Cette 17ème édition du festival Couleur Café brillait par son soleil de plomb et son affiche alliant vieilles machines rutilantes et jeunes mécaniques impétueuses.


Aussi bizarre que cela puisse paraître, Bruxelles, capitale du pays qui compte presque plus de festivals que d’habitants, ne possède aucun festival d’envergure, à l’exception de celui de Couleur Café. Quelque part, on ne va pas s’en plaindre, car ce festival reflète bien le caractère cosmopolite de la capitale de l’Europe. Si comme son nom l’indique, il est principalement axé sur les musiques du monde, Couleur Café a depuis quelques années ouvert son affiche à des groupes hip-hop, rock ou électro et tend à devenir le festival de toutes les musiques. L’effet bienfaiteur est immédiat, car tout le monde danse avec son voisin, peu importe ses différences culturelles ou linguistiques. C’est une réussite qui laisse rêveur, un beau message d’espoir dans un pays ravagé par les querelles linguistiques et où l’extrême droite représente plus de 20% des voix dans certaines provinces.

Vendredi 30 juin

La première soirée à Couleur Café commence d’excellente manière. Le soleil est au zénith, les spectateurs ont le sourire et l’ambiance est très bon enfant. Des étales de bouffe exotique côtoient des stands anti-mines ou contre les OGM : le festival est le rendez-vous – dans le désordre – des alter-mondialistes, des bobos et des gens de tous horizons et de tous âges se retrouvant ici, sur le site de Tour & taxis.

Tout commence – il est déjà tard – avec James Brown, qui fait plus l’effet de la visite de Tatayet dans une supérette de province que celle de ze godfather of soul. On est très vite lassés par sa revisite tout feu tout flemme sous forme de medley de son répertoire. On change de crémerie et on met les voiles vers la scène Electro World, histoire de voir comment le festival des musiques du monde appréhende la modernité. Ashanti 3000 et son reggae-dub hypnotisant fait l’effet de la drogue : on est littéralement happés, et on ne peut s’empêcher de bouger, bouger, bouger. Sourire, sourire, sourire. Il y a peu de monde au début (James Brown oblige), mais les gens affluent de plus en plus, et le DJ & MC mettent rapidement tout le monde d’accord. Une belle façon de démarrer ce festival en tout cas.

On fait un petit tour vers la scène où se donne en spectacle le sympathique Cali, dont le succès de foule est ahurissant. Une fois son « C’est quand le bonheur ? » lancé, ça s’excite dans tous les sens. Une trompette vient donner une petite touche épicée au concert.

Enfin, Burning Spear, légende de chez légende, arrive sur la scène principale. Incroyable ! La « Lance Enflammé » porte bien son nom, devant un public qui est venu rendre hommage au survivant de Bob Marley. C’est d’ailleurs sur les conseils de ce dernier que Winston Rodney se présentera en 1969 chez Clement Coxsone Dodd, célèbre producteur de Studio One. C’est surtout pour son album engagé Marcus Garvey en 75 chez Jack Ruby et Social Living chez Blood & Fire que Burning Spear deviendra populaire, en Europe notamment. A partir de la mort du grand Bob, le groupe devient l’incontournable et indéniable figure de proue du reggae.

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C’est dans ces conditions que monte sur scène Winston Rodney, dont le grand âge n’empêche nullement sa voix, reconnaissable parmi mille, de s’éclore, ni ses mains de s’exercer sur des djembés. Entouré par une fine équipe (synthé, guitare, batterie, basse – et quelle basse ! -, trois cuivres), Winston Rodney saura mettre dans sa poche le public, déjà conquis d’avance devant l’importance de l’événement, et qui sera vraiment totalement subjugué par un show excellentissime de A à Z. L’un des musts de l’année à n’en point douter ! Les vieux tubes (« Marcus Gravey », « Social living ») mais aussi les plus récents composeront un show sans faille. On rentre chez soi la tête pleine de basse et de bonne humeur.

Samedi 1 juillet

Alors que l’Angletterre est occupée à signer son arrêt de mort en ne trouvant pas le chemin des filets, le ministre de la culture Brésilien, Gilberto Gil entre en scène. Il ne sait pas encore que son pays va figurer également sur la liste des recalés du Mondial et si on en croit le nombre de spectateurs arborant les couleurs brésiliennes, ils sont nombreux à ne pas s’en douter. En tout cas, était-ce un signe prémonitoire, on ne peut pas dire que Gilberto Gil se plaise à afficher sa nationalité tant son répertoire défend plus les couleurs jamaïcaines que brésiliennes. Par conséquent, les morceaux reggae se suivent et se ressemblent, et si par moment, il entrecoupe son set de passages plus funk, c’est toujours l’ombre de Bob Marley qui plane sur sa musique. Il reprendra d’ailleurs 2 ou 3 tubes de l’illustre figure du genre. Si l’homme est généreux et occupe bien la scène du grand chapiteau, le bien nommé « Titan », on regrette son choix de s’accompagner d’un synthétiseur en lieu et place d’une vraie section de cuivres ! Heureusement pour lui, c’est une constante à Couleur Café, le public ne s’embarrasse pas de considérations aussi techniques et est là pour passer un bon moment.

