Cette trilogie pionnière montre à quel point les Yarbirds du chaos noisy ont ouvert la brèche à moult formations b(r)ouillonnantes. La faîcheur juvénile de ce rock mammouth atteste qu’un groupe n’a jamais aussi bien porté son nom.


Au milieu des années 80, le rock américain pêche par un manque patent de figure charismatique et une reconnaissance au-delà de ses frontières. Toutes les attentions sont focalisées de l’autre côté de l’Atlantique où la patrie de la dame de fer nargue sa suprématie via quelques labels indépendants. Factory, Rough Trade, Creation et quelques autres ont explosé les règles du musicalement correct, proposant une alternative aux majors producteurs de New Wave aseptisée. De leur côté, les Américains ont raté l’invasion post-punk et les rares groupes dignes d’intérêt (Hüsker Dü, Meat Puppets, Minor Threat, Sonic Youth) ne doivent leur salut qu’à un réseau underground organisé mais fragile.

Perdu au fin fond d’un campus universitaire du Massachusetts, Jay (Joseph) Mascis et Lou Barlow sont des outsiders par excellence. Les deux étudiants s’activent depuis l’âge de 14 ans autour de Deep Wound, formation hardcore anecdotique menée par un chanteur dénommé Charlie. Conscient de leur piètre leader, les deux compères profitent d’une nouvelle recrue, Murph (Patrick Murphy), pour éradiquer leur point faible. Le nouveau trio peaufine alors sa formation, J Mascis mettant à exécution son plan « leadership » en échangeant définitivement son poste de batteur contre une six-cordes et un pied de micro.

dinosaur.jpg Sorti en 1985 alors que le groupe ne s’appelait encore que Dinosaur, leur premier album éponyme à la pochette mythique (plus tard rebaptisé Dinosaur Jr en raison du nom déjà utilisé par un groupe hippie californien) demeure un disque imparfait mais touchant. Nos apprentis punk (17 ans) ne maîtrisent pas encore complètement leur trop-plein d’énergie et laissent entrevoir quelques influences bruyantes (le très Oi ! “Does it Float”), mais leur rock rageur et approximatif possède déjà une singularité qui les détache de la masse bruyante. Pas vraiment hard rock ni punk, Dinosaur est un opus sans compromis et témoigne d’une énergie juvénile – et par définition rock – toujours rafraîchissante près de vingt ans plus tard. Même dans ses moments hardcore et autres hurlements cafardeux, (“Mountain Man”, avec son intro limite hard-rock), le power trio laisse déjà entendre une sensibilité pop qui se confirmera au fil du temps. La basse de Lou Barlow sur des effluves plus tempérées comme “Quest”, “Bulbs Of Fashion”, “Forget The Swan” établit déjà ce style nonchalant et cradingue qui ne cessera d’être fignolé au cours des trois prochaines années. Bien accueilli à sa sortie, ce n’est que grâce à cette réédition vingt ans plus tard et additionnée à ses deux successeurs que son impact résonne.

alloverme.jpg Sorti deux ans plus tard, You’re Living All Over Me est plus court (9 titres), mais bien plus redoutable. Bien plus qu’un disque de rock n’roll explosé, c’est un véritable témoin relais sur la déferlante noisy qui va s’abattre sous peu avec l’arrivée des Pixies, Fugazi, puis Pavement et Nirvana. La présence de Lee Ranaldo (Sonic Youth) sur quelques vocaux confirme l’assimilation à la vague noisy, chose peu claire avec la crinière de hardos qu’arbore Jay Mascis. Son chant est dénué de modulations, se fait de plus en plus doux, en contraste permanent avec son jeu guitaristique exhibitionniste, érigeant un mur du son saturé au rang d’oeuvre d’art. Mascis semble au gré de sa pédale wha wha dompter un larsen avec une aisance nonchalante qui deviendra un cas d’école. Premier titre, “Little Fury Things” regorge de trouvailles soniques, et inspirera un certain Kevin Shields au moment d’enregistrer Isn’t Anything. Le leader de My Bloody Valentine lui rendra d’ailleurs la pareille au cours des années 90 en s’invitant sur Hand It Over et tournant même à ses côtés. “Kracked”, avec sa piste de lancement pour un solo wha apocalyptique, est l’un des titres les plus spectaculaires. “Tarpit” dans la veine puissante d’un Bob Mould, infiltre une mélancolie pop étonnante à ses pérégrinations dissonantes. “Lose” et “Poledo” uniques compositions signées par Barlow et reléguées en fin du disque, sont des pop-songs lo-fi qui démontrent que figuraient bien deux cinglés dans ce groupe. Deux chansons pièce à conviction dans le dossier Barlow, attestant magistralement pourquoi la bizarrerie du groupe s’est atténuée suite à son départ. Figure enfin en guise de bonus la reprise de The Cure “Just Like Heaven”, dont Robert Smith adorera tellement le bourrinage en règle qu’il invitera le trio à les suivre en tournée.

