A l’occasion du festival Chief Inspector, rencontre avec Olivier Pellerin, son co-fondateur, qui revient sur les origines du label et son mode de fonctionnement depuis quatre ans, avant de nous confier sa façon de concevoir un disque et ses projets.


Pinkushion : les 6, 7, 8 et 9 juin prochains à la Dynamo de Banlieues Bleues et au Studio de l’Ermitage, Chief Inspector va fêter ses quatre ans d’existence. Globalement, quel bilan tires-tu de toutes ces années ?

Olivier Pellerin : quatre longues années, très longues serai-je tenté de dire. Parce que l’aventure d’un label indé géré à deux et qui compte aujourd’hui 21 références, ça fait énormément de boulot. Beaucoup de joies, d’espoirs, de déceptions, de conflits, d’avancées, etc. Une vraie vie de famille puissance dix ! Mais avec un peu de recul, 4 ans ce n’est pas si long, j’espère qu’on va pouvoir continuer longtemps.

Comment est né le label ?

Le début s’est fait à la fin des années 90 au Studio des Islettes et aux Falaises dans le 18ème arrondissement de Paris, où Nicolas Netter a côtoyé et animé ce qui est devenu le collectif de départ du label. J’ai rencontré ces musiciens par d’autres biais et c’est donc naturellement que j’ai rejoint Nico, lorsqu’il a créé le label.

Aujourd’hui, combien de personnes se « mobilisent » en coulisse au sein de Chief Inspector ?

Deux ! Nico et moi. On essaie d’être le plus pro possible, ce que nos autres activités dans la musique nous permettent, même si sur Chief Inspector, on a fait du bénévolat jusqu’à présent !

Y a-t-il un label qui a suscité au départ votre envie collective, une référence en la matière qui vous a inspirés ?

Non, pas pour moi en tout cas. Bien évidemment, on a baigné dans les Blue Note et les Impulse auparavant, puis, plus tard, et certainement dans une moindre mesure, dans les Delmark, Hat Hut, Winter & Winter, etc. (pour ne parler que du jazz !). Mais Chief est né d’une ébullition artistique. Il y a eu quelque chose de très spontané. On ne l’a pas planifié et on ne s’est donc jamais dit « ça ressemblera à tel ou tel label ».

Rideau Poilade (photo Edouard Caupeil/Luce)

De loin, on a le sentiment d’une grande diversité d’actions, le label pouvant encadrer un artiste de A à Z ou intervenir seulement à une étape du processus, que ce soit au moment de la production ou de la promotion d’un disque.

Nous sommes avant tout un label, c’est-à-dire que nous produisons des disques. Selon nos possibilités financières et celles des musiciens, nous produisons entièrement les albums, nous les prenons en licence (les musiciens produisent les bandes qui restent leur propriété) ou nous les hébergeons (les musiciens produisent jusqu’au disque même, nous n’apportons que notre savoir faire graphique, marketing, promotionnel et la distribution à laquelle nous sommes liés, Abeille Musique). Mais nous avons aussi la licence d’entrepreneurs de spectacles. Car, par défaut, pour de nombreux groupes, nous organisons nous-mêmes les concerts. C’est un état de fait, de même qu’aucun label ne voulait sortir les disques pour lesquels nous avons monté Chief, peu de salles ou de tourneurs veulent produire nos groupes en concert. Alors nous nous retroussons les manches.

Est-ce vous qui choisissez en amont de participer de telle ou telle manière en fonction d’un projet donné ou réagissez-vous a posteriori, une fois les choses déjà établies ?

On réagit au goût et aussi dans un esprit de continuité. On sort ce qui nous plait, et on essaie par la suite de suivre les groupes. Au départ, nous ne nous sommes élargis que par cercles concentriques, au moins un musicien apparenté au collectif étant toujours présent sur un nouvel enregistrement. Aujourd’hui l’ouverture est plus large.

Quelles sont les formations que vous avez totalement initiées ?

