On ne remerciera jamais assez le label allemand Glitterhouse Records d’avoir ressorti des cartons l’album Oh What a World, collection des premiers enregistrements de Terry Lee Hale. Cet album alors introuvable, devenu pièce de collection pour le pressage vynile, fut livré en bonus lors de l’édition limitée du Tender Loving Hell, compilation retraçant la carrière de l’américain.

Fils d’un militaire érudit de musique, Terry Lee Hale grandit avec les disques de Fats Domino, Hank Williams, Willie Nelson, Woody Guthrie. Changeant pratiquement tous les trois ans d’Etats pour cause de mutation de son père, le jeune Terry se passionne rapidement pour des jeux solitaires, faute de ne pouvoir garder des amitiés durables. En écoutant les disques de son père, il entretient une relation privilégiée avec la musique. Chaque titre diffusé sur la platine familiale devient comme une sorte d’ouverture sur le monde, donnant libre cours à toute imagination. De ces moments solitaires, l’américain garde un goût prononcé pour l’évasion au travers des livres ou disques et de ce fait développe un sens créatif.

Adolescent, il apprend la clarinette et use ses nerfs sur les retranscriptions des partitions de Debussy. Cet instrument demandant trop de persévérance, avec l’argent gagné à faire les récoltes dans les fermes, Lee Hale décide de s’acheter une guitare acoustique. Son modèle sera le Reverand Gary Davis, alors leader du groupe Rev. A la recherche des racines folk et blues, il écume les bars de Chicago où chaque soir se produisent les groupes locaux reprenant de vieux standards. Peu à peu des musiciens comme Muddy Waters, Howlin’ Wolf, Light’ning Hopkins deviennent des références qui prennent place discrètement dans la tête de Terry Lee Hale. Digérant petit à petit ces influences, la musique de notre intéressé en porte encore aujourd’hui les stigmates.

Quittant Los Angeles, où il ne garde que peu de bons souvenirs, notre solitaire s’installe à Seattle, ville dont la scène folk locale commence à se faire entendre dans les autres états américains.

Alors qu’il se lie d’amitié avec un groupe du coin, The Walkabouts, Chris Eckman et Carla Torgerson l’encouragent à écrire ses propres chansons. Dès 1984, sur un dictaphone, Terry Lee Hale enregistre dans sa chambre ses premières maquettes aux couleurs de ses idoles, The Greatful Dead, John Lee Hooker, Van Morrison.

Parallèlement à son travail de charpentier, il enregistre en 1986 son premier LP Fools like me pour une sortie quasi confidentielle.

Jouant dans les bars de la ville en solo ou lors de jam-sessions, Hale commence à connaître une certaine notoriété et se voit proposer plusieurs collaborations avec des musiciens locaux.

De ce petit buzz, le label allemand Normal invite l’américain à publier un album. Galvanisé par cette aubaine, Terry compile ses morceaux favoris enregistrés depuis 1984 et fin 1992 sort son premier véritable album Oh What a World qui aura une diffusion certes limitée mais néanmoins internationale.

Pourtant sans l’aide du batteur Johnny Rubato, rencontré dans un club de Seattle, et du guitariste des Walkabouts Chris Eckman ce projet discographique n’aurait peut être pas vu le jour. Non seulement confidents mais aussi conseillers éclairés, Rubato et Eckman prennent sous leur coupe la production du disque.

Peu enclin aux pressions d’un label, à finir pour une date plus ou moins définie un premier master, Terry Lee Hale doute de ses compositions et de sa capacité à être à l’aise en studio. De plus, se sentant redevable de l’apport des musiciens notre compositeur cherche les moyens de financer l’enregistrement. Portant la casquette de plusieurs métiers, conducteur de camion, barman, cuisinier mais avant tout charpentier, Hale arrive à économiser pendant un an assez d’argent pour payer les séances de studio.

Au final, Oh what a world prend forme dans une parfaite cohésion. Chaque titre est agencé de façon à rendre le suivant céleste comme une sorte de montée d’adrénaline qui se termine dans l’extase avec le titre phare « Oh what a world ». Les arrangements n’ont rien de sophistiqués mais sont tellement efficaces que la musique parle d’elle-même, les musiciens s’effaçant derrière elle. Il faut écouter « Just ask me », « Where the weeds grow » ou encore « The boys are waiting » pour comprendre la valeur intime et élégiaque de l’écriture affine de Terry Lee Hale. Cet homme porte le Texas de son enfance dans son coeur et ses chansons partagent les mêmes rivages enchanteurs que ses idoles. Le blues chanté par cette voix grave a une portée universelle, intemporelle, un blues qui n’a d’équivalent que celui joué pour le plaisir par ses plus grands serviteurs laissant aux ambitieux la compétition. Car notre américain préférera toujours croiser le manche entre deux bières avec ses potes que jouer aux vrp de la musique et ce pour notre plus grand bonheur.

Malheureusement, la qualité d’un disque ne se juge pas à ses ventes. Le label allemand Glitterhouse Records l’a bien compris en voyant dans Hale un compositeur hors pair et dès 1993 lui propose de signer un contrat discographique. En novembre de cette année-là sort Frontier model, le premier album d’une série qui est loin de s’arrêter. Non satisfait d’avoir dans leur rang cet ambassadeur à la riche discographie, Glitterhouse assouvit un vieux rêve en rééditant le chef d’oeuvre de Terry Lee Hale Oh what a world jusqu’ alors épuisé. On connaît des collectionneurs qui n’auront plus besoin de se contenter que de l’édition vinyle.

Tracklisting :

Just ask me – Beautiful lie – Where the weeds grow – Random kiss – The boys are waiting – First get over falling – Who is he – Call me Ann – Digging up crud – Oh what a world.