L’un récite, l’autre joue. Entre les mots de l’un, le romancier américain Robert Creeley, et les notes de l’autre, le contrebassiste Steve Swallow, un monde commun prend forme, existe. De la poésie au jazz, le sentier emprunté réserve son lot de résonances ineffables, de beautés complices, d’associations poétiques, de libres pensées. Cette histoire-là a commencé à la fin des années 50, lorsque Steve Swallow dévorait les poèmes du jeune Robert Creeley, figure émancipée de la littérature traditionnelle américaine, amateur éclairé de jazz, notamment celui de Bud Powell qui lui inspira nombre de ses poèmes. Quelques années plus tard, en 1979, Swallow prolongeait l’oeuvre de l’écrivain sur disque avec Home, en compagnie de Lyle Mays, Dave Liebman, Sheila Jordan et Steve Kuhn. Cette première tentative attisa la rencontre des deux protagonistes, qui se lièrent alors d’amitié. Presque trente ans après, So There est la nouvelle concrétisation au sommet d’une collaboration musicale intense et bouleversante, entre deux artistes qui donnent bien souvent le sentiment de ne faire qu’Un. D’autant plus émouvante que Robert Creeley est décédé prématurément en mars 2005, avant que ce projet ne soit achevé. So There s’est donc transformé par la force des choses en un vibrant hommage, une tendre élégie. A partir de bribes de poèmes déclamés par l’auteur lui-même, avec une voix magnifiquement rauque qui semble faire remonter les mots de profondeurs insondables et un phrasé unique, pulsé, syncopé, dans lequel la décomposition des syllabes produit un effet musical idoine, le contrebassiste a composé une suite de courtes pièces introspectives pour piano et quatuor à cordes (le Cikada String Quartet de la Oslo Art Academy). De nouveau sollicité, le pianiste Steve Kuhn se révèle un tiers d’exception : attentionné, subtil, il est un observateur concerné, conscient de ce qui se joue ici. Libre d’interprêter les non-dits, de sculpter les silences, il contribue à rendre ce dialogue par-delà la mort encore plus poignant. Un chef-d’oeuvre.

– Le site de ECM.