Ëtre le fils de… est bien le cadet des soucis de Baxter Dury. Son second album, Floor Show est à mille lieues du classic rock de son père. Une petite merveille à mi-chemin entre le rock noisy et spatial d’un Jason Pierce et la pop sophistiquée d’un Nick Cave. Welcome to the floor show.


Le fils Dury est un gars charismatique, qui n’a pas sa langue dans sa poche. Voilà certainement, l’un des entretiens les plus infernaux qu’il m’ait été donné à retranscrire . Car en dépit de la gentillesse de Mr Baxter Dury, ce parfait cockney issu de l’Essex londonien postillonne un accent à couper au couteau. Et si l’on ajoute là-dessus la qualité déplorable de l’enregistrement… Mais après plusieurs heures d’acharnement et de rembobinages intensifs (la touche REW n’y a pas survécu) , voici donc le résultat d’un entretien mémorable.

Pinkushion : Ton premier album date de 2002. Tu sembles avoir pris ton temps pour enregistrer Floor Show ?

Baxter Dury : En vérité, j’ai terminé cet album il y a un an et demi, mais pour diverses raisons, l’album n’est pas sorti avant. Il y a eu beaucoup de complications, des complications politiques… notamment avec l’ancien manager. Si tu termines un disque, il faut ensuite anticiper le bon moment pour sortir celui-ci, si tu veux avoir une chance de ne pas être éclipsé par les grosses machines. C’est juste une question de timing. Si tu es un artiste et que tu n’as pas de manager, il faut alors que tu penses à tout parce que personne ne sera là pour te conseiller. Nous avons tout arrêté jusqu’à ce qu’on trouve le bon manager. Le nouveau est un gars génial, il bosse aussi avec Death in Vegas et I am Kloot.

Est-ce que c’est facile pour toi de composer des chansons ?

Hum… Peut-être bien que oui. C’est assez facile d’écrire une chanson, tout dépend de savoir si celle-ci est bonne ou mauvaise. Pour les bonnes chansons, parfois il faut du temps et puis parfois ça vient facilement. Il peut m’arriver parfois d’écrire beaucoup de chansons, tout comme avoir un passage à vide. Parfois cela me prend quatre ans pour une seule chanson, ou seulement 20 secondes. C’est assez dur de l’expliquer.

Est-ce que tu es le genre de personne qui écrit constamment ?

Non, pas vraiment, je le fais quand je le dois. J’ai besoin d’avoir la pression, je suis meilleur pour composer en studio. D’ailleurs, je n’écris pas seul des chansons comme il est d’usage. Je ne suis pas un songwriter traditionnel. Les autres personnes que je connais écrivent constamment. Sans groupe, moi je m’assois et j’attends jusqu’à ce qu’obtenir vraiment quelque chose qui me plaise, ça peut durer des mois. Il y a tout un mythe autour de la manière de composer, provoquer des erreurs pour écrire une bonne chanson… Mais parfois une chanson naît sans aucune raison apparente, c’est tellement simple. Bon ce n’est pas toujours profond, mais parfois ça l’est quand même.

Toutes les chansons du nouvel album sont récentes. La plupart ont été enregistrées durant la même période en studio, mais pour être honnête je ne m’en rappelle plus. Tu comprends, cela fait un an et demi que le disque est terminé, il s’est crée une certaine distance entre lui et moi. Même si j’aime ou non les chansons, cela ne compte plus. Ton intérêt doit se concentrer sur quelque chose de nouveau. Car ensuite si tu passes trop de temps dessus, ce n’est plus qu’une question de style. Si tu veux conserver ton envie, tu ne peux pas rester focalisé sur ce que tu as fait, mais sur de nouvelles choses.

Quand as-tu réalisé que tu étais un songwriter ?

Ca a commencé lorsque j’ai écrit ma première chanson pour la maison de disque. Lorsque j’ai signé chez Rough Trade et que mon premier EP est sorti officiellement, là tu commences à avoir des chroniques dans les magazines, à vendre quelques exemplaires, ce genre de choses. C’est à ce moment-là que tu te considères réellement en tant que songwriter.

Tu as 33 ans, et c’est seulement ton second album. Quel est ton sentiment lorsque tu vois tous ces jeunes en couverture du NME ?

Je me sens très vieux parfois. Mais tu ne peux pas non plus réellement me ranger à côté de ces kids. La musique que je fais est de la pop musique mais s’adresse à des gens de mon âge. Et puis pour faire de la pop musique, il n’est pas nécessaire d’essayer d’être jeune. Cela me satisfait de cette manière. Je n’essaie pas de rentrer en compétition avec quiconque. Tu sais quel âge a le chanteur de Franz Ferdinand Alex Kapranos ? Il a 34 ans… et il est très célèbre.

