsi laissé sa chaise de producteur au conséquent Flood (U2, Depeche Mode) ceux alors que les ¾ du disque étaient bouclés… Mais la fièvre rock sur le baromètre d’enregistrement n’est pas redescendue pour autant et ce baptême du feu s’avère incendiaire.

Point séminal de cette liturgie rock : les guitares cinglantes de Luke Ford (guitare) et Dan Higgins (piano, guitare), assez roublardes pour déclencher des petits cataclysmes soniques. Niveau panoplie sonique et attitude, notre quintet s’éloigne de l’héritage royal, plutôt fasciné par les enfants déchus du drapeau étoilé de l’Oncle Sam. On y décèle du riff diplômé tout droit de la Asheton Bros Academy (le foudroyant « Stubborn Stitches »), et un certain goût pour le mysticisme et autres cavalcades hantées – le spectaculaire “Darling You’re Mean” et sa fin en apothéose. Ce rock incantatoire, The Duke Spirit l’implore sur l’autel du défunt Jeffrey Lee Pierce, l’autre voodoo child, à grands coups de bottlenecks à vous hérisser les poils. Quant au chant, celui effronté de Liela Moss est dans la droite lignée de la grande prêtresse Polly Jean Harvey. Percutant. Enfin, lorsque cette course effrénée marque de brefs répits, c’est alors le Velvet Underground de Nico et les amplitudes pop à la Mazzy Star (Hello To The Floor) qui prennent le relais. Une piste à creuser on vous dit, à moins que ce ne soit votre propre tombe.

-Lire également notre chronique du EP Roll, Spirit, Roll,
-Le site officiel de Duke Spirit
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PS : Disponible en import UK depuis mai, une édition limitée est aussi disponible et comprend un second CD plein à raz-bord de démos et sessions radio.