Les Go-Betweens étaient de passage à Paris le 17 mai dernier pour un concert nostalgique à souhait. Entre deux prises pour la balance, Grant Mc Lennan, qui ne faillit pas à sa réputation de gentleman insulaire, nous a accordé un rare entretien où Nick Cave cotoie Antonioni et Michael Jackson entre pop et gravité.


Q: Comment t’es-tu retrouvé dans la musique alors que tu te destinais à des études d’art ?

Grant Mc Lennan :
La vraie raison se trouve dans ma rencontre avec Robert Forster. Il jouait de la guitare à cette époque alors que dans mes rêves de dix huit ans, je voulais devenir quelqu’un d’important comme réalisateur, peintre, danseur étoile je ne sais quoi d’autre.
La dernière chose à laquelle j’avais pensé était la musique ; et quand j’ai rencontré Robert à l’école d’art, il jouait de la guitare et sans le savoir nous écoutions les mêmes disques : la scène punk new-yorkaise ou anglaise.
Au bout d’un an, il m’a proposé de monter un groupe alors que je ne savais jouer d’aucun instrument. Et maintenant tu vois ce que je suis devenu, un fou (rires).

Q: Nick Cave se dit très australien. Qu’est-ce qu’australien pour toi ?

Nick Cave est vraiment australien à mes yeux. Il vient d’une petite ville de Victoria (Ndlr Etat du Sud Est de l’Australie) à environ vingt quatre heures de route d’où j’habite.
Je ne pense pas que notre musique sonne particulièrement australienne surtout lorsque j’entends d’autres groupes australiens. Nous sommes australiens dans l’attitude et d’une certaine façon dans l’esprit.

Vous êtes devenus une gloire nationale, vos portraits ont été affichés dans les galeries !

C’est exact. Anne Wallace, une peintre reconnue a réalisé un triptyque vraiment surprenant. Ma mère voulait l’acheter mais il était trop cher. J’ai été flatté surtout que je connaissais Anne par ses peintures que j’apprécie beaucoup. Nous sommes du même monde.

Q: Suivant les lieux où vous enregistrez, as-tu l’impression qu’ils influent sur l’atmosphère de l’album ?

Les lieux influent dans la manière d’enregistrer bien qu’aussi dans la façon de procéder, de préparer l’enregistrement. A l’époque de l’album Rachel…, Robert vivait en Allemagne donc je faisais de nombreux allers retours entre l’Allemagne et l’Australie pour mettre en commun nos idées pour l’album. Pour bright yellow bright orange, Robert est venu en Australie, de ce fait nous pouvions jouer quasiment tous les jours chez moi. Maintenant nous habitons tous les deux à Brisbane.
Indéniablement notre humeur a été affectée par les endroits où nous enregistrions, et je pense que ça se ressent à l’écoute de nos albums.
Au moment d’enregistrer Rachel…, à Portland (Ndlr dans l’Oregon, Etats Unis) c’était l’hiver, en plein mois de février le temps était froid et humide alors que pour Bright yellow Bright orange c’était aussi en hiver mais à Brisbane (Australie) les jours d’hiver peuvent être ensoleillés.
En fait l’enregistrement d’un album repose sur l’atmosphère du moment. Si tu veux faire un album tendu, alors tu entres en studio vers quatre heures du matin encore énervé de la soirée et tu obtiens un son agressif. Alors que si tu souhaites quelque chose de plus éclairée, tu t’attaches plus aux sons créés et t’impliques plus dans l’enregistrement.

Q: Au tout début des Go-Betweens, Robert décrivait votre musique comme un mince filet d’eau. Aujourd’hui la décrirais-tu toujours de cette façon ?

