Retour studio des pionniers de l’avant-garde punk reformés voilà trois ans. Première constatation : 27 ans après leur début fracassant, le quatuor mené de front par le charismatique Colin Newman reste toujours en avance sur son temps et ne cesse de se réinventer. Un pur délice de bruit blanc.


S’il existe un groupe toujours en activité qui peut se targuer de représenter l’avant-garde rock, c’est bien Wire. Quatuor ultra respecté et déjà trop vieux en son temps pour être catalogué « punk » en 1976. Tout comme Bowie, Wire n’a pratiquement jamais sorti deux fois le même album et a préféré se dissoudre une première fois plutôt que de répondre au diktat mercantile. Le groupe se reforme depuis lorsqu’il estime avoir quelque chose à dire, un peu à l’image d’un King Crimson.

Depuis donc son premier split au début des années 80, Wire ne cesse de renaître de ses cendres et engendre à chaque fois un nouveau chapitre extra-musical passionnant. Depuis, l’aura du « signal» n’a cessé de grandir durant les années 90 et possède une horde de fans célèbres dont REM, Sonic Youth et Kevin Shields… Pour asseoir cette réputation bien méritée, le groupe de Colin Newman possède à son actif deux manifestes d’avant-garde rock : l’historique Pink Flag (1977) et son chef-d’oeuvre 154 (1979). Si Pink Flag reflète toujours une urgence rock 25 ans après sa sortie, 154 s’est par contre transformé en oeuvre pilière de la filière post punk. Déjà très en avance sur son temps, l’album à la pochette signée Dave Dragon (Cure, XTC) explosa les dernières barrières de l’expérimentation rock, déjà entamée sur les deux premiers albums.

Bien sùr, la carrière de ce fascinant quatuor anglais ne s’arrête pas là. Chairs Missing (1978) et les deux albums de la reformation chez Mute en 1987 valent aussi le détour, mais il faut avouer que la matière vitale repose beaucoup sur les prémices du groupe.

Le phoenix renait de ces cendres

Le problème avec ce genre de groupe, c’est que l’héritage est tellement lourd à porter que les protagonistes n’ont quasiment pas droit à l’erreur. Victime malgré lui d’un public exigent, Wire est donc contraint à la perfection : les fans vivent dans la hantise d’une telle reformation, et dans la crainte de voir s’échouer une galette médiocre, indigne de son aura légendaire.

En 2003, Wire refait donc parler de lui via des concerts visuels très remarqués et un nouvel album. En vérité, Send n’est pas exactement un nouvel album de Wire, mais une compilation réunissant le meilleur des deux EP Read et Burn sortis l’an dernier, ajouté à une poignée d’inédits.

Rassurons nous tout de suite, la cuvé 2003 ne décevra personne. Pour ce nouvel album, la barrière est placée très haut. Cette reformation-là ne sent pas le coup médiatique à plein nez histoire de se faire un peu de pognon en passant, mais découle d’une réelle démarche artistique. Newman and Co se plaisent à établir de nouvelles chartes sonores, avec pour assise l’héritage de se période dorée. Il est assez fabuleux de constater qu’un groupe pareil, après tant d’années de service, n’est toujours pas grisé et au contraire hanté par le démon artistique.

Tout au long de ces onze titres, on est fasciné de bout en bout par la recherche sonore décuplée ici. La voix de Colin Newman, une des plus originales du rock, n’a toujours pas perdu de sa verve. Les parties de chant trafiqué (et parfois incompréhensible) du maître d’oeuvre résonnent et demeurent toujours aussi effrayantes.

« Being Watched » et « In the Art Of Stopping », sont des rouleaux compresseurs, une surcharge électrique dont les fans de la première heure auront du mal à se remettre. Les structures des titres, souvent concentrés sur un riff primitif puis développé à travers une architecture sonore complexe, apportent une puissance et une urgence à l’ensemble tout bonnement stupéfiante. Le son des guitares la plupart du temps noyé dans du bruit blanc offrent une seconde jeunesse à des titres tels que « Comet » dont le format demeure pourtant conventionnel.

Wire prouve une fois de plus qu’un groupe de rock peut allier recherche artistique, travail mélodique et production intelligente. Ce nouveau chapitre, définitivement plus industriel que le reste de la carrière du groupe, apporte une nouvelle pierre à l’édifice du groupe, confirmant son statut de formation « culte ». Attention, culte ne veut pas dire ici « groupe estimé mais rasoir » (voir le dernier disque de Suicide). Au contraire, arrivé à la fin de la galette, on n’hésite pas à replonger dedans sans éprouver une quelconque fatigue. « No Future » disait le slogan, c’était sans compter sur Wire…

site internet :
www.pinkflag.com