Bill Callahan a choisi de sortir ce treizième album sous son propre nom. Le flegme et la sincérité, eux, sont intacts.


Woke On A Whaleheart devait être un nouveau départ, une parenthèse en solo qui parachevait le parcours discographique déjà très fourni de Bill Callahan sous la bannière Smog. C’était la version officielle, relayée en février dernier par le site internet de Drag City. Woke On A Whaleheart est finalement sorti en toute discrétion et la nouvelle est tombée sur le site mentionné plus haut : c’en est fini de Smog, après presque vingt ans d’activisme lo-fi – depuis ses débuts en 1988. Woke On A Whaleheart est donc, plus qu’un nouveau départ, le commencement d’un artiste qui se réapproprie son identité, un peu comme Mister Palace a décidé un jour – et un temps seulement ! – qu’on le nomme Will Oldham.

Drag City annonçait quelque chose de radicalement nouveau pour feu-Smog, relayant sans doute dans l’imaginaire collectif le mythe du Phoenix. Comme si Bill Callahan pouvait faire table rase de son passé et révéler une nature nouvelle, magnifiée par cette discographie précédente, improbable repoussoir. L’opération de communication, si elle paraissait infiniment séduisante, ne nous aura pas trompés longtemps. Woke On A Whaleheart est le fils naturel – à défaut d’être légitime – de Smog. Mieux : il en est l’aboutissement, la synthèse et le dépassement, comme l’a cristallisé Hegel dans sa célèbre dialectique. On retrouve cette part d’animalité irrépressible, tempérée par l’allégeance qu’il prête à la six-cordes, seule à même d’égrener ses états d’esprit comme autant d’arpèges affectifs et aléatoires. Avec un atout de choix : la production, confiée cette fois-ci à Neil Michael Hagerty, Monsieur Royal Trux et Howling Hex en personne. L’homme, plutôt adepte d’un joyeux bordel quand il agit à son compte, a fait preuve ici d’un travail remarquable et révèle une production particulièrement léchée, qui met en valeur les talents de compositeur de Bill Callahan, qui ne sont plus à prouver.

Avec “From the Rivers to the Oceans” , la transition se fait en douceur. Bill Callahan fait peau neuve certes, mais il lui arrive encore de porter le costume si seillant qui a fait sa réputation de songwriter hors-norme. Piano et violons bercent cette ballade chaloupée où Bill Callahan est, plus que jamais, en terrain conquis. Fort de cet apaisement qui tient autant de la sagesse que de la sérénité, il vante désormais les bienfaits d’un accès à la connaissance qui fait l’économie des mots («our faith in wordless knowledge»), mais n’en reste pas moins un chanteur bavard, qui noircit le livret de l’album de paroles généreuses. “Footprints” accélère le tempo alors que la batterie martèle un rythme binaire, que les crissements d’un violon reprennent en choeur. Par moments, une voix féminine aux accents cuivrés appuie le refrain. Cette touche gospel parcourt tout l’album avec plus ou moins d’insistance, fruit de la participation des chœurs de l’Olivet Baptist Church.

“Diamond Dancer”, premier single et grande réussite de cet album, reprend la trame rythmique du titre précédent, bien que ralentie et adoucie par une basse toute en rondeur. En arrière plan, des arpèges rapidement effleurés ajoutent une note seventies à cet énième héritier de Leonard Cohen. Le texte, quant à lui, est peut-être une ode au… disco (!) qui décrit les mouvements névrotiques d’un corps féminin transfiguré en diamant dansant. Puis Bill Callahan, décidément très glam, pompe le souffle du “Satellite of Love” de Lou Reed sur son “Sycamore”. Cet escapade seventies est de courte durée, car dès le cinquième titre, il revient à un folk plus traditionnel, à quelques fioritures près. Seul “Day” parviendra à rallumer cette flamme rétro, via un quadrillage mélodique entêtant au piano.

Sur “The Wheel”, il utilise un procédé déjà employé par Nick Cave avant lui : le texte parlé, déclamé de sa belle voix grave, précède de quelques secondes son équivalent chanté, sur le couplet. “Honeymoon Child” est sans doute la chanson la plus mélancolique, bâtie sur des arpèges mineurs. “Night” prend plutôt le parti de l’épure, avec une ballade piano-voix, qu’un xylophone et des violons viendront bientôt étoffer. Puis l’album se referme avec malice sur “A Man Needs A Woman Or A Man To Be A Man” aux accents country.

Si l’annonce de la fin de Smog provoque un pincement au coeur, Woke On A Whaleheart agit comme une consolation immédiate, et se charge de nous rassurer définitivement sur l’avenir discographique de Bill Callahan.

– Le site de Drag City.