A l’ombre de la hype, ignoré par un succès pourtant bien mérité, Immune, groupe français bien trop discret, continue son travail de défrichage sonore. La pop de très grande qualité n’a pas encore révélé tous ses secets.


Bien loin des flonflons médiatiques, à des années lumière des feux de la rampe, à des galaxies de « Taratata », il existe foison de groupes artisans. Dans la langue de votre serviteur, bien plus qu’un compliment, il s’agit d’une révérence, notamment quand les dits groupes sont en fait maîtres-artisans en matière de pop atmosphérique, soyeuse, laiteuse et mélancolique. Parmi ces quelques élus s’active un combo lyonnais qui, selon toute logique, devrait faire son trou dans les tympans des programmateurs finauds et au bout de la plume de critiques bien en vue qui font encore correctement leur boulot. Ce groupe s’appelle Immune.

Immune offre aux curieux qui poussent leur souris jusque sur leur très beau site une musique électro-pop (c’est eux qui l’écrivent) d’une classe absolue. Tantôt purement instrumentales, tantôt soyeusement interprétées, les chansons d’Immune sont autant de rêves érotiques ou névrotiques que l’on s’empresse de refaire tellement le sentiment délicatement gênant qui se répand en nous se révèle addictif. Ne vous attendez pas à vous faire bousculer sauvagement par Immune, mais plutôt préparez-vous à vous faire envoûter, embrasser en traître.

L’ambiance qui se dégage de leur univers (graphique autant que musical) est authentiquement chabrolienne, soit un port désert, sur la Manche, en novembre, à 8h00 du matin, dans la brume, où l’on s’attend presque à voir surgir une femme d’une beauté irréelle dans une robe fourreau grenat, le Rimmel dégoulinant d’avoir trop pleuré et la main blanche d’avoir trop crispé ses doigts sur la lame d’un couteau, arme d’un crime improbable.
Autre ambiance, autre lieu. Peut-être sans le savoir, peut-être de façon sournoise, Immune compose la musique idéale qui accompagnerait un roman d’Haruki Murakami, ce roi de la littérature japonaise introspective. En effet, comment mieux se concentrer sur une écriture aussi flamboyante, délicate, suave et intelligente qu’en écoutant les guitares à peine carressées d’Immune ? Un des romans du maître, La Ballade De L’Impossible, ne porte-t-il pas un hypothétique titre de chanson d’Immune ? Et que dire des Chroniques De L’Oiseau A Ressort ?

Vous l’aurez compris, Immune ne fait pas rire, mais Immune vous invite à vous replier un peu en vous, en votre inconscient pour réaliser à quel point les étapes importantes de votre vie vous ont parfois échappé. En écoutant leur musique, vous savez que vous n’êtes plus le seul être au monde à vivre par procuration et à ressentir un besoin impérieux d’accéder au plus vite à de grandes périodes d’introspection.

La preuve ? Leur premier véritable album, Sound Inside, discrètement vendu en 2006. Commençons d’emblée par le titre probablement le plus fort de cet album, « Trough Tides ». Légers arpèges de guitares, boucles de cymbales (probablement inversées), basse économe, et voix à peine posée, ce morceau s’ouvre dans une ambiance plutôt mélancolique, et l’on s’attend à se laisser mener par le bout du nez dans une ballade sombre et triste. Mais ce sentiment agréablement doux-amer est brutalement stoppé par une sirène sourde et lancinante qui rappellerait le cri d’une baleine en proie à son dernier combat. Et cette sirène revient, sans cesse, nous vriller le tympan, nous glacer d’effroi. Certes, ce n’est peut-être pas le meilleur moyen d’aborder la musique de ce quasi tout nouveau groupe, mais en tout cas c’est le plus frontal.

Quiconque souhaiterait se frotter à nouveau à une musique abyssale, électro-acoustique, sorte de croisement entre l’ambient le plus sombre (et le plus intelligent) et une folk irrémédiablement triste se doit d’écouter ce formidable Sound Inside. Ce bijou se situe dans la lignée de ce que pouvait nous offrir Alpha à leurs débuts, petits enfants du Protection de Massive Attack (les cordes un peu écoeurantes de Craig Armstrong en moins) ou même un brin de ce fou d’Aphex Twin, les zébrures en moins, l’humanité en plus. Plus loin dans le disque, le très inquiétant « Wandering Clouds » aurait sans problème pu être produit par Radiohead période Kid A, tellement le choc des genres y est d’exceptionnelle facture. Mais avec Sound Inside, Immune signe un disque à la personnalité forte, imprégné sans doute possible d’un savoir-faire total qui n’a dégale qu’une sensibilté à fleur de peau qui doit caractériser chacun de ses membres.

Il n’est pas question ici, vous l’aurez compris, d’un disque facile. La musique d’Immune ne se laisse approcher qu’après moultes tractations et négociations, en jurant notamment de revenir à une écoute bien moins directe et spontanée que l’impose l’ensemble de la production musicale actuelle. Toutes proportions gardées, Immune est à la pop ce que Ligeti est à la musique classique, le côté obscur, la face nord, la plus inaccessible, mais à l’arrivée, la plus belle. Les lignes mélodiques y sont suggérées, les répétitions de phrases tristes imprègnent l’auditeur d’une moiteur étrangement maternelle. Sensation sûrement due au choix d’instrumentations essentiellement organiques, appuyées par des boucles électro savamment dosées, notamment le piano, omniprésent mais pas envahissant – ce paradoxe à lui seul suffit à souligner l’extrême finesse de cette musique. Même si la basse aurait mérité d’être un peu plus en avant, la production de ce disque semble avoir pour mot d’ordre l’épure. Et de nos jours, l’équation « musique = épure » relève de la gageure, et rien que pour ce choix courageux il convient de féliciter Immune.

Enfin, il y a cette voix, celle de Gary Soubrier, incroyablement douce, ronde, chaude et friable. Les amateurs d’Elbow savent de quoi il en retourne. Cette voix est le pendant rassurant de cette musique transcutanée, cette musique qui ne se contente pas de se laisser écouter mais qui envahit l’auditeur et le pénètre par tous ses pores, lui mettant tous les sens en éveil.
Immune est actuellement en cours d’enregistrement, inutile de préciser que l’attente devient pénible.

– Le site d’Immune.

– Leur page Myspace.

– Le blog de Jean-Sébastien Nouveau, membre émérite d’Immune.

– Enfin, le toujours indécrottable JS Nouveau s’est associé à Jérôme Dittmar pour une expérience audio-visuelle Recorded Home.