A l’instar des ainés Ash ou Nada Surf, en passant par les révérends du genre Guided By Voices et Weezer, Rhesus, trio originaire de Grenoble, sait pondre avec une facilité déconcertante des petits hymnes de rock désarçonnants et un peu bancals. Après un premier album remarqué mais un peu trop studieux (Sad Disco en 2005), The Fortune Teller Said révèle enfin leur talent de composition au grand jour. Aurélien (guitariste, chanteur), Simon (batteur) et Laura (bassiste, chanteuse) ont affiné le trait pour une écriture plus brute, concise, avec des mélodies en pagaille qui font mouche pratiquement à chaque fois. La cure de vitamines pop de la rentrée.


Quelque part dans le XVIIIe arrondissement parisien, un jouer pluvieux de la mi-juillet. Une journée de promotion intense attend les Rhesus dans les locaux de Pias, où depuis la matinée journalistes et photographes se succèdent. Le trio est accueillant, pas encore blasé par ce cirque infernal malgré l’après-midi bien entamée. A la réécoute de l’entretien sur notre magnétophone, quelque chose de touchant nous frappe : le schéma de réponse du trio se répète inconsciemment à chaque question. Aurélien, la tête pensante, répond le premier, puis Simon prend le relais et développe, pendant que Laura, la discrète, laisse la parole aux deux garçons et acquiesce de la tête. Rhesus, unis comme un bloc, à la vie, à la mort.

Pinkushion : Le disque est fin prêt mais ne sortira que dans deux mois (l’entretien a lieu au mois de juillet). Quel est votre sentiment à chaud sur ce second album ?

Aurelien : En fait, comme on joue la plupart des morceaux de l’album depuis déjà près d’un an, je n’ai pas vraiment de relation de rejet par rapport à la manière dont ils ont été couchés sur bande. J’en suis même très fier. On a enregistré de façon « live », tous les trois dans la même pièce, comme un bloc. Il n’y pas eu de gros travail de retouches sur ordinateur comme cela avait été le cas sur l’album précédent.

Simon : J’aime bien le petit côté imparfait qu’il a, des petits trucs bizarres, des accidents…

On vous a découvert lors du concours CQFD 2004, puis il y a eu le premier album et dans la foulée près de 120 concerts. Comment jugez-vous ce parcours avec le recul ?

Simon : ça a été très progressif, j’ai envie de dire, pas à pas. Il n’y a pas un jour où tout s’est accéléré.

Aurélien : Disons qu’on est parti d’un niveau de notoriété qui était quasi-inexistant. Quatre années ce sont écoulées avant qu’on participe au concours CQFD. Sur le moment, tu ne te dis pas vraiment qu’il y a un parcours mieux qu’un autre, on a juste foncé dans le tas en faisant tous les concerts possibles, on a pris toutes les expériences qui se présentaient à nous, bonnes ou mauvaises. Ça n’a pas été facile, avec une signature qui nous pend comme par miracle, ou en bénéficiant d’un spot de pub, on a plutôt fonctionné à l’huile de coude.

Il y a tout de même eu cette publicité pour Nivea

Laura : oui, mais elle n’a pas produit un effet de « gros coup » sur nous.

Aurélien : Si tu veux, cette pub a été une excuse pour pouvoir convaincre notre label de sortir l’album à l’étranger puisque le spot a été diffusé dans d’autres pays. C’est quelque chose qui n’aurait absolument pas été possible sans cet apport, genre jamais on n’aurait tourné en Allemagne… Mais ça n’a eu aucune retombée sur les ventes. Zéro.

Je n’ai d’ailleurs pas le souvenir de la musique dans cette publicité.

Aurélien : La chanson était un peu noyée. En plus, il y a quelqu’un qui parle par-dessus.

Simon : ce fut une activité un peu « extra-scolaire ». Par exemple, on a aussi collaboré pour des défilés de mode. Ce sont des petits trucs qui changent un peu de la routine studio/tournée, mais ce n’est vraiment pas essentiel, tu vois.

On sent sur ce second album un petit côté impatient, une volonté de rentrer dans le lard, direct. Et ça vous va très bien.

Aurélien : Je pense que c’est dû au fait qu’avant de rentrer en studio on voulait réaliser un album plus représentatif de ce que l’on peut donner en concert. Et en concert, c’est vachement plus incisif, plus lié à l’énergie. On voulait donc garder ce côté-là tout en léchant les mélodies. Du coup, c’est vrai que c’est plus rentre-dedans parce qu’il y a moins d’arrangement, on entend bien plus la batterie, la basse.

