Déjà très remarqué avec The Pink Mountaintops, Stephen Mc bean et sa bande arpentent de nouvelles cimes, moins carré blanc, plus portés sur les sommets noirs.


Cela démarre avec une virée R’n’B suintant la crasse de fin de soirée dans les bayous, le ton guilleret du morceau ne cachant en rien une façade inquiétante. Vision d’horreur, un trompettiste ivre mort s’acharne à souffler sur son pauvre instrument, lui extirpant des cris de détresse à vous glacer d’effroi. Trois minutes plus tard, “Don’t Run Our Hearts Around”, voit apparaître derrière un nuage de fumé sa majesté Tony Iommi, guitariste maléfique de Black Sabbath, plombant cette nouvelle offensive burnée par un riff incantatoire. Le sorcier de la six-corde semble convié à une messe secrète qui se déroulerait au fin fond d’une forêt de druide. En l’espace de cinq minutes, vous avez déjà là un avant-goût de ce que vous réserve l’écoute de ce disque hypnotique et inquiétant. Un étalage douteux et de force sordide puisant sa source dans la contre-culture honnie des années 70.

Présenté comme un collectif basé à Vancouver, la « Black Mountain Army », est en premier lieu l’arme secrète de Stephen Mc Bean. Personnage intriguant, cet ancien membre du groupe Jerk in a Bomb n’a pas peur de remuer ses tourments et obsessions pour nous les jeter en pâture, comme en témoigne le soufflant premier essai The Pink Mountaintops paru l’année dernière. Cette première excursion atteignait déjà les cimes d’un rock dépravé ou la luxure tenait les rennes (ou fouettait c’est selon) de ce cirque grotesque. Ici, les perversités sexuelles de Mc Bain semblent s’être muées en une profonde paranoïa.

Sur cette nouvelle cicatrice, le maître de cérémonie a convié en studio une moitié de l’équipe précédente, (Joshua Wells et Amber Webber) et de nouvelles recrues (Matthew Camirand, Jeremy Schmidt) issues de cette scène décidément très fertile de Vancouver (rappel des faits, The Organ, Brigadoon, New pornographers, Frog Eyes…). Si à l’instar de son prédécesseur le poisseux Black Mountain ne tient qu’en huit titres, son contenu se révèle incroyablement touffu et exige des efforts, voire des souffrances d’écoute.

Cette escalade crépusculaire explore à son bon vouloir les arcanes du rock 70’s un peu siphonnés : Can, Pink Floyd, mais aussi Neil Young, Black Sabbath… voire également les Stones d’Exile on Main Street. Sur ce point, à bien des égards, l’ombre de la poudre blanche et autres substances additives en tous genres pointent le bout de leur nez ravagé (“No Satisfaction”, faux hommage aux Stones et vrai au “Waiting For My Man” du Velvet). Enveloppé d’une production tour à tour étrangement dense ou rêche, Black Mountain est capable d’une noirceur hypnotique pour le moins dérangeante. Lorsque les morceaux tendent à s’étirer au-delà de cinq minutes, le mystère se fait encore plus épais (“Heart of Snow”, “Faulty Times”). Ses ambiances americana bancales n’ont rien à envier à un autre pavé crépusculaire du Loner, Tonight’s the Night (“Set Us Free”).

Si le frère de beuverie Mc Bain semble tituber plus qu’il ne chante, il est régulièrement escorté à bon port par Amber Webber dont l’apport chant n’a rien à envier à la force d’une Polly Jean Harvey. Joli tableau de famille… On ne sait pas vraiment à quoi se drogue ce cher Mc Bean, mais une chose est sûre, son rock souillé frise l’overdose ou l’extase, c’est selon.

-Lire également notre chronique de Pink Mountaintop (2004)