Toujours plus raffinée et bouleversante, la pop de chambre atemporelle du duo n’en finit pas de nous charmer et de nous faire tourner la tête avec ses effluves capiteux.


Le duo Damon & Naomi a le sens de la métaphore visuelle. Sur la pochette de Within These Walls, des camélias dans une tasse remplie d’eau pure succèdent ainsi au ciel et à la mer bleu azur du précédent The Earth Is Blue (2005). Au loin, la végétation luxuriante demeure floue, comme pour indiquer à l’auditeur que ce septième album des ex-Galaxie 500 sera celui d’une émouvante introspection (idée renforcée par l’origine japonaise des fleurs qui évoque celles de Naomi Yang), là où le précédent résultait de nombreux voyages entrepris aux quatre coins de la planète. Dix ballades pour explorer les sentiments douloureux de perte et d’abandon, dans le seul but de magnifier, à travers le prisme de la tristesse, l’existence. Nulle complaisance dépressive en effet chez Damon & Naomi, pour qui la musique reste une expérience spirituelle, une ode vibrante aux puissances de l’esprit et une invitation sensible au dépassement. Enregistré et produit chez eux, dans leur studio privé, Within These Walls reconduit le même personnel, totalement épanoui, que sur l’opus précédent : Michio Kurihara à la guitare électrique, Bhob Rainey au sax soprano et Greg Kelley à la trompette. Se sont joints une violoniste (Katt Hernandez, aperçue aux côtés de Vashti Bunyan), deux violoncellistes (Margaret Wienk, qui a aussi joué avec Bunyan et Helena Espvall d’Espers), enfin une joueuse de cor (Kyle Bruckmann). Fidélité et changements dans la continuité mesurés, comme pour signifier qu’aux incessants renouvellements, le groupe préfère peaufiner dans le détail son univers singulier, et ce sans lasser le moins du monde.

Les auditeurs qui apprécient rien tant que les groupes qui ne tiennent pas en place et remettent tout en cause en faisant table rase à chaque sortie devront ici passer leur chemin. En revanche, ceux soucieux de suivre une trajectoire rectiligne pour mieux s’imprégner des subtiles variations et autres infimes digressions qu’elle épouse secrètement trouveront leur bonheur. Les plus belles aventures sonores sont parfois celles opérées dans la continuité, travail sur le motif de longue haleine, chevauchement continu de recherches qui tend vers une approche de plus en plus épurée de la forme musicale, vers une solitude, au sens fort du terme. Pour passer la rampe du passé et sauter dans la modernité, le « nouveau » n’est pas forcément la perche adéquate. Lorsque l’époque s’ennuie d’elle-même et se grise dans le mouvement sans cesse reconduit de sa propre chute, se poser s’avère peut-être bien le meilleur moyen de prendre la pleine mesure des choses et de soi-même. A l’accélération tous azimuts et la prolifération des genres qui, trop souvent, donnent l’illusion du mouvement plus qu’elles ne le génèrent en réalité, Damon & Naomi préfèrent ainsi la fausse immobilité de l’eau qui dort. Car s’arrêter ne signifie pas selon eux se forclore mais, au contraire, littéralement, prendre son temps, investir un lieu concret, un coeur immobile traversé de loin en loin par un souffle revivifiant.

Malgré l’apparente proximité qu’entretiennent les albums du duo entre eux, verser vers un quelconque académisme n’est donc pas encore d’actualité. Si Within These Walls ne laisse pas percevoir de chamboulements majeurs dans l’oeuvre de Damon & Naomi, il ne participe toutefois d’aucune redite paresseuse ou ressassement inquiétant. A travers le titre de l’album perce même un soupçon d’ironie, tant les murs en question semblent absents, les morceaux exprimant en fait une profonde plénitude et une largeur de vue qu’aucun espace ne saurait confiner. Ce sentiment d’ouverture, voire d’élévation, est également renforcé par la présence envoûtante des instruments à cordes qui contribuent à rendre l’atmosphère du disque aérienne et vaporeuse. Associées au saxophone, à la trompette ou à la guitare électrique de Michio Kurihara, dont le jeu raffiné et mélodieux s’apparente à un véritable chant, ces cordes nouvellement venues dans l’univers du duo poétisent leur écriture, tout en s’inscrivant en faux contre la conception d’un style réifié. Et même lorsque les cordes ou les cuivres sont absents, les morceaux dégagent une impression d’infinie légèreté, de liberté souveraine, celle d’un groupe qui accède à une sorte d’épiphanie créative bien plus qu’il ne reproduit des formules par trop éculées.

Le second morceau de l’album, “The Well”, en témoigne admirablement à travers l’ouverture chaleureuse du guitariste japonais*, la présence attentive d’une batterie-témoin minutieuse, le délicat mariage des voix des deux leaders (celle de Naomi Yang, ample et veloutée, en avant, celle de Damon Krukowski dans le lointain, comme un écho), relayé à la fin du morceau par un dialogue soyeux entre la guitare acoustique de Damon et l’électrique de Kurihara. Une mise en son et une appréhension de l’espace basées sur une succession de dynamiques instrumentales qui se répondent les unes les autres, résonnent avec une rigueur, une clarté et une grâce confondantes. Cela en adéquation avec le thème de la mémoire et de l’eau charrié par les mots. De souvenirs, il est d’ailleurs question tout au long de ce Within These Walls, qui se termine par un beau et poignant morceau, “Cruel Queen”, adapté d’une chanson traditionnelle, “The Trees They Do Grow High”. Jouée autrefois par Joan Baez ou Pentangle, cette chanson rêveuse figure soudainement une étonnante filiation, preuve encore, s’il le fallait, que la musique de Damon & Naomi n’est pas toujours là où on l’attend.

* On conseillera vivement au passage l’écoute de ses superbes Sunset Notes, enregistrées en 2005 et rééditées cette année sur le label 20/20/20 du duo.

– Le site de Damon & Naomi.

– La page Myspace de Damon & Naomi.