Laura : Ça part de la scène.

Aurélien : Disons que le précédent album était plutôt dur à défendre sur scène. On était obligé de réarranger les morceaux tellement il était produit. Ce qui fait que les gens nous disaient souvent : « C’est génial sur scène mais je n’aime pas du tout le disque ». Finalement les morceaux étaient les mêmes mais n’étaient pas traités de la même manière. C’est pour ça qu’on a voulu réduire ce genre d’écart.

Vous êtes revenus à l’essence du trio en somme.

Aurélien : Tout à fait. A force de faire des concerts, tu sens plus facilement ce qui fonctionne à trois.

Simon : Sur Sad Disco par exemple, il y avait plein de mélodies superposées sur les morceaux. Finalement, tu t’aperçois que l’oreille ne peut en retenir qu’une ou deux. Il fallait donc aller à l’essentiel, sublimer cet essentiel plutôt que de rajouter plein de couches. Il faut dire aussi que Sad Disco n’est pas né sur les fondations d’une longue tournée, on avait vachement travaillé en huis-clos. Et à l’ordinateur aussi.

Aurélien : Comme tu disais, ce n’est pas que l’album précédent est mauvais, il est même très bon, mais ce n’était tout simplement pas un album de trio. On aurait été quatre ou cinq à le défendre sur scène, ça aurait été génial. Avec toutes les textures qu’il y a dessus, tu ne peux pas en isoler une plus qu’une autre.

Simon : En même temps, c’est intéressant en concert de ne pas retrouver ce qu’il y a sur le disque.

Est-ce que vous observez sur scène les autres trios, comme Nada Surf ?

Aurélien : On ne fait pas trop une fixette sur les autres trios en fait. Tu parles d’un groupe comme Nada Surf, on apprécie vachement qu’ils parviennent à faire des choses subtiles, et pas seulement du power rock à burnes. Ça fonctionne super bien, ils ont des supers arpèges de guitares et des mélodies élaborées.

Simon : En général, la plupart des trios sont très puissants, comme Muse et Placebo. Ce n’est pas des trucs qu’on vénère forcément. Personnellement, je suis très fan de Sharko.

Les trios s’agrandissent avec le temps avec un nouveau clavier ou un second guitariste. Ça ne vous intéresse pas ?

Simon : Tu as raison, souvent les trios tendent vers cette configuration avec le temps. Pourquoi pas, mais c’est juste que tant qu’à faire, si on peut aussi bien faire à trois. Des fois, il vaut mieux que la partie chant soit magique, qu’elle te touche, plutôt que de rajouter encore un arrangement dans le fond. Il y a d’autres choses plus essentielles.

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Le premier single issu de l’album s’appelle “Hey Darling”, s’est-il imposé de lui-même ?

Aurélien : C’est un des premiers nouveaux morceaux finalisés, on avait commencé à le jouer assez tôt en concert. Il y a quelque chose de super facile dans ce morceau, tous les ingrédients Rhesus sont dedans : les deux voix, ce refrain un peu héroïque.

Laura : C’est un morceau qui marche bien en concert, tu vois tout de suite la réaction des gens. Ça représente un peu la direction qu’on voulait prendre avec l’album.

Simon : On a eu un long débat sur quel morceau devait être le premier single, et honnêtement, je pense qu’il y en a plein sur l’album qui ont ce format là.

Vous aviez enregistré en Belgique à l’époque du premier album, cette fois vous être partis à Angers sous l’impulsion du producteur Nicolas Schauer.

Simon : C’est un hasard total en fait. Notre ingénieur son Arnaud Bascunana (Deportivo) et Nicolas avait déjà travaillé au studio Black Box d’Angers. Ils voulaient vraiment aller là-bas. Le lieu correspondait bien à ce qu’on voulait faire, il y a une belle acoustique. Mais encore une fois, ce n’était pas prémédité.

Aurélien : La priorité, c’était de garder la formule basse/guitare électrique/batterie. Bien sûr, on a rajouté des overdubs, mais de manière subtile. Du coup, il y a parfois ce groove inexplicable qui se passe quand tu ne retouches rien, un truc intéressant qui n’est pas du tout métronomique, parfait. Le premier morceau de l’album, c’est typiquement ça. Ça flotte un peu mais il se passe quelque chose. C’est notre petite façon individuelle de ne pas très bien jouer, combinée, qui donne cette alchimie.

