A ceux qui chercheraient à exprimer « musicalement » la tension des temps modernes, Killing Joke l’a fait pour vous. La bande à Jaz Coleman nous prouve encore une fois que c’est souvent dans la tourmente que naissent les grandes oeuvres.


On nous avait annoncé le retour de Killing Joke tambours battants. Puis on apprenait que ce serait Dave Grohl qui ferait office de batteur. Pour ceux qui connaissent un tant soit peu l’histoire de Killing Joke, il y a de quoi sourire… En effet, l’ancien batteur de feu Nirvana fut accusé en son temps d’avoir plagié « Eighties » dans le fameux « Come as you are ». Le fan de la première heure donc se rachète une conduite.

Killing Joke, avec ses 25 ans d’activisme rock, fait office de groupe phare dans le trait d’union entre le punk de la fin des années 70 et la new wave, virant parfois vers les prémices d’un certain grunge (Nirvana, Soundgarden ou Faith No More les citaient en tant qu’influence importante). Déjà riche de quelques 11 albums, sans compter les live et autres best of, le quatuor mené par Jaz Coleman, d’origine égyptienne, n’en est plus à une contradiction près.

Après une longue absence, Pandemonium signera le retour dans le monde du rock (lourd), qui illustrera le dégout qu’a du monde contemporain le prophète fou. La musique classique deviendra son dada au point d’en devenir un pianiste-compositeur reconnu (Il a adapté, après notamment le « Us and Them » de Pink Floyd, le « Riders on the storm » des Doors interprété par le violoniste Nigel Kennedy). Tout ceci pour dire que nous avons affaire à une grande personnalité, torturée, proche de la psychose, révélant déjà quelques signes de schizophrénie artistique.
Déjà en 1982, en pleine guerre froide, Jaz pète une case et se casse en Islande, persuadé de la fin imminente du monde… Killing Joke se fera alors oublier (en tant que groupe, jamais en tant que référence) et Coleman en profitera pour étudier la composition classique à Leipzig et la musique orientale dans un conservatoire arabe, en Egypte.

Le groupe qui fût banni de la ville de Glasgow pour des affiches de concert jugées insultantes à l’encontre du Vatican (on y voyait le pape Pie IX bénissant des troupes nazies – elle orne d’ailleurs la pochette du best of Laugh? I Nearly Bought One!)- est en ce temps de récession de retour sur le devant de la scène, avec un album qui sent la dynamite, enregistré à Londres et Los Angeles, et produit par Andy Gill (membre des non moins importants Gang of Four, et producteur des Red Hot Chili Peppers).

L’album éponyme du nouveau millénaire (leur premier album, en 1981, était déjà éponyme), ne décevra aucunement les fans de la première heure. (ceci explique d’ailleurs peut-être cette redite). Cet album est extrêmement puissant, et la musique classique dans laquelle Coleman s’investit tellement y est certainement pour quelque chose. Coleman prouve à qui veut bien faire l’effort de la curiosité que les deux extrêmes, à savoir le hard rock et le classique ne sont que les bornes qui délimitent le champ dans le lequel on peut se défouler. Imaginez Mahler ou Beethoven à notre époque, une guitare électrique à la main…

Killing Joke a la rage, et le fait méchamment savoir : « Asteroid » est rageur autant dans la durée (le seul titre de moins de 5 minutes!) que dans la batterie saccadée ou le chant criard. La rythmique n’a pas pris une ride (Rage Against The Machine l’avait bien pompé…), et pourra même inspirer plus d’un groupe actuel. Jaz Coleman a travaillé sa voix : généralement aérienne, mais pouvant aussi bien se muter en murmure (rappelant le Dracula de Coppola…), qu’en cri barbare à la Motorhead (dans « Implant »).

Le premier titre est bien à la hauteur de leur réputation : nappe de guitares survolées par la voix aérienne de Colletant, batterie faisant son apparition à l’appel de ce dernier, et la machine qui se met en branle, rappelant aux nostalgiques que nous sommes le « Love Like Blood », l’un des meilleurs morceaux rock de tous les temps. La voix grave et grasse qui chante les refrains de « The death & resurrection show » rappelle à notre bon souvenir un groupe grandiose.

Leur humour noir (clin d’oeil à Dracula dans « Total invasion ») et leurs opinions politiques sont encore une fois à l’honneur dans les paroles. Le monde tel qu’il est fait peur à Coleman, qui y voit une sorte d’apocalypse bien traduit dans la folie rythmique des morceaux qui s’enchaînent comme les cartouches d’une mitraillette déchaînée. Jaz Coleman invite l’auditeur à se défouler sur sa musique comme il s’est défoulé à la faire, outré par la propagande ambiante dans un monde « devenu -à nouveau- dingue ». « Total invasion » (où il est question de l’ONU) , « Blood on your hands » et « Dark forces » sont autant de pamphlets contre la machine, « la chose » comme aurait dit un Michel Foucault.

On retrouve aussi des titres joués « à l’ancienne », comme « You’ll never get to me » ou « Seeing red », qui sonnent étrangement calmes comparés au reste de l’album et qui y font presque office de slow (enfin, là j’exagère…); en tout cas ils marquent une pause, avant les deux derniers titres qui finissent par assommer l’auditeur tant est puissant le résultat sonore des frustrations de Coleman.

-Le site officiel de Killing Joke