Limousine, on a été au départ de la renaissance de ce projet qui avait déjà germé dans la tête de Laurent Bardainne. Le Collectif Slang, en quelque sorte, puisque Nico les a suivis dès leurs débuts, vers 1998, même si le groupe a donc existé avant la formation du label, et que leur second album sorti fin 2006 était la première production intégrale de Chief Inspector. Aujourd’hui, Camisetas, totalement initié par Nico grâce à l’aide du Chamber Music America.

Une large part est accordée aux premières oeuvres. Est-ce pour vous prioritaire d’être des défricheurs ?

Comme je l’ai dit plus haut, il s’agit plutôt de quelque chose de spontané, au contact de musiciens avec lesquels nous avons grandi. Après, que cela nous ait présentés comme un label aux coudées franches et que des jeunes groupes y aient vu l’opportunité de se faire découvrir, c’est possible… Mais, malheureusement, nous n’avons pas assez de moyens pour sortir tout ce qu’on aimerait. Vu d’un autre côté, c’est peut-être une bonne chose, qui contribue à rendre notre esthétique lisible malgré sa diversité.

Sur combien de signatures misez-vous par année ?

Je préfère parler de sorties plutôt que des signatures. Parce qu’on ne se voit pas comme des directeurs artistiques en chasse, mais comme des interlocuteurs privilégiés de nombreux musiciens. L’idéal serait 4 par an, 5 au maximum. Pour se donner le temps de bien les travailler et aussi de s’occuper de tout ce que suppose un label : administration, communication, etc. Plus les productions spéciales que nous réalisons de temps en temps, comme la co-production de l’hommage à Albert Ayler par Laurent Bardainne cette année à Banlieues Bleues.

Quel est le principal critère qu’un groupe doit présenter pour sortir chez Chief Inspector ?

Nous plaire ! Vraiment !

La famille Chief Inspector (photo Javotte Boutillier/Luce)

La plupart des musiciens que vous signez ont un pied dans le monde du jazz. Ce lien avec le jazz est-il fondamental ?

Je suis content que la question soit posée de la sorte, en général c’est l’inverse, on nous dit que les musiciens sur le label ont un pied dans d’autres styles. Ca prouve qu’on parvient à élargir notre terrain de jeu. Car si le jazz est le creuset dans lequel tous les musiciens du collectif de départ ont fondu leurs influences, nos goûts variés nous mènent vers d’autres genres. Or, nous avons du mal aujourd’hui à sortir du milieu jazz stricto sensu et à se faire entendre par d’autres publics. Pour répondre à la question, le lien avec le jazz est celui avec l’improvisation, l’échange, la liberté. Ca oui, c’est fondamental.

Tous les disques sortis échappent au final à une catégorisation facile à établir. Comment cette volonté de diversité coïncide-t-elle avec une direction artistique précise ? Tous les albums trans-genres, inclassables, ne sont pas susceptibles de vous plaire…

Nos goûts sont ouverts. Je suis un grand fan de hip-hop, Nico écoute beaucoup de rock indé, etc. La direction artistique est peut-être la combinaison de nos deux esthétiques. Avec forcément un désir de croisements, d’éclectisme qui ne serait pas juste un collage… Une démarche qui a quelque chose de plus anglo-saxon que de français, je pense.

Dans le livret du dernier album de Collectif Slang, on peut lire ces lignes : « à la limite que ça ne ressemble pas à un CD ou alors que ce ne soit que ça ». Cette phrase résume bien le crédo artistique de Chief Inspector : à la fois l’impératif de produire des disques autrement (se distinguer dans la manière de faire) et la volonté de donner à entendre une oeuvre finie, avec un début et une fin, à une époque où la musique morcelée a pris le pas sur la notion d’album comme Tout cohérent.