34 ans seulement ? Je ne pensais pas du tout.

Normal, il cache son âge, en plus il fait très jeune physiquement. Business mon pote…

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Tu es signé sur le même label que les Strokes et les Libertines (Rough Trade). Es-tu satisfait de ton label ?

Oui. Les Libertines sont de bons amis à moi, Pete Doherty et sa bande. J’apprécie le fait d’être aux côtés de gens bons sur le même label. Il y a toujours de super groupes chez Rough Trade, c’est vraiment un excellent label avec beaucoup de bons artistes. La plupart sont plus célèbres que moi…

Est-ce que c’est facile de bosser avec Geoff Travis (boss de Rough Trade) ?

Oh oui. C’est vraiment un type bien, il est assez différent de la plupart des gens. C’est un peu une légende, il est là depuis les années 70, mais Rough Trade a aussi une influence moderne grâce aux Strokes et les Libertines. Il écoute toujours énormément de choses.

Et toi, est-ce que tu écoutes beaucoup de musique ?

J’en écoute beaucoup. Les gens n’achètent plus de musique, maintenant il y a des ipods et des ordinateurs. Ils ne sont plus tentés d’acheter de la musique autant qu’ils le devraient. C’est différent maintenant. Moi, j’aime les disques qui prennent de la place, parce que j’adore les vieilles pochettes.

Tu vas sur Berwick Street alors (ndlr : fameuse rue du quartier de Soho, connue pour ses nombreux disquaires) ?

Plus tant que ça, j’y allais beaucoup avant. Je n’ai plus de platine vinyle… C’est dommage. L’avantage d’Internet, c’est que cela rend la musique très accessible, mais tu ne peux plus voir les pochettes. C’est presque une culture qui est liée à la musique, les pochettes. Maintenant, avec les MP3, c’est une nouvelle culture qui apparaît.

Tout à fait d’accord, il y a presque quelque chose de mythique derrière les vinyles que tu ne retrouves pas avec lnternet.

Oui, c’est presque une cérémonie qui se déroule lorsque tu écoutes un 33t. C’est vraiment dommage…

Est-ce que tu es du genre à prendre un soin méticuleux au tracklisting de l’album et de l’emplacement des chansons sur le disque ?

Oui, bien sûr. J’essaie de voir comment ça fonctionne, comment certaines chansons s’emboîtent les unes après les autres. C’est presque mathématique la manière dont ça doit fonctionner. Si tu ne fais pas coïncider les titres entre eux, cela ne marchera pas. Sur ce Floor Show, ce fut d’ailleurs particulièrement difficile.

Je te dis ça, parce que je trouve qu’il y a une certaine linéarité sur cet album.

Oui, cela m’a beaucoup étonné lorsque je l’ai constaté. Essaie de changer l’ordre des chansons, le disque ne fonctionne plus. J’ai trouvé un moyen qui rende l’écoute plus fluide. Il y a en fait trois passages où le disque ralentit considérablement et il faut savoir équilibrer ces parties pour que ne pas faire décrocher l’auditeur pendant l’écoute. C’est la seule manière d’y arriver.

A l’écoute de Floor Show, l’ensemble est plus rock. Tu disque précédent était plus symphonique, cette fois le son est plus sale, presque lo-fi.

Oui. Ton art pourrait s’apparenter à tà première fois lorsque tu fais l’amour. Souvent la première fois, tu n’aimes pas la manière dont ça s’est passé. Tu as envie que cela soit différent la prochaine fois. C’est la même chose pour mon premier album, tu dois avancer. Mais bon, certaines choses sur Floor Show sont exactement pareilles que sur le premier et d’autres sont différentes.

Les guitares sont tout de même plus…

…prédominantes. Il y a beaucoup de guitares sur ce disque. Et j’ai engagé un sérieux guitariste (Mike Mooney, ex spiritualized) qui joue bien mieux que moi. (Nous sommes un peu déconcentrés par une musique jouée très fort provenant de la cour du bâtiment, Baxter s’arrête quelques instants pour l’écouter).

Est-ce que tu joues des parties de guitare sur le disque ?

Je ne suis pas un musicien très habile. Je peux jouer de n’importe quoi, mais juste pour parvenir à mes fins en terme d’écriture de chansons. Tout ce dont j’ai besoin c’est d’un groupe capable de jouer mes chansons. Mike Mooney joue de toutes les guitares sur l’album. C’est quelqu’un d’assez rock, il jouait avant avec Spiritualized.