Alors qu’une partie du public s’agglutine devant le grand écran diffusant le match Brésil-France, Amparanoïa fait démonstration de tout son talent et charme le public avec une musique chaude et festive prenant souvent des accents qui la rapprochent de Calexico. Elle est visiblement heureuse de jouer et le public le lui rend bien. Au même moment, Seun Anikulapo Kuti, cadet de Fela Kuti, hypnotise le public du « Titan » avec son jazz de haut vol fusionnant funk et rythmes africains. On pense inévitablement au grand Sun Ra. Le jeu de scène limite tribal est prodigieux et on est heureux de faire une telle découverte. Passons sous silence la prestation de Think Of One qui semblait plus qu’intéressante, mais malheureusement minée par le son infect du chapiteau « Festia ». Seul défaut notoire du festival.

Ce n’est pas le cas pour l’autre grande légende du reggae, ou plutôt du dub qu’est Lee Scratch Perry, acoutré comme un plouc en vacances au camping. Le timbré arrive sur scène d’ailleurs avec une valisette de steward, et montrera malgré tout que son grand âge n’a pas égratigné son sens du rythme. Plusieurs titres du grand Bob plus tard (il a beaucoup travaillé avec le héros du tiers monde à ses débuts), et pas mal aussi de son propre répertoire (qui inclut des productions pour Junior Marvin ou The Upsetters), on sort de son impeccable show totalement abasourdi. Wouah ! Deux légendes du reggae en deux jours ! Une chose est sûre, grâce à eux, le mois de juillet sera Jamaïcain!

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La France est qualifiée et après le traditionnel feu d’artifice associé au deuxième jour du festival, Sergent Garcia clôture avec sa musique brassant tous les styles incarnant au mieux l’esprit «Caféiné» de l’évènement. Son jeu de scène hérité du hip-hop met le feu au grand chapiteau. Au passage, un petit « Houlala j’ai mal » se perdra dans le texte histoire de ravir les nostalgiques qui se souviennent que Sergent Garcia a fait ses débuts dans les cultissimes Ludwig Von 88. Une heure et demie de scène sans temps mort plus tard, c’est sous les huées que le présentateur du festival annonce que la fête est terminée pour aujourd’hui.

Dimanche 2 Juillet

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Pour sa dernière journée, Couleur Café se voit récompenser d’un sold-out bien mérité – et à voir le nombre de gens cherchant encore des places dehors il y avait du potentiel. Profitons de cette occasion, pour lancer des fleurs aux organisateurs. Contrairement à de nombreux festivals où la mention « complet » rime souvent avec « invivable », le site de Couleur Café est toujours resté fréquentable. Certes, on mettait plus de temps à fouler les travées séparant les scènes, mais jamais on pouvait deviner que le festival affichait complet. La seule victime de ce succès fut le grand chapiteau qui débordait de toute part. Heureusement, les organisateurs avaient là aussi prévu le coup et les retardataires pouvaient suivre la prestation sur un grand écran extérieur.

Dans ce grand chapiteau, c’est Louise Attaque qui ouvre le bal. Si on en croit les chiffres de l’applaudimètre, il ne fait aucun doute que les Français sont la principale raison de ce complet. Ils l’ont d’ailleurs bien compris et qu’on aime ou pas, il faut reconnaître qu’ils ont balancé une de ses prestations énergiques et nerveuses comme on aime bien chez Pinkushion.

Au même moment, Saïan Supa Crew chauffe « Univers », le deuxième chapiteau, alors qu’on leur demandait de le rafraîchir. Peu après, ce sont les Belges de Vive La Fête qui montent sur scène pour jouer leur életroclash sexy et désinvolte qui pompe allégrement les lignes de basses et de guitares des débuts de The Cure. A un tel niveau, on se demande comment ils ne se sont pas encore pris un procès. Pendant ce temps-là, l’autre vedette de la soirée, Tracy Shapman, nous parle de la « Revolution ». Souvenir, souvenir…

Pour clôturer cette édition, les organisateurs ont fait appel au big band poids lourd de George Clinton (Parliament & Funkadelic). Accompagné de sa famille nombreuse (les P-Funk All Stars), le roi du funk (« Atomic dog » repris par Snoop Dogg c’est de lui) transforme le chapiteau en gigantesque dancing. Sur scène, c’est un show haut en couleur, limite carnavalesque où saxophoniste obèse, guitariste en lange et figures semblant issues du meilleur de la « blacksploitation » côtoient des choristes qui vous transformeraient en loup chez Tex Avery. Bref, on a en plein les mirettes et au milieu de tout ça, Papa Clinton fait presque office de faire-valoir.