Simon : C’est super marrant ça. Il y a vraiment des groupes qui jouent tous d’une certaine façon et ensemble cela crée un truc qui est impossible à refaire si tu prends d’autres personnes. Chacun apporte sa touche personnelle, puis, imbriqué, cela aboutit à une entité d’ensemble. Par exemple, c’est sans rapport, mais on avait une tournée avec Kaolin l’année dernière. A la fin des concerts, on faisait un morceau ensemble, une reprise des Smashing Pumpkins (1979). La première fois qu’on a répété tous ensemble, ça leur faisait bizarre de jouer avec nous et réciproquement. C’est là que tu t’aperçois que tu te formes des automatismes, et ça je pense vraiment qu’on a réussi à l’enregistrer.

Comment vous-êtes vous retrouvés à collaborer avec le producteur Nicolas Schauer, qui est plus connu en tant que batteur de Wampas ?

Simon : C’est lui qui a fait la démarche. Il est venu à l’un de nos concerts pour nous dire qu’il aimerait bien travailler avec nous. On n’a jamais été fans des Wampas, écouté leurs albums, ni même parlé entre nous avant du groupe. C’est vraiment la rencontre qui fut le détonateur. On s’est juste compris musicalement et humainement.

Aurélien : Et puis il a acquis une certaine expérience, et je pense que ça nous a rassuré, surtout dans le fait d’enregistrer « live » – l’idée nous faisait quand même un peu flipper. Avoir un mec qui a déjà enregistré plein d’albums avec son groupe et travaillé avec de gros producteurs est très rassurant, il sait comment ça se passe.

Simon : En fait, je pense qu’on s’est un peu souvenu d’une époque où l’on faisait les choses par nous-mêmes, des trucs qui étaient basés sur des rencontres, qui n’étaient pas forcément planifiés… Le rêve ultime d’un groupe français comme nous, c’est d’aller enregistrer avec un gros producteur anglais connu. Et là, on a un peu fait la nique à ça en allant vers quelque chose de complètement improbable. Tu vois, quelqu’un m’aurait dit il y a deux ans « vous allez être produit par le batteur des Wampas », j’aurais répondu qu’il délire complètement ! Et bien finalement, ça a vraiment fonctionné.

Et dans l’absolu, ça serait qui le producteur anglais de vos fantasmes ? Plutôt Steve Albini ou Dave Fridmann ?

Laura : Moi personnellement, j’adore Dave Fridmann pour ce qu’il a pu faire avec des groupes comme les Flaming Lips. Après, mettre un producteur avec un groupe donné, cela ne veut pas dire que ça va marcher. Cela peut même être pourri ! (rires)

Aurélien : Le problème, c’est que déjà il faut que les gens aient envie de travailler avec toi. Il faut aussi prendre en compte que le travail que tu aimes de ces personnes a coûté des millions de dollars et a été enregistré pendant deux mois dans un studio à New York… On ne sait pas ce que ce mec peut faire de ta musique en deux semaines. Tu vois, il y a aussi tellement de disques médiocres bénéficiant sur les crédits d’un producteur prestigieux. Parfois, le producteur travaille avec un groupe inconnu, prend ses sous, et puis c’est terminé. Il ne se passe rien.

Simon : Il y a tellement une part d’humain qui rentre en compte quand tu bosses sur un disque, par rapport à la musique et l’égo de chacun. Ça va loin quand même, et c’est le genre de chose qui n’est pas marqué sur papier.

Aurélien : On ne cherche pas une recette particulière. Ce n’est pas la musique de disque qui prend le producteur « blockbuster » pour faire le CD blockbuster.

Comment procédez-vous pour l’écriture des morceaux. C’est Aurélien qui écrit tout ?

Aurélien : En général, j’apporte une base plus ou moins terminée d’un morceau, une démo quoi. On part de là, soit on considère que le titre fonctionne tel quel, soit on essaie de le pousser plus loin en rajoutant un pont ou autre. Après, tu lances un riff et avec un peu de chance il se passe quelque chose. C’est pas franchement descriptif, tu joues pendant une heure et pendant cinq minutes il peut en sortir un truc cool.

Est-ce que les morceaux ont été enregistrés lors de la dernière tournée ? Vous écrivez pendant les balances ?

Simon : J’ai toujours du mal à croire à cette mythologie « on a écrit une chanson pendant le soundcheck ». En général, on a trois minutes pour caler le son…

Aurélien : Les trois quarts des morceaux ont été écrits avant la tournée. Tout ce qui est de l’ordre du songwriting, c’est terminé à 110% avant de rentrer en studio. Après, on peut se laisser des petites surprises sur les arrangements. Au moment de l’enregistrement on va chercher un son de guitare et puis on débouche sur un son bizarre, ce genre d’accident.

