Guy Garvey et Pete Turner, respectivement chanteurs et bassistes d’Elbow, sont des musiciens studieux. Assis dans une brasserie en plein centre de Pigalle, nos gentlemen anglais nous invitent avec le sourire à prendre le café. A deux tables de nous, les rigolots de Muse s’entretiennent avec Ariel Wizman. Imperturbables, les Elbow men nous parlent de leur nouvel album Cast Of Thousands, un disque ambitieux digne de la sophistication de leur précédent album. Et comme tout oeuvre ambitieuse, elle fut enfanté dans la tourmente. Explications.


Pinkushion: Cela vous a pris sept ans pour réaliser votre premier album. Est-ce qu’aujourd’hui, vous estimez votre manière d’enregistrer totalement différente que celle de vos débuts ?

Guy Garvey – Oui, aujourd’hui nous avons largement moins de temps pour nous exprimer, et nous en avons pleinement conscience. Cet album fut un exercice difficile, en fait il a été si hardu, que nous nous en sommes rendus malade. Nous avons vraiment du nous ateler à la tâche. Et même si c’est en apparence le boulot le plus simple du monde, il peut vous user physiquement si vous le prenez trop à coeur.
Personnellement, la pression que je ressentais fut si grande que des plaques douteuses sont apparues sur ma peau. Mais tout le groupe était à bout, à tel point que notre maison de disque nous a autorisé une pause, ce qui est une chose très rare dans le business.

Pete Turner – Nous nous sommes mis une pression démentielle sur les épaules. Nous voulions à la fois nous faire plaisir mais surtout ne pas décevoir tous ceux qui ont acheté notre premier album. Notre maison de disque respectait notre façon de faire, et nous a toujours appuyé. La preuve en est que nous sommes restés deux mois et demi plus longtemps en studio, que ce qui était originellement prévu.

Q: Mais qu’est-ce que vous avez trouvé le plus difficile ? L’écriture de nouvelles chansons ou l’enregistrement proprement dit ?

Guy Garvey – C’était l’écriture, nous avions tellement peu de temps comparé au premier album que la finalisation des titres nous a donné beaucoup de peine. On composait les deux tiers ou nous arrivions à la fin, et on n’arrivait pas à se contenter du résultat. Nous avons été trop perfectionniste à mon avis.

Q: Aviez vous des chansons déjà prêtes avant de rentrer en studio ?

Guy Garvey – « Fugitive Motel » et peut être « Ribcage », mais « Ribcage » a aussi évolué lors des séances en studio. Les autres, nous les avons composé de A à Z au studio, en Ecosse et en Irlande.

Pete Turner – On passait pas mal de temps à improviser tous ensemble et tout d’un coup, l’un d’entre nous sortait une melodie ou un beat que les autres suivaient naturellement. Certaines chansons nous sont venues facilement comme « Grace Under Pressure », tandis que d’autres nous ont donné énormément de mal comme « RibCage ». On a recommencé l’écriture de cette chanson plusieurs fois, et à chaque fois, les mélodies et rythmiques prenaient forme petit à petit.

Q: Comment décidez vous qu’une chanson est terminée si vous travaillez de cette façon ?

Guy Garvey – Quand nous étions à cours d’idées ou que les limites de notre patience étaient atteintes, sinon l’album ne serait toujours pas terminé… En fait, la plupart du temps, l’idée qui a donné le jour à la chanson a tendance à s’effacer au fur et à mesure du processus de composition. Tout évolue et chaque nouvelle route que nous avons emprunté a été le résultat d’une décision à l’unanimité. Cela explique le temps que nous avons mis à finaliser cet album.

Q: Est ce que des groupes vous ont commandé des remixes ?

Guy Garvey – Nous avons fait des remixes pour Peter Gabriel, Michael Longview et Athlete.

Q: Comment pouvez vous décrire votre approche du remix ou de la reprise ?

Guy Garvey – Pour Peter Gabriel, nous avons écouté piste par piste, le titre en entier. Ensuite, nous avons isolé les parties ou les sons qui nous plaisaient pour éliminer les autres. Nous avons en fait supprimé la totalité des instruments à l’exception du refrain, et ré-enregistré les parties de batteries, piano, et guitare. En fait, nous avons modifié toute l’ambiance de la chanson. Pour le remix de Longview, nous avons samplé différentes parties de morceaux qui nous plaisait. Dans le cas de celui d’Athlete, nous avons divisé le rythme par deux et rajouté du swing. Tout cela nous donne pas mal de plaisir à faire, on adore ça…

Q: Pensez vous que le résultat de vos remixes préserve le son qui caractérise vos chansons ?

Guy Garvey – Oui, nos remixes sont dans la lignée de ce que l’on pourrait faire en studio.

Q: Regrettez vous votre collaboration avec Peter Gabriel, car beaucoup de journalistes vous classent comme des suiveurs de Genesis ?

Guy Garvey – Non, pas du tout. Cela m’a plus flatté que peiné en fait!! J’ai toujours apprécié sa musique, donc toute comparaison est prise comme un véritable compliment.

Q: Quelles sont vos préférences vis à vis de son travail ? Vous préférez ses débuts avec Genesis, ou son travail en tant qu’artiste solo ?

Guy Garvey – J’ai grandi en écoutant les premiers albums de Genesis. Ce sont les premières chansons que je me rappelle avoir écouté. J’ai adoré l’album So, et je l’ai écouté pendant des années. Et même si je me rappelle bien, mes premiers essais au chant se sont fait grâce à cet album. Cela veut peut être dire pourquoi on me dit que je chante de la même façon que lui.

Q: Pouvez vous nous dire deux mots sur votre nouveau producteur Ben Hillier ? Comment l’avez vous choisi ?