Je crois que cette expression vient plus de moi. Aujourd’hui je dirais c’est commeÂ…[silence].
Je vis en Australie, connais-tu un film d’Antonioni qui s’appelle « The Passenger » avec Jack Nicholson et Maria Schneider ? [d’une voix confidente] il y a un moment dans le film quand Maria Schneider se trouve dans une voiture, la caméra se pose sur elle, alors elle porte un regard extraordinaire sur Jack Nicholson et lui demande « à quoi veux-tu échapper ? » ; il lui répond « redresse-toi, retournes-toi et regardes ». La caméra la suit alors qu’elle se retourne et au-dessus des arbres s’échappe un filet lumineux venant d’une cathédrale, cette lumière traverse les arbres, brille et scintille d’un jaune éclatant. C’est de cette façon que je décrirais notre musique.

Q: Considères-tu les chansons comme des images ?

Tout dépend des chansons. Certaines musiques suggèrent des images tandis que d’autres évoquent quelque chose de physique, comme liées à la danse ou à un chaos. En effet, de nombreuses images s’ouvrent à nous quand on compose.

Q: Ressens-tu la même impression quand tu es sur scène ?

Il y a des moments où je vais regarder le public comme une seule entité. Je suis fier de ce qu’on fait et l’auditoire y contribue. Et puis, je suis conscient que cette foule est composée de plusieurs individus. Je me souviens d’un concert en Allemagne qui était plutôt bon où les instruments sonnaient forts, c’était fantastique!(rires)
Il y avait donc un couple qui dansait au rythme d’une chanson et ils avaient trouvé comme une sorte de groove alors que dans cette chanson le groove était difficile à saisir. Je les regardais et à ce moment j’étais fier de ce que nous pouvions leur apporter.

Q: Après vingt cinq ans d’activité, portes-tu le même regard sur votre musique ?

Je pense que notre façon de composer n’a pas changé. Sur scène, c’est comme des différentes parties de moi qui s’exposent. Le compositeur s’efface pour laisser place à l’interprète, à l’acteur et me concernant je ne crois pas avoir changé dans l’esprit la manière d’être sur scène. Je suis heureux d’être en face de personnes qui ont de surcroît du plaisir à nous écouter. Au fil des ans, cet échange, ce rapport avec les gens n’a pas changé.
Nous n’avons pas à l’esprit le désir de vendre des millions de disques lorsqu’on conçoit un album même si bien sûr si des millions de personnes l’achètent c’est fabuleux !
Si nous vivions juste à côté de Michael Jackson rien qu’une année, ça nous apporterait peut être une certaine reconnaissance (rires).

Q: En collaborant avec des musiciens hors du groupe, est-ce que votre musique a évolué ?

Les personnes avec qui nous jouons nous apportent leur vision de la musique mais n’influent pas sur l’atmosphère des chansons mais sur leur structure. Croiser des musiciens et partager leur approche artistique a surtout un impact sur notre attitude. Il y a vingt cinq ans nous étions décidés et inconscients et avec les années et les rencontres des erreurs ont été évitées, le caractère se forge et même si notre musique n’a pas changé le regard sur elle a évolué.

Q : Vous avez été influencé par Bob Dylan, Velvet Underground, Monkeys, Television, Talking Heads, des groupes qui sont loin de votre musique, revendiques-tu la sensibilité pop des Go-Betweens ?

Absolument, très très pop sensibilité [en français].
Mais je considérerais une chanson pop plus dans sa production que dans son corps. Si on prend comme exemple la chanson « Streets of your town » qui a été produit avec un son vraiment pop, elle a été probablement notre plus grand succès. Mais nous ne voulons pas faire sonner toutes nos chansons comme celle-là. On va choisir la spontanéité du moment, ajouter des effets à droite à gauche mais même si on a la volonté de produire différemment certaines chansons, au final on retrouve ce son pop.
« S’il vous plaît soyez pop ! » (rires)

Q: Vous sentez-vous proches des mouvements d’anti-globalisation et d’anti-guerre ?

