Des prodiges belges réinventent le langage de Deus et le fructifient avec un sens plus marqué pour la mélodie. D’ici la consécration, il n’y a qu’un pas à franchir.


Les années passent… l’industrie du disque va mal qu’on nous dit, mais tout cela ne nous empêche pas de voir apparaître chaque mois une pléthore de premiers albums dans les bacs. Sans jouer les troublions, il faut avouer que les élus de la cause rock de ce côté-ci de la Manche ne sont pas non plus aussi souvent que ça au rendez-vous…

Ne nous voilons pas la face : sur le podium des nouvelles étoiles, combien de commentaires bridés et polis? Combien de groupes stylisés mais dénués de magie? Combien de pétards mouillés lancés trop vite devant les feux de la rampe ? Donner en pâture quelques noms n’apporterait rien à l’entreprise, mais malgré toutes les bonnes intentions de certains, nous avons parfois l’impression d’aller plus chez le pharmacien acheter une boite d’Efferalgan que de fouiller les bacs cds de rayons rock indépendant. 2003 l’a confirmé, les lauréats tenaient sur une poignée de main, parmi lesquels se distinguait Syd Matters, jeune parisien dont le premier album possède des vertus magnétiques dès que l’on ose s’en approcher de trop près. Enfin un français qui a le courage de chanter en anglais (et il en faut!) construisant un univers singulier sans virer vers un nombrilisme si typique de par chez nous.

Cette année, il se pourrait bien que l’outsider de choix s’appelle Girls in Hawaii. Soutenu par les habituels piliers de la presse spécialisée, ce jeune combo belge (20 ans tout rond) s’est distingué sur la foi d’une première démo vigoureuse et prodigieusement aboutie. Rapidement signé chez Naive après l’excellent The Winter EP, 2004 sera donc l’année du grand saut (sot? seau?).

Pour les causes expliquées précédemment, on ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec notre challenger national Syd Matters, ce malgré l’univers assez opposé des deux protagonistes. Tout d’abord, une faculté précoce pour absorber bon nombre d’influences, sans jamais frôler l’indigestion. Des influences pourtant très marquées : là où Pink Floyd première monture et Robert Wyatt semblent des influences évidentes pour Syd Matters, on ira plutôt chercher celles de Girls in Hawaii vers Deus et Grandaddy.
Autre qualité que l’on retrouve chez les deux protagonistes : la maturité. Malgré leur jeune âge, nos amis belges n’utilisent pas les guitares rugueuses « nirvanesques » et autres refrains héroiques à tout bout de champ pour se faire entendre. Ils préfèrent passer de leur capital « frustration » derrière la délicatesse de mélodies claires mais hésitantes.

From here to There débute sur des chants d’oiseaux sereins qui nous réveillent et se prolongent sur le très saisonnier « 9 : 00 AM ». On plonge d’autant plus facilement dans cette ambiance printanière que la couverture de l’album représente un champ verdoyant qui s’étend jusque vers des nuages grisonnants. On s’y sent bien au premier coup d’oeil, choyé par une couette qui nous retient au lit un dimanche matin. Et puis le spleen prend forme petit à petit, on a le désagréable sentiment que quelqu’un a laissé la fenêtre ouverte pour nous tirer du lit pendant qu’on somnolait seul dans notre chambre. En ce sens, la plupart des chansons de GIH vont crescendo. Elles débutent par quelques chuchotements, des mots doux, puis les choses se gâtent à la manière de Deus (« Time to forgive the winter » et « Flavor »). On retrouve ces envolées hypnotiques, ce sens du scénario qui nous transporte vers un tourbillon de sentiments confus.

Pour ces moments les plus ensoleillés, GIH lorgne vers l’innocence des Papas Fritas (« Short song for a short mind ») ou imite scrupuleusement les mimiques timides de Jason Lytle (« Organeum »). Parfois, ils s’amusent à croiser le fer avec un Sonic Youth serein, pour ses guitares épileptiques qui ont tout oublié des accords traditionnels, sans jamais se laisser vraiment déborder par les évènements. Ce qui surprend le plus sur cet album, c’est la cohésion d’ensemble malgré le nombre d’influences évidentes si caractéristiques à un premier album. Là demeure tout son art : un tir qui fait mouche à chaque fois.

Au final, Girls in Hawaii est un groupe encore vert dont les influences sont un peu trop flagrantes, mais qui – en excellent élève – a très bien retenu les leçons des modèles tout en parvenant à les transcender. Si bien qu’on se prend à rêver de ce que tout cela pourra donner d’ici très peu de temps. Comme le dit si bien Bashung, c’est un peu comme si on avait crevé l’oreiller…

-Achetez cet album
-Le site officiel des Girls in Hawwaii