Au départ, c’est une phrase que Max Delpierre nous avait écrite par email, au moment où on demandait aux musiciens ce qu’ils souhaiteraient pour le graphisme d’« Addict ». C’est tellement énorme comme phrase, impossible d’en tirer des indications pour un graphisme ! C’est marrant que tu puisses finalement y trouver notre résumé.

Il me semble qu’un des points communs à tous les disques est la dimension narrative de la musique. Vos disques racontent quelque chose, posent une ambiance, proposent une aventure musicale.

Oui, nous sommes très attachés à la production des disques, au son, au graphisme, à l’univers et aux ambiances qu’ils suggèrent. Mais nous n’avons pas de recette pour ça. Nous suivons nos goûts, nos intuitions, les collaborations qui nous plaisent et qu’on reproduit (comme avec l’ingénieur son Sylvain Thévenard). En résumé de mes réponses précédentes, les disques sont certainement une combinaison de ce que nous sommes, Nico et moi, et de ce que nous attendons de la musique, de ce que nous avons besoin d’aller y chercher.

Le graphisme des pochettes d’album renvoie à la BD ou au cinéma et sollicite l’imaginaire de l’auditeur. La musique est perçue immédiatement comme un moyen d’évasion, et pas seulement du carcan des genres.

Pour le graphisme, on travaille énormément avec le collectif de photographes LUCE. On puise dans leurs archives pour trouver des photos qui correspondent à l’univers musical des groupes. Encore une fois, il s’agit plus de ressenti que de concepts explicables par des mots. On travaille aussi quelquefois avec d’autres graphistes quand on en ressent le besoin ou quand des groupes ont des idées précises.

Airelle Besson et Sylvain Rifflet de Rockingchair (photo Antonin Chaix)

Du point de vue du contenu des disques, votre identité sonore est aussi très forte, avec à chaque fois, malgré des formations très différentes, un son caractéristique, très direct, sans affèteries mais en même temps réfléchi et spatialisé. Les albums témoignent d’un réel souci de restituer un son de studio de qualité.

Bien sûr. Je pense que c’est une dimension du disque qu’on ne peut perdre. C’est pour cette raison que nous travaillons aussi dans la durée avec Sylvain Thévenard. L’attention portée au son est primordiale. C’est la différence que l’on doit à tout prix apporter à un disque pour qu’il garde de son intérêt par rapport au mp3 ou autres formats digitaux. Le soin avec lequel on traite le son est aussi important que celui qu’on accorde au graphisme.

Donner-vous des indications à ce niveau aux musiciens, avez-vous des exigences ?

Non, on ne donne pas vraiment d’indications. Et les seules exigences que nous avons sont partagées avec les musiciens. Celles d’un beau son, conçu en tant que matière. C’est pour ça que nous essayons d’imposer les ingénieurs du son avec lesquels nous travaillons sur les concerts, en tant que membres à part entière des groupes. Si l’équilibre en concert n’est pas respecté, il y a une grosse perte. Ce n’est pas juste de la technique, c’est de la sensibilité.

Quels sont les projets futurs ?

Sortent juste avant le festival Camisetas et Rockingchair. A la rentrée Centenaire et un album Live de Limousine enregistré en mai 2006 au Studio de l’Ermitage. Puis en 2008, un second album studio pour Limousine et pour MOP, le trio d’Yves Robert, la suite de L’Argent, la nouvelle représentation de l’hommage à Albert Ayler à La Villette…

Qu’est-ce qui selon toi doit être amélioré lors des prochaines années ?

Les finances ! La partie concerts : si on pouvait trouver des tourneurs qui veuillent bien s’occuper de nos groupes, qui ravissent tellement de spectateurs quand on les réunit. Internet (notre site va bientôt faire peau neuve, depuis le temps que c’est la priorité absolue !). La vente en ligne. Le marché du disque et les magasins : qu’on enterre définitivement le disque (… naannn !!!) ou qu’on continue de le vendre, mais bien !

A lire :

Chief Inspector à la loupe
– La chronique de Rockingchair
– La chronique de Camisetas