Tu sembles avoir différentes personnalités lorsque tu chantes. On ne reconnaît jamais vraiment ta voix.

C’est vrai. Je pense que c’était probablement recherché. J’essaie de créer une sorte de paysage psychédélique. Donc la voix n’a jamais eu pour fonction d’être prédominante. Tu sais, c’est comme un jeu pour moi, j’essaie plusieurs choses. Le prochain album sera probablement davantage orienté « une seule voix » avec des chansons et des histoires très simples. Je ne pense pas l’avoir encore déjà fait, et c’est ce que j’apprécie là-dedans.

Et que penses-tu de ta voix ?

C’est dur pour moi de la considérer en « elle-même », elle n’est qu’une partie de l’ensemble. Parfois je l’aime, parfois je la déteste… Parfois je me dis que j’ai la pire voix de l’Europe tout entière ! Parfois j’aime le fait que ma voix soit différente.

On dirait que tu as utilisé davantage d’effets sur celle-ci cette fois. La comparaison vaut ce qu’elle vaut, mais cette manière de maquiller ta voix me rappelle l’album Achtung Baby de U2.

C’est assez étrange comme comparaison, mais je vois ce que tu veux dire. Il peut arriver que tu écrives une dizaine de chansons tout à fait normales. Et puis tu rentres en studio et elles changent, la sauce prend, tout bascule brusquement. C’est ce que je fais beaucoup, le son des chansons est très conventionnel au départ et cela m’ennuie terriblement. C’est pour ça que j’essaie de salir le son et rendre quelque chose de particulier. Parfois ça marche, parfois non.

Parmi les curiosités du disque, la chanson “Sister, Sister”, louche terriblement sur le fameux “Heroes” de Bowie.

Oui, c’était délibéré. Le résultat est incroyablement similaire. Je vais probablement être poursuivi en justice (sourire, puis silence). Je serai certainement poursuivi si ma chanson devient connue, par contre, si le morceau reste underground, je ne le serai probablement pas. Si on fait une vidéo et que ça marche, tous mes millions iront probablement aux droits d’auteur. Mais à vrai dire, ce ne serait pas grave, si en contre-partie je deviens célèbre. Est-ce que les gens aiment l’album ?

Pardon ?

Oui, je veux dire est-ce qu’il passe à la radio ?

A vrai dire, je ne sais pas, je n’écoute pas beaucoup la radio. Par contre, tu es album du mois dans le magazine Magic ! (NDLR : Je lui tend un exemplaire de la revue qu’il scrute scrupuleusement. Il lit les articles, s’arrête sur des articles consacrés à quelques potes à lui -Richard Hawley-. Il commence également à me questionner sur une très mignonne reporter musique qui lui a visiblement tapé dans l’œil, mais par soucis d’intégrité les amis, nous garderons l’identité de la personne secrète ainsi que les propos off.)

La chanson « Cocaine Man » est-elle inspirée d’une histoire ?

Les anglais adorent les drogues. Nous sommes une île où se procurer de la drogue est facile. Là-bas tout le monde en prend : le facteur, le postier, le conducteur de bus, les nurses… c’est presque académique. Comparé au reste de l’Europe, l’Angleterre est carrément dingue. Cette chanson est un peu un point de vue cynique sur comment les gens sont encouragés à consommer des drogues. Les gens prennent tellement de cocaïne, je pense aussi que Paris est similaire. Est-ce que Paris est similaire ?

Non, c’est moins flagrant ici, du moins je le pense, mais la drogue touche toutes les tranches de la société. Dans certains milieux, consommer de la cocaïne est presque quelque chose de normal.

Yeah ! c’est pareil en Angleterre. Pour moi, des gars comme Pete Doherty me font de la peine, il merde complètement. Ils ont juste une attitude, mais il n’y a pas grand chose derrière. Tu sais ce qui s’est passé ? Il a écrit une nouvelle chanson qui est devenue une sorte d’emblème qui encourage les gens à prendre de la drogue aussi. Mais au départ, le titre était censé être une chanson négative sur la drogue. Finalement, le titre a eu l’effet inverse que celui escompté. C’est toute l’ironie de l’histoire…

NDLR : Là dessus, l’attaché de presse nous fait signe que l’entretien s’arrête. Pris dans la précipitation, je lui demande de signer un exemplaire du disque que j’ai apporté et oublie bêtement de lui demander les rituels « 5 disques de chevet ». Sorti des locaux, je profite enfin pour regarder le petit mot laissé sur la bordure : « I Love The French ».