Simon : On voulait tellement bien faire sur le précédent opus, ici on a gardé un peu plus d’espace sur le moment. D’ailleurs, on était un peu craintifs par rapport à cela, mais Nico nous a bien dit « attendez, en studio il se passe des choses des fois ». Et il avait raison, certains morceaux ne sonnaient pas aussi bien avant de rentrer en studio.

Y avait-il des disques que vous écoutiez en particulier pendant les sessions en studio pour vous imprégner ou vous en inspirer ?

Simon : Je n’ai pas de souvenir particulier. Je sais que pour Sad Disco, on était arrivés en studio avec plein de disques, avec vachement de références sur le son. Pour celui-là, finalement, on s’en foutait un peu. Je veux dire par là que ce n’est pas la course au meilleur son, il fallait surtout que ça nous fasse vibrer.

Laura : C’est vrai qu’on passait tellement de temps à enregistrer dans la journée, que le soir on rentrait manger et on allait se coucher. Je me rappelle seulement d’Arnaud qui nous avait fait écouter Beatallica, un groupe de hard rock qui reprenait des morceaux des Beatles à la façon de Metallica.(rires)

Aurélien, je sais que tu vis à Berlin. Est-ce que c’est difficile de concilier cette distance avec la vie de groupe ?

Aurélien : Au début, Laura et moi on était à Grenoble et Simon vivait à Paris et donc on se retrouvait à Grenoble pour répéter. Maintenant, de manière pratique, lorsqu’on a un concert, on se réunit trois ou quatre jours avant. Cela marche plus comme des sessions de répet’. On était déjà habitués à ce genre de session « commando ». Avant c’était juste Simon qui venait en train, maintenant je viens aussi en avion. Ça ne change pas grand-chose, finalement.

Simon : C’est une question d’organisation. Un truc intéressant, c’est que ce système délimite bien « vie de groupe » et « vie privée ». On ne risque pas de se rencontrer par hasard dans la rue.

Laura : On ne ressent pas ce côté étouffant de la vie de groupe tous ensemble.

Une question qu’on a dû vous poser des milliers de fois, mais je me lance : est-ce que le fait de chanter en anglais vous a fermé des portes ?

Aurélien : Comme on est français et qu’on joue en France, je dirai que oui. Mais on n’a pas fait le choix de chanter en anglais, ça s’est déclenché naturellement. C’est la musique qu’on aime. Bien sûr, il y a un potentiel d’ouverture vers l’étranger, on aimerait percer dans d’autres pays. On a fait une tournée des clubs en Allemagne qui s’est super bien passée. Ce qui se passe là-bas, c’est qu’on fait des concerts, puis ça se transforme en boite de nuit indie-rock. Chaque soir, on a ainsi joué devant beaucoup de salles quasi-pleines de 300/400 personnes alors qu’on était complètement inconnus. On aimerait vraiment y retourner pour acquérir le public.

Simon : En France, on est un peu limités avec les quotas sur les radios, les médias accordent plus d’importance aux artistes qui chantent en français. C’est la culture française qui veut ça.
Pour l’instant, Sad Disco a été distribué en Allemagne, en Belgique, en Suisse et en France. Pour ce nouvel album, on aimerait bien qu’il soit confirmé dans ces quatre pays-là, puis continuer à toucher d’autres pays comme la Scandinavie, l’Espagne, le Canada, Japon… On en a vraiment envie, c’est super agréable de jouer à l’étranger. On est preneurs et on est plutôt motivés.

J’ai une dernière question, quels sont vos cinq albums favoris de tous les temps ?

Aurélien :

Radiohead, Ok Computer

Elliott Smith, X/O

Joseph Arthur, Big City Secrets

Coldplay, A rush of blood

Smashing Pumpkins, Mellon Collie & The infinite sadness


Simon :

Pavement, Crooked Rain

Pixies, Surfer Rosa

Silver Jews, American Water

Weezer, Blue Album

At the Drive-in, Relation Ship of Command

Laura :

Killing joke, Brighter than a Thousand Suns

Joy Division, Unknown Pleasure

Flaming Lips, Soft Bulletin

PJ Harvey, To Bring You My Love

Nirvana, Nevermind

Nouvel album Rhesus, The Fortune Teller Said
(Pias)

– Le site dédié à l’album

– Le site officiel de Rhesus