Alors que les musiciens de l’âge d’or du blues se comptent plus dans la rubrique nécrologie, à 78 ans RL Burnside continue d’explorer plus vivant que jamais les méandres de la musique du Delta. Avec A bothered mind, l’américain poursuit sa quête dans les racines hip hop.


A presque 80 ans, RL Burnside n’a plus grand-chose à prouver et pourtant depuis sa signature avec le label Fat Possum, jamais un bluesman n’est paru aussi prolifique et en danger. Chez Burnside, l’expérience musicale est avant tout une prise de risque vitale. Pour une oreille peu avisée, l’écoute de chaque album de l’américain ne saura percevoir qu’un même refrain alors que chaque chanson est comme une pièce maîtresse d’un puzzle. Pour construire un édifice, tout repose sur la structure et dans l’oeuvre discographique du bluesman la charpente s’appuie sur une même combinaison mais avec des matériaux différents. L’esprit ne s’éloigne jamais des origines du Blues du Delta mais la composition évolue perpétuellement.

A bothered mind est à placer dans la veine des dernières sorties du chanteur guitariste, à savoir un blues écorché mâtiné de scratches tailladés dans le vif. A l’instar de la pochette de l’album où RL Burnside s’affiche le sourire en coin très naturel à des kilomètres des poses habituelles d’artistes qui soignent leur image de dandy du rock, les mains le long du corps comme prêt à dégainer l’américain nous met au défi de trouver dans son image comme dans sa musique quelque chose d’artificielle, de sophistiqué ou d’établi.

En restant attaché à des valeurs simples, à une vie de labeur qui témoigne d’un profond respect et à une musique spontanée remplie d’émotion, les treize pistes de ce nouvel album s’affranchissent de toute complaisance pour ne garder que l’authenticité et des mélodies chantées avec les tripes. Entouré de ses musiciens habituels dont son petit fils Cedric Burnside à la batterie et son fils blanc adoptif Kenny Brown à la guitare, les compositions de RL Burnside prennent une aura hip hop alors scandées par la voix de Lyrics Born ou heurtées par les scratches de Mike E Clark. « Shake ’em on down » et « Goin’ down south » sont le parfait exemple de cette nouvelle direction musicale, un blues alternatif accouplé au scansion rap, prise depuis quelques années. Bien sûr les puristes peuvent appeler à l’intifada mais il est fort à parier que si Alan Lomax était encore vivant il se féliciterait de voir le blues ainsi maltraité et mesuré à d’autres musiques. Et puis quoi de plus naturel que de rapprocher deux styles dont le fond puise dans la même source, la misère de classes sociales délaissées.

D’ailleurs revenons à la source. Comme pour se faire pardonner de ses dérives musicales, aussi incongrue que ça puisse paraître, RL Burnside nous gratifie d’une pépite acoustique en plein capharnaüm électrique. Peut être pour satisfaire les fans de la première heure où tout simplement pour rappeler que notre homme est l’un des pionniers du blues au côté de Leadbelly, Honeyboy Edwards, Son House, Skip James, Willie Brown ou encore Robert Johnson, le titre « Bird without a feather » repose simplement sur une voix et une guitare, le tout enregistré en 1968 ! Même si la chanson est d’une pure beauté, elle fait quand même figure d’ovni car lâchée en plein milieu d’autres compositions saisies dans le vif, aux rythmes haletants et insufflées par des coups de batterie puissants.

Passé cet interlude musical des plus réjouissant, le reste de l’album s’aventure de nouveau sur les traces d’un blues amplifié et métallique comme sur « Stole my check » ou « Goin’ away baby ». Parallèlement à la musique, les chansons de Burnside sont portées par sa voix éraillée, dont les cordes vocales usées à force de chanter alors jeune jusque tôt le matin dans les juke-joints forgent un rythme incantatoire. Toujours tourmenté par des lendemains mornes où le passé est en mémoire, les textes de l’américain sont emplis de mélancolie et de réalisme bouleversant. L’esprit pas tout à fait encore apaisé, RL Burnside est encore loin de radoter. Lui qui est devenu aujourd’hui après des années de dèche l’un des ambassadeurs du blues auprès des jeunes générations, nous montre avec A bothered mind qu’il n’est pas prêt de déposer les armes. A l’instar d’un chercheur d’or qui creuse toujours plus profond, il poursuit sa voie de musicien au service de la musique en poussant les frontières entre les styles musicaux pour mieux les dompter.

Ainsi, depuis Too bad Jim sorti en 1994, le label Fat Possum a redonné une nouvelle jeunesse à RL Burnside qui depuis ne s’arrête pas de multiplier les collaborations. Que ce soit avec des artistes de styles différents comme Jon Spencer, Alec Empire, Kid Rock ou Lyrics Born, tous s’attachent à sortir la musique de sa carcasse routinière et la rendre libre au plus profond de son âme. Et dire que ces rencontres s’articulent autour du blues n’est pas un hasard. Qui aujourd’hui peut se targuer à 80 ans ou plus de faire soulever les jupes des filles et rêver les garçons si ce n’est un bluesman ? Le rock qui a trop tendance à se mordre la queue devrait méditer là-dessus.

-Le site du label Fat Possum