Avec son sixième album, Neal Casal touché par la grâce atteint les cimes du songwriting folk. Return in kind est un album de reprises qui transcende l’original comme rarement entendu.


Le nouvel album de Neal Casal, Return in kind, peut être vu comme un retour aux origines, une introduction à ce talentueux songwriter même si son prédécesseur Maybe California avait déjà posé les bases. Comme pour déguster un grand cru, plus les années passent plus le vin se bonifie, il en est de même pour composer des chansons, surtout lorsqu’on empreinte à un répertoire déjà existant.

Neal Casal a attendu presque dix ans pour s’atteler à l’exercice périlleux de la reprise. Autant l’avouer d’entrée, on avait peur du résultat car si reprendre une chanson semble à porter de mains de n’importe quels musiciens (il suffit de se balader le jour de la fête de la musique) peu sont capables de surpasser l’original. Casal le sait trop bien lui qui a posé ses guêtres dans tant d’endroits où la qualité n’est pas toujours de mise. Car entre un album, une reprise live et une face b la différence est grande.

S’il n’y avait pas eu de catalyseur, Return in kind n’aurait probablement jamais vu le jour. Lors d’une balance, en jouant au piano « It’s not enough » d’une façon éthérée à mille lieux de la version de Johnny Thunders, Neal Casal compris qu’il tenait là les clés pour insuffler un nouveau souffle à sa carrière musicale. Depuis l’idée fit son chemin pour aboutir à ce disque de reprises. Pourtant, il serait mal vu de limiter Return in kind à un seul album de covers car il apporte d’une part du sang neuf aux compositions originales mais aussi impressionne par l’interprétation qu’en fait l’auteur tant il se confond avec son oeuvre au plus près de ses convictions pour en livrer une représentation personnelle.

En consacrant son sixième opus à des relectures de chansons qui font parties de sa vie, l’américain n’a jamais été aussi bouleversant, atteignant les cimes de l’intimité sur certains titres. Complice de ces chansons qui l’accompagnent à tout moment, Casal à l’instar de certains de ses compatriotes les plus doués Cat Power, Johnny Cash, Will Oldham, 16 Horsepower… paie son tribu à ses héros et surtout à une certaine idée de ce que la musique américaine peut offrir de mieux.

Ainsi, des artistes de renoms comme Gene Clark, Ronnie Lane, Joe Higgs, Royal Trux ou Johnny Thunders retrouvent une nouvelle jeunesse dans les mains de Neal Casal. A côté de ces grands noms se côtoient sur Return in kind d’autres qui n’ont pas eu le même impact médiatique voire populaire comme The Consolers, Grace Braun ou Sam Jayne mais qui devraient retrouver un regain d’intérêt et pourquoi pas d’être remis au goût du jour auprès des nouvelles générations.

Des pépites comme celles présentes sur cet album, Neal Casal aurait pu en chanter des dizaines tant le folk, le blues, le gospel en regorgent. A l’instar du titre « Be Real » de Doug Sahm qui se retrouve sur l’album alors qu’il aurait pu être écarté pour un autre tant l’oeuvre de Sahm est immense. Dans un sens redevable de la voie tracée par ses artistes oubliés, digne d’un ambassadeur, notre homme s’y engouffre pour perpétuer le mythe et l’honorer dignement.
En se plongeant dans ces racines musicales, le chanteur de Hazy Malaze voit dans ses reprises quelque chose de thérapeutique, un moyen de se retrouver face à cet héritage et d’être le plus sincère possible. Il suffit d’écouter des chansons comme « The Portland water », « It won’t hurt » ou  » Debris » pour s’en convaincre. Portées par des arrangements aussi sobres que subtiles et une production dépouillée, les covers sont empruntées de nostalgie et de sacré qui chantées à fleur de peau fait monter les larmes aux yeux des plus sensibles d’entre nous. On doit cette évocation à cette approche très épurée des compositions.

Casal n’a retenu des originaux que la trame de base et a voulu conserver la pureté de la chanson. La reprise de « It’s not enough » de Johnny Thunders, clef de voûte de l’album, en est le parfait exemple. Une version sans artifice qui avec juste un piano et une voix (quelle voix!) imprime un style infaillible qui donne des frissons dans le dos. Le plaisir s’intensifie à l’écoute de « Be Real » ou « Miss Direction » où juste une guitare et un chant nous rappellent que l’émotion n’est pas nécessairement liée à l’emphase et la propension d’instruments. Et lorsque la pedal steel s’accouple avec grâce à la guitare acoustique sur « Too late », le charme s’opère automatiquement et recréé le mystère qui entoure la découverte de ce titre gospel (une k7 trouvée dans un vide grenier!).

On vous aura prévenu Return in kind est un disque d’une pure beauté aux vertus libératrices et affectives. Mis à nu par tant de magnificence, l’auditeur perd toutes ses fonctions protectrices, livré à lui-même comme le fût et est sûrement chaque soir Neal Casal lorsqu’il reprend son nouveau répertoire. C’est cette vulnérabilité qui rend attachants et si humains des songwriters comme Neal Casal, Townes Van Zandt, Tim Buckley pour qui on a autant d’affection. De leur voix haut perchée comme égarée dans l’espace, leur solitude donne à leurs balades folks une coloration autant poignante qu’intemporelle.

De ce fait, Return in kind se place dans la catégorie des classiques (sûr qu’on en reparlera dans trente ans), et à ce jour comme le meilleur album de l’américain. En évitant les pièges de l’album à reprises, Casal surprend par la dimension profonde que prennent les chansons une fois sous son contrôle sans trahir la pensée du compositeur. Là où beaucoup se sont cassés les reins, Neal Casal a réussi son pari d’adapter des morceaux chargés d’émotions pour en donner une relecture à la puissance évocatrice. Un retour de faveur qu’il offre avec générosité à tout un pan de la scène folk et aux admirateurs du genre.

Difficile de trouver plus beau geste.

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