Guy Garvey – Il a travaillé sur notre premier album, et c’est indéniablement un homme très créatif, qui nous apporte beaucoup d’idées innovantes. Il est drôle et sympathique tout en étant la sixième opinion valide et objective dont on a besoin. Il est quasiment le sixième membre du groupe, et il a réussi à nous rassembler quand nous perdions notre motivation lors des séances studio.

Q: Est ce que ces problèmes en studio ont influencé l’atmosphère finale des chansons ?

Guy Garvey – Oui, nous étions partis sur des titres à l’ambiance positive mais le résultat est largement plus sombre que nous ne l’aurions imaginé.

Q: On a l’impression que l’amertume est présente dans certaines chansons. Est ce que l’effet était voulu et pensez vous que votre public s’y attend ?

Guy Garvey – Seule une chanson est écrite dans cet état d’esprit, « I’ve got ur number ». Après l’avoir écouté on se sent fautif, mais c’est toute l’idée de la chanson. Sinon, la plupart des chansons parlent de l’amitié, l’amour et pronent la vie en communauté.

Pete Turner – En fait, aucun d’entre nous n’avait une idée précise de ce qu’il souhaitait faire ressortir de cet album, à part les valeurs que vient de citer Guy. Ce sont effectivement les différents problèmes qui nous ont frappé lors de l’enregistrement qui sont à l’origine des changements d’atmosphère sur certaines chansons.

Q: Est ce que la chanson « I’ve got ur number » vous a été inspiré de Jimi Hendrix ?

Guy Garvey – Oui, musicalement

Pete Turner – Cette chanson montre bien comment se passent les sessions d’enregistrement. Elle a cette sorte d’atmosphère qui nous rapproche de la musique de l’époque. Nous voulions montrer ce côté spontané dans notre écriture.

Q: Quelles sont les influences qui transparaissent au travers de cet album ?

Guy Garvey et Pete Turner– Beaucoup de choses que l’on a pu écouté d’origines très variées : Tom Waits, Joni Mitchell, et des influences Trip-Hop comme Portishead, Tricky, et même DJ Shadow.

Q: Est-ce surtout au niveau du beat que l’on ressent l’influence Trip-Hop ?

Guy Garvey – Oui, certains morceaux ont été composés sur des batteries electroniques. Le son sonne quelques fois sale et sec. C’est surement pourquoi on ressent ce type d’influence.

Q: Est-ce que vous pensez avoir fait passer votre message artistiquement ?

Guy Garvey – Oui, je n’ai jamais cru aux bombardements de métaphores pour véhiculer des messages à l’auditeur. J’utilise des mots simples, et je préfère les styles directs aux styles trop imagés.

Pete Turner – Nous avons la même approche vis à vis de notre musique. Les plans compliqués ne sont pas ceux qui marchent le mieux. Et le fait de rester sobre dans la sonorité générale, permet de mettre en avant plus facilement des mélodies ponctuelles. Et cela évite la surcharge sonore !!

Q: Lorsque vous composez, écrivez-vous la musique ou les paroles en premier ?

Guy Garvey – La musique est traditionnellement notre point de départ. Je lance des idées sur un papier qui semble coller sur la mélodie. Tout part en fait d’un carnet où j’écris tout ce que j’entends ou qui me passe par la tête et qui me semble digne d’intérêt. Je m’y réfère constamment en en volant des lignes, en les adaptant et en créant du sens. La musique et les paroles doivent se compléter pour la création de l’atmosphère finale.

Q: Votre musique a des caractères de projections cinématographiques. Utilisez vous des effets visuels dans vos concerts ?

Guy Garvey – Oui, nous en utilisons depuis nos débuts. Cependant, une représentation d’Elbow se solde plus par des émotions que par du Show a proprement parlé.

Q: Vous avez grandi à Manchester. Quelle genre de ville reste-t-elle à vos yeux ?

Guy Garvey – La ville est magnifique. La vie étudiante grandit de jour en jour, et il existe un réelle culture musicale.

Q: Avez vous été influencé par le mouvement electro à vos débuts ?

Guy Garvey – Nos influences restent des musiques qui nous touchent chacun personnellement. L’electro n’en fait pas parti intégrante. En fait, la beauté artistique est notre quête au travers de nos albums. Il nous semble plus dur de faire passer des messages positifs et amicaux sans tomber dans le superficiel, que d’écrire sur la noirceur et les problèmes. Nous voulons faire du romantique avec une dimension réelle. Nous pronons l’amour, mais surtout l’honneteté et la pureté dans les relations.

Q: Comment avez vous été accueilli aux Etats Unis lors de votre dernière tournée ?

Guy Garvey – Le public Américain (au sens strict) a du mal à comprendre ce que nous faisons pour l’instant. Mais nous espèrons que cela changera rapidement…

Q: Votre album a été partiellement enregistré dans une Eglise. Faut-t-il y voir là un message religieux ?

Guy Garvey – Oui, j’ai été Chretien jusqu’à 22 ans. Aujourd’hui j’ai perdu ma foi. J’ai apprécié ma vie sous l’égide de Dieu, mais même si je n’y crois plus, je pense que la musique traditionnelle religieuse fait partie integrante de mon personnage.

Q: Avez vous des conseils à donner aux débutants dans le monde musical ?

Guy Garvey – Faites le plus de choses possibles avec vos propres moyens !! Ce n’est qu’à ce moment là que l’on a le plus grand contrôle sur sa création et sa finalisation. C’est là que l’on doit vraiment faire jouer la carte de l’originalité. Aussi, si le succès est gagné sans l’aide d’une maison de disques, les contrats qui en découlent en sont d’autant plus interessants.

Elbow, Cast Of Thousands (V2)