bug2.jpg Rien que par le biais de ses pochettes immondes (signées J Macis), Dinosaur Jr peut prétendre au titre de parrain grunge sur quelques groupes de l’écurie Sub Pop du début des années 90. Bug (1989) bénéficie d’une production plus propre et compositions directes, demeurant dans le lot le disque « accessible » aux néophytes. Si Dinosaur Jr n’est pas le premier à user de la dynamique couplet apaisé/refrain distorsion (Hüsker Dü), le trio séminal peut revendiquer l’appartenance d’avoir grossi le son distorsion à un niveau jusqu’ici jamais atteint.

Peut-être moins spectaculaire, ce drôle de lapin contient notamment le classique “Freak Scene”, peut-être bien le meilleur morceau jamais écrit par Macis. Tandis que l’adjudant Barlow ne signe cette fois aucune composition, Mascis se laisse vraiment aller aux exigences de la composition, signant quelques fantastiques pop-songs décadentes comme l’attendrissant (et relatif) “Pond Song”, “Let It Ride” (avec ses choeurs dégoûtés) ou l’alerte Budge. Grâce à cette réédition impeccable, on gardera encore longtemps en mémire le solo de reverb grandiose sur Keep The Glove.

La suite est connue de tous. Etouffé par l’ego de Mascis, Barlow claque la porte et s’en ira former Sebadoh et plus tard The Folk Implosion, deux groupes fondamentaux des années 90. Le chevelu, quant à lui, a continué de sortir des albums remarquables d’où s’extirpent parfois quelques fulgurances apocalyptiques.

Enfin, le livret contient des bribes d’entretien avec Robert Pollard (Guided By Voices), qui exprime toute sa passion et l’impact considérable qu’ont laissé cette trilogie impériale sur la notion de liberté d’action dans le rock US pour les générations suivantes. Paradoxe magnifique, la lourdeur décadente de Dinosaur Jr nous aura rendu plus léger.

Dinosaur Jr Track Listing :/B>

1. Bulbs Of Passion (Bonus Track)
2. Forget the Swan
3. Cats In A Bowl
4. The Leper
5. Does It Float
6. Pointless
7. Repulsion
8. Gargoyle
9. Severed Lips
10. Mountain Man
11. Quest
12. Does It Float (Live) (Bonus Track)

You’re Living All Over Me Track Listing :

1. Little Fury Things
2. Kracked
3. Sludgefeast
4. The Lung
5. Raisans
6. Tarpit
7. In A Jar
8. Lose
9. Poledo
10. Just Like Heaven (Bonus Track)
11. Little Fury Things (Video) (Bonus Track)
12. Just Like Heaven (Video) (Bonus Track)

Bug Track Listing :

1. Freak Scene
2. No Bones
3. They Always Come
4. Yeah We Know
5. Let It Ride
6. Pond Song
7. Budge
8. The Post
9. Don’t
10. Keep The Glove (Bonus Track)
11. Freak Scene (Video) (Bonus Track)
12. No Bones (Video) (Bonus Track)

-Un site sur Dinosaur Jr