En sortant de son tiroir des compositions plus travaillées qu’à l’acoutumée, Spoon n’en demeure pas moins le groupe le plus cool de la planète. Un piège irrésistible qui se retourne contre vous.


Cinquième album de Spoon, plus de dix ans de carrière, et pas encore le moindre signe d’essoufflement. Là, on parle vraiment de carrière. Que dire d’autre si ce n’est qu’on pourrait arrêter cette chronique ici. Bon allez on continue, vous savez que c’est pas le style de la maison.

Depuis 1994, ce pseudo groupe/duo d’Austin affiche sur son palmarès au moins trois disques indispensables, dont un succès commercial avec Kill The Moonlight aux Etats-Unis (80 000 exemplaires vendus). La formule de Britt Daniel (voix, guitare) et Jim Eno (batterie) est désarmante :
une belle entourloupe, simple mais géniale qui repose sur des progressions d’accord basique, appuyée par un sens de l’enrobage diabolique. Des compositions nerveuses dressées par des guitares pixisiennes puis encerclées par un sens du groove chaud et implacable. Et si la trame « rock » de leur disque n’a pas beaucoup évolué depuis leur début, les disques de Spoon ont une valeur de temps illimitée dont l’acquisition se révèle plus payante qu’un forfait complet chez la Maaf, croyez-moi.

On se souvient de la première écoute de Kill the Moonlight (2002), disque de rock nerveux et instinctif à la précision toutefois inégalée cette année-là.
Déboule maintenant Gimme Fiction, cinquième album enregistré l’année dernière à Austin dans le studio de Jim Eno, sous la bénédiction du producteur Mike McCarthy (…And You Will Know Us By The Trail Of Dead).
Les premières minutes désarçonnent un peu. Le piano introductif de “The Beast and Dragon, Adored” laisse entendre une sensibilité seventies inédite, une mise en scène pop et baroque proche d’un Harry Nilsson qui laisse planer en nous un doute : le plus frémissant groupe de rock indé américain aurait-il viré vers les méandres d’une pop ambitieuse ? Pas vraiment, car en vérité, “The Beast and Dragon, Adored” contient toujours cette tension sous-jacente, cette montée en puissance si caractéristique, on attend toujours cette explosion imminente qui fait monter irrésonnablement nos pulsations. Composition symétrique, “My Mathematical Mind”, nous entraîne encore une fois vers une marche « populaire » dictée par un piano réverbéré.

Nous avons bien affaire à un disque de Spoon, mais tentant cette fois d’orienter leur approche vers des compositions plus sensibles, sans toutefois renier leur folie originelle. Les choeurs mielleux ne sont toujours pas à l’ordre du jour, car la voix pas terminée de Britt Daniel persiste, pas vraiment pop ni vraiment rock, mais toujours audacieuse. La batterie de Jim Eno, formidable machine à propulsion nucléaire, a cette fois légèrement perdu quelques croches, histoire de mieux capter l’attention.

Sur “The Two Sides of Monsieur Valentine”, ce sont les incursions de violons qui nous troublent et gagnent en profondeur. Mais que l’on se rassure, il y a toujours quelques pentes raides qui donneront des sueurs. En atteste le diablotin “I Turn My Camera On”, martelé par une basse groovy à souhait, qui dégage un rythme à vous ensorceler. Britt Daniel y modifie son falsetto et se prend pour Prince, et tente le délicat grand écart américain sans séquelles. Plusieurs écoutes seront nécessaires pour appréhender Gimme Fiction, mais démontrent indéniablement ce don d’enchaîner une excellente série de titres diablement efficaces.

Gimme Fiction est tout simplement un disque plus fin que fun d’accoutumée. Reste le plaisir, intact.

-Lire la chronique de Spoon – Kill The Moonlight (2002)

-Du son, ici