Troisième album pour les discrets The Walkmen qui reprennent le flambeau, toujours incandescent, du rock new yorkais.


Difficile de contourner l’aura médiatique qui entoure le dandy qu’est Julian Casablancas, chanteur de The Strokes qui règne sur la scène new yorkaise, et monopolise accessoirement une certaine actualité rock . Mais pour un The Strokes, combien de formations plus confidentielles qui cotoient sans broncher l’énergumène au micro saturé, et sans récolter la moindre reconnaissance, si ce n’est celle des plus curieux ? A étudier de près le parcours de The Walkmen, originaires eux aussi de la grosse pomme, on se dit que ce petit jeu médiatique est bien injuste, une fois considérées l’énergie et l’inspiration sans cesse renouvelées qui caractérisent ces derniers depuis Everyone Who Pretended To Like Me Is Gone – un titre qu’on ne leur souhaite pas prémonitoire.

Ces cinq sbires disposent pourtant d’une boîte à outils rock bien plus fournie que qui-vous-savez : un son travaillé avec une batterie omniprésente, un chant éraillé assez reconnaissable et même un tube en puissance, “The Rat”, brûlot extrait du précédent opus Bows And Arrows. Nerveux et indispensable, ce single de 2004 imposait un son rugueux soutenu par une batterie atteinte de tachycardie. A la première écoute, A Hundred Miles Off risque de décevoir quelque peu les amateurs du genre, car, à entendre “Louisiana” qui ouvre l‘album, The Walkmen semblent avoir mis de l’eau dans leur vin. “Louisiana” – composée avant l’ouragan Katrina nous précise la bio, sans doute pour excuser la tonalité décontractée et lumineuse qui en émane – est en effet une ballade réchauffée par quelques cuivres. Une éclaircie de bien courte durée, car dès le deuxième titre, The Walkmen retrouvent un son plus abrasif, évoquant le dernier album de Built To Spill, pour ce rendu lo-fi et ce chant assez aigu, quoique parfois poussif. A ce propos, les braillements de Hamilton Leithauser clonent par moments le chant tout en ondulations et autres (d)éraillements de Dylan. La ressemblance vocale, déjà décelable dans les précédents albums, explose sur des titres comme “Emma Get Me A Lemon” ou “Lost in Boston”.

Une fois mis de côté cette particularité, l’album défile, alternant les morceaux nerveux et les plages plus pesantes, plombées par quelques nappes de saturation ou une voix aléatoire – et le plus souvent, les deux. Les titres les plus lents sont, étrangement, les plus réussis, car il y règne une profondeur et une tension qui demandent plusieurs écoutes attentives. “All Hands In The Cook” indique ainsi le chemin emprunté plus tôt par Arcade Fire, avec une guitare toute en lacérations brumeuses, alors que “Good For You’s Good For Me” évoque le son des années 80 finissantes, lorsque les guitaristes se sont mis à fixer leurs chaussures. Sur “Don’t Get Me Down”, les sonorités tremblantes et aigues de la guitare répondent à la voix haut-perchée du chanteur, avec un refrain qui évoque même, ironie du sort, The Strokes. Qu’on se rassure, le groupe conserve son identité – et tente de renouveler l’exploit de “The Rats” avec “Tenley Town”, trois minutes qui font revivre une certaine urgence punk. Idem pour “Always After You”, qui s’avère rapidement assez pénible, du fait de cette voix confuse.

Parfois, le parti pris de la saturation allié au son volontairement brut de décoffrage pénalise un peu la qualité audio des morceaux. Le son de “This Job Is Killing Me” semble par exemple voilé d’une épaisseur de coton, tant batterie et guitare se donnent le mot pour produire un ensemble surchargé de parasites. Heureusement pour nos oreilles, Hamilton laisse de côté cet attirail bruyant pour adopter, en fin de piste, une attitude plus nonchalente digne d’un Lou Reed (“Brandy Alexander”) ou d’un Bob Dylan sur “Another One Goes By”, ballade qui révèle toutes les potentialités mélodiques de ce groupe.

A Hundred Miles Off n’est pas encore l’album de la consécration, souffrant, comme ses précédents, d’une relative inégalité. Il est un chapitre de plus à l’histoire quelconque d’un groupe de rock qui pourrait bien, avec quelques trouvailles de plus, prendre une toute autre envergure.

– La page Myspace de The Walkmen.