Je suis contre la guerre. Lorsqu’on voit des civils, des enfants se faire tuer c’est tout simplement intolérable, inacceptable mais malheureusement il y a certaines personnes qui ne raisonnent pas comme moi ou ne partagent pas ma vision du monde et pensent que trouver des solutions par la force est la seule possibilité pour faire régner la paix. De n’importe quel camp, de n’importe quelle nation, que tu sois dans ton tort ou pas, celui qui prend une arme, envoie une bombe, viole une femme, abuse d’un enfant me révolte. Alors comment traiter avec eux ? Je ne pense pas que les mettre en prison soit une solution tout comme les exécuter. C’est un problème qui devrait tous nous concerner et toucher. Les mouvements anti-guerre liés au conflit du Golfe n°2 me suggère un devoir politique. La position de l’état australien a poussé beaucoup de gens à sortir dans la rue manifester, à avoir une conscience politique comme il a pu se passer la même chose en France ou en Allemagne.

Tuer pour des questions économiques est horrible, la solution militaire devrait être la dernière chose à prendre en considération comme la dit la Russie, la France ou l’Allemagne. Malheureusement, tous les dix ans une guerre éclate et on récolte les erreurs faites dans les colonies par les pays européens comme l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne.

Q: L’artiste a t-il une responsabilité dans les questions politiques ?

Il y a des artistes qui sont impliqués politiquement. Pour ma part, je n’aime pas trop mettre dans mon travail des questions politiques car je pense que les chansons perdent alors de leur pouvoir une fois que le sujet n’est plus du jour. Je vais plutôt écrire des chansons relatives au temps qui passe. Je ne suis pas doué pour écrire des chansons politiques, je les laisse à ceux qui le font très bien.
Je pense qu’un artiste a la responsabilité de proposer une oeuvre de qualité peut importe l’inspiration. Une chanson parle d’elle-même et cache certains sujets sans pour autant qu’ils soient clairement affichés. C’est l’aura qu’elles dégagent qui est important.

Q: L’amitié affecte t-elle tes compositions ?

Si tu es ami dans la vie alors tu joues la musique dont tu as envie et les liens d’amitié ne se desserrent pas. Je connais des musiciens qui jouent ensemble et qui ne sont pas particulièrement amis et par moment se déchirent. Je n’ai pas à faire des sacrifices sur mes chansons. Malheureusement dans les Go-Betweens chaque membre se sent vraiment impliqué dans le groupe (rires).
C’était ça les années quatre vingt, Fleetwood Mac !

Q: Es-tu fier des chansons des Go-Betweens, n’as-tu pas des regrets ?

En fait, il doit bien avoir une vingtaine ou trentaine de chansons dont je suis fier. Je n’ai pas de regrets. C’est plutôt des manques d’opportunités comme vivre en Angleterre, ou prendre des leçons de chant, ou avoir commencé à fumer. Dire qu’avant de monter le groupe je ne fumais pas. C’est mon plus gros regret.
On avait commencé à faire un film qui semblait amusant selon l’avis de ceux qu’il l’avait vu mais Robert ne l’a pas fini car en rejouant ensemble la musique nous prend beaucoup d’énergie et nous n’avons plus le temps de faire autre chose. Mais j’aimerais en faire un.

Q: Si tu n’étais pas devenu musicien, tu aurais fait quoi ?

Je serais devenu styliste ou chorégraphe pour les ballets de l’opéra de Paris. J’adore Paris.

Q: As-tu un disque, un livre et un film à nous recommander ?

Je recommanderais des artistes australiens. Tout d’abord les Sleepy Jackson qui ont sorti un ep huit titres formidables (Ndlr sorti en février 2003 chez Virgin). Un livre australien, « Snake » de Kate Jennings qui parle d’un voyage à travers le pays et des rapports entre mari et femme, vraiment poétique, chaque mot est un régal, « le mot parfait » [en français s’il vous plait!].
Pour ce qui est d’un film, je dirais « Malcom » de Nadia Tass , il est sorti il y a déjà quelques temps. C’est l’histoire d’un type qui perds son boulot de conducteur de tramway à Melbourne et afin de payer son loyer va cohabiter avec des pensionnaires, un couple qui s’avérera être des criminels (Ndlr : film sorti en juillet 1986).